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1589 - Brantôme raconte le duel entre le duc d’Epernon et le vicomte d’Aubeterre

vendredi 10 avril 2009, par Pierre, 1839 visites.

Ce duel n’eut jamais lieu, malgré les tentatives répétées de David Bouchard, vicomte d’Aubeterre d’amener son adversaire à se battre. Brantôme, dans son "Discours sur les Duels" raconte avec humour cette histoire où l’honneur mal placé faisait habituellement beaucoup de victimes. Ici, ce duel sans combat aura fait rire les contemporains.

Source : Discours sur les duels - Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille, abbé séculier de Brantôme et d’André, vicomte de Bourdeille - J.-A.-C. Buchon - Paris - 1838 - Books Google

Deuxiesme discours d’aucuns Duels, combats clos, appels, desfis qui se sont faicts tant en France qu’ailleurs

J’ay entrepris ce discours, sur ce que j’ay veu souvent faire ceste dispute parmy de grands capitaines, seigneurs, braves cavalliers et vaillans soldais, sçavoir mon, si l’on doit practiquer grandes courtoisies et en user parmy les duels, combats, camps clos, estaquades et appels.

Aucuns les ont fort approuvées, et sont estes d’advis d’en user, d’autres non.

Nous avons un frais exemple, en ces dernieres guerres, de M. d’Espernon et du sieur d’Aubeterre, reprenant les erres du capitaine Maumont, qui, simple capitaine qu’il estoit, avoit desfié mondict sieur d’Espernon, ce qui estoit une grande desrision ; mais aussy la paya-il bien comme il le meritoit ; et bien employé : un simple capitaine piéton, aller desfier un couronnel ! Tout le monde luy debvoit courir sus. M. d’Espernon estant au service du roy son maistre en France, lorsqu’il mourut à Sainct-Clou, le sieur d’Aubeterre, ayant quitté le party du roy, qui luy avoit faict tant de biens, et pris celuy de la Ligue, ne pouvant prendre le gros gibier des villes d’Angoulesme, Cognac et Xainctes, y ayant faict souvent entreprises, s’alla jetter sur le menu, et fit surprendre, par son frère le baron, le chasteau de Villebois, qui estoit à madame la marquise de Mezieres sa tante, qui l’avoit veu trois jours auparadvant avecques plusieurs offres de services, et faict son frère le baron gardien de ceste place, par le moyen de laquelle il fait la guerre au gouvernement de M. d’Espernon d’Angoulmois et Xaintonge, et les ravage fort. M. d’Espernon absent, tourné après la mort du roy, il veut nettoyer son gouvernement de tels ravageurs et ravoir sa place, et tente les moyens ordinaires et premiers, par sommation de trompette ; mais n’y voulurent entendre. Par quoy les va assiéger avecques un fort beau appareil et attirail d’artillerie, et non point de petit compaignon, mais digne d’un grand seigneur comme luy. Sur ces entrefaictes, ledict Aubeterre envoye un cartel à M. d’Espernon, pour l’appeller au combat ; mais M. d’Espernon en peu de mots luy respond ainsy : « Je m’en vais pour le service du roy où ma charge m’appelle : ayant faict là je parleray à vous. Cependant je suis fort homme de bien et d’honneur, et quiconque voudra dire du contraire en aura menty. » Et sur ce poinct part avecques ses troupes, et va faire son siège de Villebois, le prend en moins de huict jours, contre toute l’espérance de tout le monde, qui croyoit que d’un mois ne le prendrait, et ce, à la barbe dudict sieur d’Aubeterre, qui estoit dans son chasteau d’Aubeterre, retiré avecques ses gens, sans donner une seule allarme au camp de M. d’Espernon, qui n’estoit pas si grand ni si bien gardé qu’il ne deut estre un peu esveillé et fatigué ; et ne secourut nullement son frère, ny ses compaignons, auxquels il avoit donné de belles parolles ; et furent la pluspart tous pendus et tués. Apres cela M. d’Espernon part, et s’en va en Perigord luy prendre le chasteau et ville de Nontron, sans qu’il luy en fist empeschement le moins du monde, encor qu’il eust faict une fort belle assemblée d’honnestes gens que je sçay et cognois, auxquels ne tint nullement qu’ils ne vinssent aux mains, ce disoient-ils.

La-dessus j’ay veu discourir à beaucoup de bons capitaines : n’eust-il pas mieux valu audict sieur d’Aubeterre de combattre en foule M. Espernon, puisqu’il alloit de la cause du général, que de s’aller amuser a composer son cartel et altérer sa plume, duquel cartel seul ne se contenta, mais en alla encor faire je ne sçay combien d’autres, si grands et si amples et longs, que l’on disoit qu’ils sembloient mieux ses leçons qu’il avoit appris à Genève, où il avoit esté né, eslevé et endoctriné, que cartels de cavalliers, qui doibvent estre les plus brefs que l’on peut ?

Nonobstant. M. d’Espernon, après avoir mis ordre aux affaires du public, ne laisse à vouloir entrer (ce disoit-on, d’autres disent non) en estaquade, et s’offrir d’aller dans Blaye sur la parolle de M. de Lussan, encor qu’il fust plus amy dudict Aubeterre que de luy ; et s’offre encor d’aller dans la basse-cour de M. le marquis de Trans ; mais il s’y trouva des difficultés. Ceux du party de M. d’Espernon disent cela, les autres le nyent : c’est le moindre de mes soucys. Cependant, M. d’Espernon ne chauma point ; et luy fait la guerre à telle outrance, qu’il le contraint à quitter le party de la Ligue, et, pour sa seureté et de son chasteau, de prendre celuy du roy, et de l’aller trouver en France, et luy demander pardon. Estant là, il se remet encor sur la plume et ses cartels, et en fait un, non de sa teste, à ce qu’on dit, mais forgé où je dirais bien, et luy fait tenir par un tambour, qui lui présenta à Xainctes, sans en sçavoir rien ; dont pour cela il meritoit d’estre pendu, pour abuser de sa charge à l’endroict de son couronnel ; mais M. d’Espernon luy usa de miséricorde (d’autres disent qu’il le fit fouetter à sa cuisine jusqu’à mourir), dont il fut très-loué ; et lui fit response qu’il n’avoit point respondu aux dementys qu’il luy avoit donnés ; et que, lorsqu’il y aurait satisfaict, alors il parlerait à luy, et qu’après qu’il aurait faict le service du roy en Guyenne, qu’il yroit en France, où il l’appelloit, et à l’armée du roy pour le combattre. A quoy M. d’Espcrnon ne faillit ; car, ayant mis ordre à quelques affaires particulières qu’il avoit en Gascongne, et y avoir amassé quelques forces pour mener au roy, et mis ordre à son gouvernement, il alla trouver le roy en France avecques deux mille hommes de pied et deux cens bons chevaux, qui fut un secours bon et à propos ; dont aucuns disent que ledict sieur d’Aubeterre, le sentant venir (ce que l’on ne présume), partit d’avecques le roy, et s’en vint en sa maison.

J’ay entendu dire que beaucoup de grands capitaines, et entre autres M. le mareschal de Biron, qui sçait bien peser les choses, ne trouvèrent jamais bons ces desfis dudict Aubeterre, et qu’il n’estoit raison que luy, simple gentilhomme, seneschal d’une petite province, voire des moindres de la France, qui est Perigord, et qui n’avoit f’aict de grandes preuves de sa personne encor au prix de l’autre, allast ainsy desfier un duc et pair de France, et couronnel de l’infanterie, et qui avoit gouverné paisiblement son roy, et manié l’espace de dix ans toutes les affaires de l’Estat. Néanmoins, il n’a jamais tenu audict M. d Espernon (ce disoit-on) qu’il n’ayt combattu ; et s’il eust trouvé ledict Aubeterre au camp, infailliblement se fussent battus, encor qu’il en fust fort dissuadé de plusieurs raisons et de plusieurs amys et serviteurs. Le roy l’en sollicitant d’accord, il dit qu’il ne s’accorderoit que premier il n’en fust esté disputé et dit par les officiers de la couronne, disant que cela leur touchoit à tous. Enfin pourtant, un gentilhomme, que l’on cognoit sans le nommer, les accorda sans autre cerimonie, et les fit embrasser au bout d’un an, après s’estre bien envoyé des desmentys, des cartels et des injures, au grand estonnement de tout le monde ; mais il vouloit passer en Provance, et ne vouloit laisser un tel ennemy derrière soy, d’autant que ledict sieur d’Espernon avoit juré cent fois de ne s’accorder jamais, et qu’il tueroit d’Aubeterre, et faisoit porter l’attiffaict à sa femme, qui estoit ma niepce, l’une des belles et honnestes femmes du monde. Mais pourtant l’accord fut tel, et si advantageux pour M. d’Espernon, que ledict Aubeterre le vint trouver à Angoulesme, la où ils se réconcilièrent encor mieux. Ainsy faut-il qu’on recherche les grands, mais bien à propos.

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