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1681 - 1698 - Dragonnades en Charente ou le martyre des Huguenots d’Angoumois

mardi 26 février 2013, par Razine, 4660 visites.

Dans la première moitié du règne de Louis XIV, les tensions religieuses semblaient apaisées. Les protestants comptaient dans leurs rangs des membres dynamiques et leur influence rayonnait dans tous les secteurs de l’économie apportant au royaume la prospérité. Avec la révocation de l’Édit de Nantes, les persécutions allaient mettre en péril ce fragile équilibre provoquant une véritable hémorragie des forces vives de la nation avec l’exode de nombreux paysans, artisans, commerçants ou industriels (notamment dans le commerce du cognac ou du papier en Angoumois). On compte beaucoup de charentais parmi les 200 à 300 000 huguenots qui s’enfuirent vers la Hollande, l’Angleterre et la Suisse. Ceux qui restèrent eurent à subir les pires vexations et persécutions morales et physiques.

Sources :
- Chronique protestante de l’Angoumois - Victor Bujeaud - Paris & Angoulême - 1860 - Google livres
- La charente sous Louis XIV - Gaston Tesseron 1958 - Ed. Coquemard - Angoulême - 1955
- Histoire des réfugiés protestants de France depuis la révocation de l’Edit de Nantes jusqu’à nos jours - tome 1er - Charles Weis - 1853
- La Cour de Louis XIV - Imbert de Saint-Amand - Paris - 1885

 I - Le contexte

Louis XIV suit dans les premières années de son règne la politique de tolérance de Mazarin et de Richelieu envers les protestants. En 1670, il exposait à son fils les principes qui dirigeaient sa conduite en ces termes : « Je crus mon fils, que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume était en premier lieu de ne les point presser du tout par aucune rigueur nouvelle contre eux, de faire observer ce qu’ils avaient obtenu de mes prédécesseurs…… mais quant aux grâces qui dépendaient de moi seul, je résolus, …….et cela par bonté plus que par rigueur d’attirer même par récompense, ceux qui se rendraient dociles ; d’animer autant que je pourrais les évêques, afin qu’ils travaillassent leur instruction, et leur ôtassent les scandales qui les éloignaient quelquefois de nous ».

Jusqu’en 1679 Louis XIV favorise les conversions, utilisant même des moyens financiers par le biais des caisses de conversions. Cette caisse nommée « caisse Pélisson » (ancien réformé chargé de la régir) fut créée en 1675 à l’instigation de Mme de Maintenon. Voltaire (1694-1778), dans son « Siècle de Louis XIX » (1751) ironise : « On tâchait d’opérer beaucoup de conversions pour peu d’argent. De petites sommes distribuées à des indigents, enflaient la liste que Pélisson présentait au roi tous les trois mois en lui persuadant que tout cédait dans le monde à sa puissance et à ses bienfaits ».

Si avant 1679 Louis XIV s’en tient à l’application restrictive de l’édit de Nantes (tout ce qui n’est pas formellement permis par l’édit est interdit), ce qui conduit notamment à la démolition de nombreux temples, à l’obligation de procéder aux enterrements de nuit, à la réduction du nombre des écoles réformées.

Des vexations, le gouvernement monarchique passe à la persécution après 1679 : exclusion des huguenots des offices et de la plupart des professions libérales, suppression des chambres paritaires (tribunaux moitié catholiques-moitié protestants)

Le 18 octobre 1685, (décision enregistrée par le Parlement de Paris le 22 octobre), Louis XIV révoque l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau, rétablissant l’unité religieuse du royaume. L’édit consacre l’obligation du baptême et mariage catholiques, l’expulsion des pasteurs refusant de se convertir et l’interdiction faite aux laïcs d’émigrer sous peine de galère.

La politique royale est approuvée par une majorité qu’elle soit du clergé ou venant de l’opinion publique. Le parti protestant n’existe plus et les huguenots sont en minorité.

 II - Les dragonnades en Charente

L’ordonnance du 11 avril 1681 est à l’origine des dragonnades. Elle permet :
« L’exemption de logement des gens de guerre et contribution d’iceux pendant deux ans en faveur de ceux qui, étant de la religion prétendue réformée se sont convertis et faits catholiques depuis le 1er janvier dernier et qui se convertiront ci-après »

Mises en œuvre par Marillac, l’intendant du Poitou (une partie de la Charente en dépendait), les dragonnades sont un moyen de persuasion brutal pour les populations. Les soldats du roi logent chez l’habitant protestant et tentent par tous les moyens de le faire abjurer. Les moyens employés sont proportionnels à la résistance de l’habitant : d’une simple démonstration de force jusqu’au pillage, au viol et au meurtre. Une fois qu’un village s’est converti les soldats passent à un autre.

 II-1 - Excès dans la région de Chalais, Ruffec et La Rochefoucauld

À Chalais la soldatesque se déchaîne : « On arracha les enfants des bras de leurs mères, on les enferma dans les hôpitaux, dans les prisons, dans les couvents. Les garnisaires firent subir aux femmes des tourments atroces : leur cracher au visage, les dépouiller de leurs vêtements, les fouetter, les pendre par les bras ou les suspendre par les pieds, les faire coucher sur des charbons ardents, défigurer les plus belles, leur sabrer le visage, leur appliquer des pelles rougies au feu sur le cou, sur les seins, sur les bras, leur broyer les doigts avec des tenailles, les jeter dans des fosses infectes  ». Bujeaud

« À la Madeleine, un gentilhomme protestant déshabillé fut immergé et maintenu jusqu’au cou dans l’eau glacée d’un puits. A Ruffec, un bourgeois eut une fin terrible : ils le couchèrent sur le sol, pieds et poings liés et lui firent avaler de l’eau, jusqu’à ce que mort s’ensuivit  »

À La Rochefoucauld, Barraud, un mourant fut enlevé de son lit et brouetté nu dans les rues. Une demoiselle de Rouffignac eut les bras brûlés. Suzanne Ferrand, la veuve Labrousse et sa fille eurent à souffrir des indignités qui ne s’expriment pas. Le sieur Pasquet, un des plus considérables bourgeois du lieu fut mis par les dragons dans un berceau comme un enfant. Étant là, ils préparèrent de la bouillie, la lui firent avaler toute bouillante et lui en couvrirent le visage, à quoi il ne put résister et mourut  ». (Bujeaud).

Ceux qui mouraient sans être munis des sacrements étaient après leur mort traînés sur la claie et jetés à la voirie. Leurs biens étaient confisqués. « Le corps de Jacques Poulignac fut déterré et donné en pâture aux chiens. Rachel de Renouard, dame de la Frainerie, Débora Mignot, Marthe Marvaud, Abraham Cambois, Albert dit Péruzet furent traînés sur la claie dans les rues de La Rochefoucauld et jetés à la voirie ».

Toutes ces exactions vont conduire une foule de protestants à prendre la fuite vers l’étranger malgré la menace d’être condamnés aux galères pour les hommes, d’avoir la tête rasée et envoyée en prison pour les femmes. Certains hommes contraints dans l’urgence de fuir à l’étranger abandonnent femme et enfants. Ceux qui n’ont pas les moyens financiers de s’expatrier continuent de pratiquer le culte clandestinement dans la maison de particuliers ou au désert (dans des lieux reculés à la campagne). Certains n’en pouvant plus de toutes ces atrocités abjurent du bout des lèvres pour sauver leur vie, mais ces abjurations sont de pure forme.

Un rapport des intendants de la fin du 17e siècle après l’exode souligne :

« Il y a encore à Angoulême, La Rochefoucauld, Saint-Claud, Verteuil, Villefagnan et Montbron, nombre de nouveaux catholiques mal convertis et très opiniâtres…. On a tout mis en usage : des missions, vicaires, maîtres et maîtresses des couvents pour retirer les jeunes filles des pensions aux ministres, aux officiers et autres qui ont fait leur devoir, des grâces à ceux dont le bon exemple pouvait produire de bons effets. Mais c’est un ouvrage qu’il n’y a pas lieu d’espérer qu’il soit sitôt achevé. Au contraire, nous voyons avec douleur qu’un grand nombre de gens de tout âge, de tout sexe, ont abandonné leur pays et se sont retirés chez les étrangers, où ils ont porté leurs meilleurs effets. Ce pays se détruit insensiblement par la diminution de plus d’un tiers de ses habitants ».

 II-2 – Madame de Maintenon et Cognac

Françoise d’Aubigné, Marquise de Maintenon
Photo : Pierre Collenot - Château de Maintenon - 2003

En 1677, elle avait déjà assez d’influence pour faire nommer son frère Charles, gouverneur de Cognac. Il le restera jusqu’en 1698 date à laquelle il fut relevé de ses fonctions.

En 1678, Charles d’Aubigné fit aux yeux de sa sœur Françoise d’Aubigné, (qui deviendra Mme de Maintenon, épouse morganatique du roi Louis XIV), une mésalliance en épousant Geneviève Piètre, fille d’un procureur de Paris et de surcroît protestante. La situation de Charles d’Aubigné devint délicate, lorsque les mesures de répression contre les protestants s’accentuèrent. Pourtant, les cognaçais n’eurent pas à souffrir d’épouvantables violences, comparativement à celles d’autres localités

Le 11 septembre 1685, Mme d’Aubigné restée fidèle à sa foi même après son mariage fut contrainte d’abjurer. A la veille de la révocation de l’Edit de Nantes sa belle-sœur et son mari durent peser dans ce choix. Charles d’Aubigné aurait souhaité quitter Cognac pour vivre à Versailles dans l’orbite de sa puissante sœur qui le jugeait trop encombrant. Joueur et dépensier invétéré, sa conduite était en parfaite opposition avec l’esprit dévot et soucieux de respectabilité de Mme de Maintenon. Charles d’Aubigné pensait certainement que l’abjuration de sa femme pourrait lui ouvrir bien des portes pour obtenir la faveur dur roi.

Les historiens se sont beaucoup interrogés sur le rôle effectif joué par Mme de Maintenon, accusée de tous les maux en matière de répression contre ses anciens coreligionnaires et précisément sur la révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau. Sans doute, se laissa t’elle entraîner par le sentiment unanime du monde catholique ; mais ce ne fut nullement elle qui eut l’initiative de tout l’arsenal des répression contre les protestants. Au sujet des abjurations qui n’étaient pas sincères, elle écrivait, le 4 septembre 1687 : « Je suis indignée contre de pareilles conversions : l’état de ceux qui abjurent sans être véritablement catholiques est infâme. » On lit dans les Notes des Dames de Saint-Cyr : « Mme de Maintenon, en désirant de tout son cœur la réunion des huguenots à l’Église, aurait voulu que ce fût plutôt par la voie de la persuasion et de la douceur que par la rigueur ; et elle nous a dit que le roi, qui avait beaucoup de zèle, aurait voulu la voir plus animée qu’elle ne lui paraissait, et lui disait, à cause de cela : « Je crains, madame, que le ménagement que vous voudriez que l’on eût pour les huguenots ne vienne de quelque reste de prévention pour votre ancienne religion. »

Cependant, elle n’en perdait pas pour autant de vue les intérêts de sa famille. Dès 1681, Mme de Maintenon (bien informée par Louvois qui pressentait un exode des protestants) écrivait à son frère : « Vous ne sauriez mieux faire que d’acheter une terre en Poitou, ou aux environs de Cognac ; elles vont s’y donner par la fuite des huguenots  » (lettre du 19 mai 1681).

Il serait injuste de mettre essentiellement à sa charge les rigueurs qui suivirent la révocation de l‘Édit de Nantes. Louvois qui se montra si acharné à détruire le Palatinat, cher au cœur de Madame, pesa sûrement plus lourdement dans la balance pour faire appliquer au roi une politique religieuse particulièrement répressive et cruelle.

«  Je gémis, écrivait Mme de Maintenon à Fénelon, des vexations qu’on fait ; mais, pour peu que j’ouvrisse la bouche pour m’en plaindre, mes ennemis m’accuseraient encore d’être protestante, et tout le bien que je pourrais faire serait anéanti. »

On peut regretter toutefois cette plainte beaucoup trop discrète de la petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, cette dernière étant assez sûre de son crédit auprès du roi. Il est à noter cependant que s’il écoutait ses doléances elles n’influençait en rien les décisions de Louis XIV. Aurait-elle pu avoir le courage de protester plus hautement ? L’ensemble des historiens souscrit aujourd’hui à la démonstration résumée par François Bluche dans sa biographie de référence sur le grand roi : «  La marquise de Maintenon se réjouit des conversions, quand elles lui semblent le résultat de la persuasion et de la douceur. Mais elle répugne à la contrainte envers ses anciens coreligionnaires. Seules une polémique outrancière, puis une légende sans fondement pourront faire croire qu’elle ait encouragé le monarque à la dureté.  »

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