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1789 - Un citoyen de La Rochelle (17) demande à Mirabeau le maintien de l’esclavage

vendredi 28 décembre 2007, par Pierre, 2415 visites.

L’abolition de l’esclavage en France n’a pas été une affaire facile.
En 1789, les comtes de La Rochefoucauld et de Mirabeau lancent le débat à l’Assemblée Nationale, mais l’abolition est encore loin.

Un habitant de La Rochelle prend la plume pour dire à Mirabeau son désaccord avec ce projet, au demeurant, assez hypocrite. Sa lettre représente probablement l’opinion dominante, en particulier dans les villes portuaires.

Après cette lettre, le texte du discours que Mirabeau avait préparé sur ce sujet, mais qu’il n’a pas prononcé, en raison de l’opposition à son projet. C’est vraisemblablement la crainte d’une révolte des esclaves libérés et du massacre des colons qui mit provisoirement le projet en sommeil. Mirabeau avait certainement lu Jean-Jacques Rousseau ...

Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention vote l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, mais cette loi ne fut pratiquement pas appliquée en France.

Il faudra attendre le 27 avril 1848, date réelle de l’abolition définitive de l’esclavage en France, grâce aux efforts de Victor Schoelcher.

Source : Gazette Nationale ou Moniteur Universel du lundi 7 décembre 1789

 Lettre d’un citoyen de la Rochelle à M. le comte de Mirabeau - 24 novembre 1789

Monsieur le comte,

Une motion que l’on assure devoir être faite par vous, ou par M. de la Rochefoucauld, à l’Assemblée nationale, met tout le commerce de cette ville en alarme. L’objet de cette motion est, dit-on, de faire rendre un décret qui interdise à tout Français la traîte des noirs, et permette aux planteurs de se pourvoir d’esclaves en les achetant des étrangers.

Dans la supposition que vous avez, M. le comte, réellement annoncé une pareille motion, permettez-moi de vous présenter quelques doutes sur l’utilité que vous avez probablement espéré d’en voir résulter.

Je dois, avant tout, vous faire ma profession de foi relativement à l’esclavage des malheureux Africains et au commerce de la traite ; sans ce préalable, tout ce que je vous dirais pourrait vous paraître suspect.

L’esclavage quelconque est, à mes yeux, la violation des droits les plus sacrés de l’humanité.

Par une conséquence immédiate, tout commerce dont l’objet est de favoriser, faciliter ou perpétuer l’esclavage, me parait un attentat direct à cette loi, si simple et si naturelle, de ne faire à autrui que ce que nous voudrions qu’il nous fît.

Voilà mes principes. Mais, M. le comte, malheureusement ce genre de commerce est aujourd’hui presque le seul auquel puissent se livrer plusieurs de nos ports. Les armateurs qui s’en occupent y ont employé de grands capitaux, non seulement les leurs, mais ceux de leurs co-intéressés, mais encore ceux des manufacturiers qui leur fournissent les articles de traite, mais encore les crédits que les banquiers de la capitale, et même dans l’étranger, leur accordent en supplément de leurs fonds propres. L’abolition de la traite ne produira-t-elle point le bouleversement de leurs fortunes, tout au moins l’engorgement de leurs moyens ? On pourrait le craindre, parce que ces armateurs ont des fonds plus ou moins considérables répandus parmi les habitants ou planteurs, qui souvent ne paient qu’autant qu’on leur fait de nouvelles ventes, et qui, dans le régime appréhendé, seront eux mêmes contraints de donner la denrée destinée au paiement d’anciennes dettes, au marchand étranger qui leur portera des esclaves.

Ne peut-on pas craindre aussi de voir tomber celles de nos manufactures qui fournissent aujourd’hui les articles de traite ? Les funestes effets du traité de commerce avec l’Angleterre offrent des exemples effrayants.

Je ne parlerai pas de la diminution de notre marine marchande : je sais que le commerce de la traite coûte tous les ans la vie à une quantité de marins de tout rang ; mais qui peut calculer le nombre d’individus alimentés de proche en proche par les importations des denrées coloniales provenant des ventes des noirs ? Que deviendront les ateliers divers qui s’occupent de pourvoir à l’équipement des navires, tant de bras qu’ils empêchent de s’engourdir dans l’oisiveté et la misère, tant de raffineries, qui déjà ont peine a se soutenir malgré les encouragements du gouvernement ?

On pourrait étendre beaucoup la série des maux qu’entraînerait la suppression subite de la traite ; mais, pour abréger, je me restreins, M. le comte, à vous prier de bien examiner ces deux questions :

- 1 N’est-il pas impolitique de défendre la traite à une nation dont les colonies sont cultivées par des noirs, et de permettre aux colons d’acheter ces noirs des nations étrangères ? Il semble que c’est détourner de la métropole des sources de richesses, pour les faire couler dans le sein des nations rivales, dont la puissance sera augmentée par-là en raison de l’affaiblissement de la nôtre ?

- 2 Est-il prudent de rendre ce décret, ou même simplement d’en agiter l’objet, dans un moment de fermentation, que la confiance la plus excessive ne peut se dissimuler ; dans un temps où le peuple, dans un port de mer, trouve à peine les moyens de gagner un pain cher autant que rare ; dans un moment où les besoins de la patrie sollicitent une contribution extraordinaire, devenue de jour en jour plus pressante ? Craignons, M. le comte, un refroidissement général de la part de cette multitude de citoyens qui verraient leur fortune, leur existence même menacées : heureux encore si leurs cœurs ulcérés ne sont accessibles qu’au refroidissement !

Il me sera fort agréable, M. le comte, que vous vous donniez la peine de peser dans votre sagesse les doutes que je viens de vous exposer. Tout au moins dois-je croire que l Assemblée nationale ne précipitera pas, sur un objet aussi délicat, sa décision plus que ne l’a fait le sénat anglais.

J’ai l’honneur d’être etc.


 Extrait du discours de Mirabeau sur l’esclavage (peut-être jamais prononcé à l’Assemblée Nationale ?)

Mirabeau s’était préparé à présenter un projet d’abolition de l’esclavage, mais il fut empêché de prendre la parole à ce sujet.

Dans ses Mémoires, le texte du discours qu’il avait préparé, mais probablement jamais prononcé à l’Assemblée.

Je ne dégraderai ni cette assemblée ni moi-même en cherchant à prouver que les nègres ont droit à la liberté ! Vous avez décidé cette question, puisque vous avez déclaré que tous les hommes NAISSENT ET DEMEURENT ÉGAUX ET LIBRES ; et ce n’est pas de ce côté de l’Atlantique que des sophistes corrompus oseraient soutenir que les nègres ne sont pas des hommes !

Si d’après ces principes solennellement proclamés dans toute l’Europe, les nègres de vos îles, hommes comme nous, ont un droit incontestable à la liberté, d’où vient que cette assemblée n’a point encore détruit les rapports de maître et d’esclave dans toute l’étendue de l’empire français ?

C’est que l’antique existence d’une odieuse institution a tellement perverti l’ordre de la nature, qu’on ne peut réparer le mal qu’en rétrogradant avec lenteur : c’est que des hommes habitués depuis longtemps à l’esclavage et dans l’âme desquels tous les vices des esclaves ont nécessairement jeté des racines profondes, doivent renaître et grandir pour devenir des hommes libres ; c’est enfin qu’en les affranchissant sans précaution de la tyrannie de leurs maîtres, on les exposerait à une tyrannie non moins impérieuse, à la tyrannie des passions que leur a données une société dont ils n’ont reçu que des vices sans lumières, des souffrances sans compensations ; c’est qu’on les livrerait aux égaremens de leur ignorance brutale, aux suggestions atroces de leurs longs et profonds ressentimens, enfin aux emportemens aveugles dont rien ne peut défendre des malheureux qui ont été dépravés par politique, dont la servitude crée les vices, dont les vices aggravent la servitude.

Source : Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau - Honoré-Gabriel de Riquetti Mirabeau, Victor de Riquetti Mirabeau, Gabriel Lucas de Montigny – Paris – 1841 – Books Google

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