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1540 (c) - Une nouvelle de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre

vendredi 21 mars 2008, par Pierre, 2480 visites.

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Marguerite d’Angoulême (1492-1549), sœur de François 1er, deviendra à 35 ans reine de Navarre après son mariage avec Henri II de Navarre. Elle est la mère de Jeanne d’Albret et la grand-mère de Henri de Navarre qui sera roi de France sous le nom de Henri IV.

Poète et presque femme d’état, audacieuse, cultivée, charmeuse, en un mot une maîtresse-femme. Le poète Clément Marot a dit mieux : "Corps féminin, coeur d’homme et tête d’ange"

Cette nouvelle, dont le cadre est situé à Cherves, près de Cognac, est tirée de son recueil "l’Heptameron" (sept jours, qui fournissent les têtes de chapitres)

Pour en savoir plus sur Marguerite de Navarre (1492-1549)

Une nouvelle un peu leste, dans le genre de Boccace.

XXXIII. NOUVELLE. - Inceste d’un Prêtre qui engrossa sa sœur sous prétexte de sainteté, & comment puni.

Le comte Charles d’Angoulême père du roi François I, & prince de grande piété, étant un jour à Coignac, quelqu’un lui conta, qu’à un village nommé Cherves il y avait une fille vierge vivant avec tant d’austérité, que c’étoit une merveille. Cependant elle se trouva grosse ; & ne s’en cachoit même pas, assurant à tout le monde qu’elle n’avoit jamais connu d’homme, & qu’elle ne savoit comme cela lui étoit arrivé, à moins que ce ne fût l’ouvrage du Saint–Esprit. Le peuple donnoit fàcilement dans cette vision, & regardoit cette fille comme une seconde vierge Marie, d’autant plus qu’on l’avoit connue si sage dès son enfance, qu’elle n’avoit jamais fait paroitre le moindre signe de mondanité. Non-seulement elle jeûnoit durant les tems ordonnés par l’église ; mais faisoit encore toutes les semaines plusieurs jeûnes volontaires, & ne bougeoit de l’église tant qu’il s’y faisoit quelque service. Le vulgaire fàisant tant de cas de ce genre de vie, que chacun la venoit voir comme un miracle, bienheureux quand on pouvoit toucher sa robe. Le curé de la paroisse étoit son frère, homme âgé, d’une vie austere, & passant pour un saint. Il traita sa sœur si rigoureusement, qu’il la fit enfermer dans une maison. Le peuple en fut fort mécontent, & cette affaire fit tant de bruit, qu’elle vint, comme on a déjà dit, aux oreilles du comte Charles. Ce prince voyant l’abus où tout le monde tomboit, resolut d’y remédier. Pour cet effet il envoya un maître des requêtes & un aumônier, tous deux gens de bien, pour s’informer de la vérité. Ces deux hommes allèrent sur le lieu, s’informèrent du fait avec le plus de soin qui leur fut possible, & s’adresserent au curé, qui étoit tant ennuyé de cette affaire, qu’il les pria d’assister à la vérification qu’il espéroit d’en faire. Le lendemain au matin le curé dit la messe, où sa sœur extrêmement grosse assista toujours à genoux.

La messe étant dite le curé prit le Corpus Domini & dit à sa sœur en présence de toute l’assemblée : Voici, malheureuse, celui qui a souffert la mort pour toi, devant lequel je te demande si tu es vierge comme tu m’as toujours assûré. Elle répondit hardiment & sans crainte qu’elle l’étoit. Comment est-il donc possible que tu sois grosse, & demeurée vierge, répliqua le curé ? Tout ce que j’en puis dire repartit-elle, est que c’est la grâce du Saint-Esprit, qui fait en moi tout ce qu’il lui plaît : Mais je ne puis dissimuler la grâce que Dieu m’a faite de me conserver vierge. Jamais je n’ai eu même la pensée de me marier. Alors son frère lui dit : Je te donne ici le corps précieux de Jésus-Christ, que tu prendras à ta damnation si tu ne dis pas la vérité ; de quoi seront témoins ces messieurs qui sont ici présens de la part de monsieur le comte. La fille âgée de près de treize ans fit ce serment : Je prens le corps de notre Seigneur ici présent à ma condamnation devant vous, messieurs, & vous, mon frere, si jamais homme m’a touchée non plus que vous : Et en disant cela elle reçut le corps de notre Seigneur.

Le maître des requêtes & l’aumônier s’en retournèrent tout confus, ne pouvant croire qu’on put mentir après un tel serment, & firent leur rapport au comte auquel ils voulurent persuader ce qu’ils croyoient eux-mêmes. Mais lui qui étoit sage, après y avoir bien pensé, leur fit redire les paroles du serment Après les avoir bien pesées il leur dit : Elle vous dit, que jamais homme ne lui toucha non plus que son frère. Je suis persuadé que son frère lui a fait cet enfant, & veut cacher son inceste sous une telle dissimulation. Nous qui croyons que Jésus-Christ est venu n’en devons point attendre un autre. Retournez-y donc, & faites mettre le curé en prison. Je suis sur qu’il confessera la vérité. Ils exécutèrent leurs ordres, mais ce ne fut pas sans représenter le scandale qu’on feroit à cet homme de bien.

Le curé ne fut pas plutôt en prison qu’il avoua son crime, & confessa qu’il avoit conseillé à sa sœur de parler comme elle avoit fait pour cacher le commerce qu’ils avoient eu ensemble, non-seulement pour s’excuser par une si légère défaite, mais aussi pour s’attirer l’estime & la vénération de tout le monde par ce faux exposé. Interrogé comment il avoit pu porter la méchanceté à un tel excès que de prendre le corps de notre Seigneur pour faire jurer sa sœur, il répondit qu’il n’avoit pas porté la témérité jusques-là, & qu’il s’étoit servi d’un pain ordinare qui n’étoit ni consàcré ni bénit. Le rapport en ayant été fait au comte d’Angoulême, il renvoya l’affaire à la justice. On attendit que la sœur eût accouché ; ce qu’elle fit d’un beau garçon. Après ses couches le frère & la sœur furent brûlés au grand étonnement de tout le peuple, qui sous un manteau si saint avoit vu un monstre si horrible, & trouvoit un crime si détestable sous les apparences d’une vie si louable & si régénérée.

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