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1847 - L’abbé Landmann, théoricien de la colonisation de l’Algérie

ou l’utopie de l’extinction du paupérisme par la colonisation

mardi 12 avril 2016, par Pierre, 516 visites.

Plan général de cette étude Références et bibliographie

Prêtre alsacien, l’abbé Landmann s’engage, vers 1840, dans une action militante pour favoriser l’implantation de colons en Algérie. Il utilise avec talent les médias pour diffuser ses idées, en s’adressant directement au roi Louis-Philippe.
A partir de 1841, il élabore son projet de colonies agricoles en Algérie. Ses théories sont inspirées par les phalanstères de Fourier et par les idées de Saint-Simon. Il est mal vu par le maréchal Bugeaud. Dans un contexte politique fluctuant (révolution de 1848, chute de la Monarchie de Juillet et proclamation de la 2ème République), l’abbé Landmann, grâce à la collaboration de Jean de Luc, va pouvoir passer de la théorie à la pratique en 1847.
Car les colonies agricoles de Rétaud et de la Tremblade s’inscrivent parfaitement dans ses projets.

L’abbé LANDMANN, alsacien, commence son ministère comme vicaire à Schelestadt (ancien nom de Sélestat, Bas-Rhin), dans le diocèse de Strasbourg.

L’intérêt de Landmann pour l’Algérie naît du constat, au sein de sa paroisse alsacienne, d’une croissance de l’émigration de français vers l’Amérique :

« Malheureux qu’ils sont me disais-je, ils vont chercher bien loin dans les savanes du nouveau monde un pain de douleur pour eux et leurs enfants ; ils affrontent les dangers d’un voyage de mille lieues pour une fortune incertaine, et peut-être pour le désespoir, tandis que la France possède sur les bords de la Méditerranée, à deux journées de Marseille, des terres immenses et fertiles qui pourraient devenir la plus florissante des colonies. »

Persuadé que ce serait rendre un grand service à des milliers d’infortunés et à la France elle-même, de diriger ces migrations périodiques sur les points de l’Algérie les plus propres à la colonisation, il visite le Sahel, la Mitidja et le Petit Atlas avant de remplacer à Constantine, en septembre 1839, l’abbé Jacques Suchet, 1er curé de cette ville algérienne.

Au cours de ses voyages, ses idées de colonisation militaro-religieuse se précisent, et son expérience algérienne lui permet d’étudier sur place les moyens de mettre sur pied son projet de colonisation. Il revient à Paris en octobre 1840 pour rédiger son premier ouvrage : « Les fermes du Petit Atlas » (1841).

Ses publications :
- 1841 – Les fermes du Petit Atlas, ou colonisation agricole, religieuse et militaire du nord de l’Afrique. (cf. BNF Gallica )
- 1842 - Mémoires au Roi sur la colonisation de l’Algérie. (cf. BNF Gallica )
- 1845 – Mémoires au Roi sur la colonisation de l’Algérie – par l’abbé Landmann, chanoine honoraire d’Alger, ancien curé de Bougie, de Constantine et de Mustapha-Pacha. (cf. BNF Gallica)
- 1846 - Exposé adressé par l’ abbé Landmann à Messieurs les députés sur la colonisation de l’Algérie (cf BNF Gallica)
- 1846 – Exposé sur la colonisation de l’Algérie, adressé à MM les Pairs de France, lors de la discussion de crédits supplémentaires 1846. (cf. BNF Gallica). Dans ce dernier ouvrage, il développe sa théorie des fermes d’acclimatation et, pour la première fois, évoque l’emploi des enfants abandonnés.
- 1848 – Appel à la France pour la colonisation de l’Algérie. (BNF Gallica)
Il y détaille sa théorie sur l’envoi en Algérie des enfants abandonnés.
- Adresse de l’abbé Landmann, chanoine honoraire d’Alger et candidat à la députation, aux électeurs du Haut-Rhin - Sd. (1848) – AD du Haut-Rhin
- 1862 - Mémoire adressé aux conseils généraux de 1862, sur les moyens de fonder en Algérie de grandes fermes pour les enfants trouvés de la France, sans que les départements aient à dépenser un centime de plus qu’ils ne dépensent maintenant pour ces pauvres enfants.

L’abbé Landmann propose des réponses à deux questions d’actualité :
- 1° - comment faire venir des colons français dans les régions rurales de l’Algérie ?
Car, si Alger et sa région attirent quelques candidats, il n’en est pas de même pour l’intérieur, en particulier la région de Constantine, où l’insécurité et le climat sont des freins à l’installation.
- 2° - comment faire face, en métropole, aux 123,394 (en 1843) enfants abandonnés ?
C’est un véritable casse-tête social et une lourde charge pour la collectivité.

En Algérie, ses idées se heurtent au scepticisme, voire à l’opposition des militaires, dont le maréchal Bugeaud.

Le 28 décembre 1841, il écrit à l’abbé Landmann pour le remercier des lettres et de la brochure (Les Fermes du Petit Atlas) qu’il lui avait adressées. Il s’excuse de son retard, ses occupations militaires ayant absorbé tous ses instants, et il ajoute :
« D’ailleurs je l’aurais fait que cela n’eût hâté en rien l’exécution des projets que vous méditez. Avant d’ensemencer un champ, il faut le préparer à recevoir le grain. Il faut pousser la guerre avec activité et énergie avant de s’occuper de colonisation. J’ai lu votre brochure et j’y ai trouvé de bonnes idées, celles surtout relatives au travail en commun par association. »

Il lui cite le passage de la lettre au Ministre où il parle de son projet et poursuit :
« Vous voyez que je partage vos idées sous quelques rapports ; votre entreprise me parait praticable, toutefois avec certaines modifications, et quand le temps sera venu de lui prêter secours et assistance, je le ferai autant que cela dépendra de moi. Quand vous aurez trouvé un nombre d’hommes suffisant pour peupler un des établissements que vous voulez fonder, veuillez m’en instruire et il sera pris des modifications pour les recevoir » (Archives de la Colonisation. Gouvernement général).

En 1842, y aurait-il retournement de situation ou une nouvelle politique de prise en considération d’idées constructives ? Le gouvernement français dit s’intéresser aux projets de l’abbé Landmann, comme le montre cette lettre du maréchal duc de Dalmatie, président du conseil, au gouverneur-général de l’Algérie.

Paris, le 21 juillet 1842.
M. le gouverneur-général,
M. l’abbé Landmann, chanoine honoraire d’Alger et ancien curé de Constantine, retourne en Algérie, après un assez long séjour à Paris.
Il demande à pouvoir appliquer sur un point que l’administration désignerait une partie des idées qu’il a émises sur la colonisation par le travail en commun dans plusieurs projets qu’il m’a soumis, et surtout dans une brochure intitulée : « Les Fermes du petit Atlas, ou Colonisation agricole, religieuse et militaire. »
L’intention du gouvernement étant que tous les systèmes puissent être essayés pour la colonisation de l’Algérie, je vous invite à donner à M. Landmann toutes les facilités qu’il vous sera possible de lui accorder pour le mettre à même d’appliquer ses projets. J’écris dans le même sens à M. le directeur de l’intérieur.
M. l’abbé Landmann s’est d’ailleurs rendu particulièrement digne de la bienveillance de l’administration par ses nombreux travaux en faveur de la colonisation de l’Algérie, dont il est partisan dévoué et désintéressé.
Recevez, M. le gouverneur-général, l’assurance de ma haute considération.
Le président du conseil, ministre secrétaire, d’État de la guerre,
MARÉCHAL DUC DE DALMATIE.

Le 11 août 1842, l’abbé Landmann est à Alger. Le Gouverneur l’emmène avec lui dans une tournée qu’il veut faire avec le Directeur de l’intérieur sur la ligne de l’obstacle continu.

Au retour, Bugeaud s’empresse de mander au Ministre, le 20 août « Celui-ci n’a pas gagné au long entretien d’un voyage de cinq jours. Nous avons reconnu qu’il a peu d’idées pratiques et qu’il n’a pas calculé les conséquences et les nécessités de l’œuvre qu’il veut entreprendre » (Mêmes archives).
Source : Revue de l’histoire des colonies françaises - 1919 – BNF Gallica )

Les propositions de l’abbé Landmann au sujet des enfants abandonnés

Dans son « Exposé sur la colonisation de l’Algérie, adressé à MM les Pairs de France, lors de la discussion de crédits supplémentaires de 1846 » il développe sa théorie des fermes d’acclimatation et, pour la première fois, évoque l’emploi des enfants abandonnés.

Construire des fermes d’acclimatation, où les colons, au nombre de vingt à vingt-cinq familles, travailleront, pendant trois ans, sous une direction commune, composée de personnes dont les connaissances et les fonctions répondront à tons les besoins moraux, physiques et intellectuels de l’établissement.
Dans ces fermes, les colons seront accoutumés au régime hygiénique convenable en Afrique. Aux premiers symptômes de la maladie, ils seront entourés de tous les soins de l’art et de la charité. Dirigés dans les cultures, ils acquerront les connaissances agricoles raisonnées et pratiques absolument nécessaires pour prospérer. En même temps, ils gagneront les capitaux indispensables pour se faire plus tard un établissement ; et comme ils ne seront jamais isolés dans les champs, ils ne courront aucun danger. Les colons, comme dans toutes les grandes fermes, seront payés à la journée, d’après un taux convenu entre eux et la direction. Mais les quatre cinquièmes de ce salaire ne leur seront délivrés qu’au moment de leur sortie de la ferme.
Leurs enfants, quelque soit leur nombre, seront instruits et élevés aux frais de l’établissement jusqu’à l’âge de quinze ans, après lequel terme ils recevront aussi un salaire proportionné aux services qu’ils seront capables de rendre.
...
Cinq personnes suffiront pour diriger pareille ferme, savoir : le directeur général, le directeur des travaux agricoles, le capitaine de la défense, le médecin et le curé. Quelques religieuses seront chargées de l’économie domestique de la ferme, ainsi que de l’instruction des enfants, du soin des malades, de l’infirmerie des indigènes ;... et comme la France est surchargée d’orphelins et d’enfants trouvés, on pourra en placer, dès le commencement, une cinquantaine dans chaque ferme, et ce nombre pourra être augmenté dans la suite. Chaque ferme recueillera aussi quelques orphelins indigènes et rachètera, autant que ses fonds le lui permettront, des enfants esclaves. Tous ces enfants seront élevés avec les enfants des colons, et à l’âge de quinze ans, ils seront soldés et associés comme eux aux bénéfices de l’établissement.

En janvier 1848, à quelques semaines de la révolution qui renversera la Monarchie de Juillet, dans son « Appel à la France pour la colonisation de l’Algérie », Landmann se fait le prophète des événements qui vont secouer le mois de février : « A en juger par l’esprit et les symptômes qui se sont manifestés dans les classes souffrantes lors des derniers troubles, il est fort à craindre que si le fléau de la disette devait reparaître, les sentiments de haine et de vengeance qu’une grande partie de ces classes nourrissent depuis longtemps contre les riches ne fassent une grande explosion dont les conséquences seraient plus désastreuses et plus déplorables qu’elles ne l’ont été jusqu’ici ».

Ses idées sont applaudies par les socialistes français.

Dans le même ouvrage, il précise son projet sur les enfants abandonnés

Éducation des orphelins et enfants trouvés.

La France est aujourd’hui inondée d’une foule immense d’orphelins, d’enfants trouvés ou abandonnés. D’après M. le baron de Watteville [les Annales de la Charité, novembre 1845.] inspecteur-général des établissements de bienfaisance, le nombre des enfants trouvés, âgés de moins de douze ans, à la charge des départements était, en 1843, de 123,394, dont l’entretien a coûté, outre les frais de layettes et de vêture, 6,707,829 fr. Le nombre des expositions ou abandons d’enfants est d’environ 34,000 par an ; il en meurt à peu près 50 pour 100 dans la première année de leur existence et 78 pour 100 en douze ans. Le nombre de ces malheureux enfants, âgés de plus de douze ans, est complètement inconnu. Les départements n’ayant pas de pension à payer, on cesse de s’occuper d’eux et l’on ne sait ce qu’ils deviennent, ou plutôt on ne le sait malheureusement que trop !

M. de Watteville a fait à cet égard les recherches et les études les plus suivies dans les prisons, les bagnes, etc., et voici quels ont été les résultats de ces investigations. Tandis que le chiffre de la naissance des enfants trouvés n’est aux autres naissances que dans la proportion de 5 pour 100, on les voit dans les bagnes de Brest, de Rochefort, de Toulon, dans celle de 15 pour 100 ! et cela malgré l’effroyable mortalité qui a sévi sur eux dans leur enfance. Voici pour les garçons. Quant aux filles, leur sort n’est guère moins déplorable ; dans soixante-quinze villes où l’inspecteur-général a fait des recherches, villes situées aussi bien à l’est qu’à l’ouest, au nord qu’au sud, il les a toujours trouvées formant le cinquième du nombre, soit 20 pour 100, des misérables, composant la population des maisons de prostitution ! Quelle honte pour la France catholique d’abandonner et laisser ainsi périr dans la misère ou dans la fange des milliers de ses enfants !

Ces malheureux enfants, nous les recevrons dans nos fermes algériennes avant que le souffle impur du vice n’ait flétri leur cœur, nous les adopterons pour nos enfants et nous les élèverons bien chrétiennement. Nous leur ferons connaître la destinée sublime de l’homme sur la terre et les moyens certains d’y parvenir. Nous nous efforcerons de leur inculquer profondément dans l’esprit et de graver dans leur cœur les devoirs de l’homme envers Dieu, leur père dans le ciel, envers le prochain et envers eux-mêmes. Nous les accoutumerons de bonne heure au travail et à la pratique de toutes les vertus. En un mol, nous ne négligerons rien pour en faire des chrétiens dignes de ce beau nom et des citoyens dignes de la France.

Chaque ferme en recevra chaque année un certain nombre, une vingtaine à peu près, jusqu’à ce qu’elle renferme le nombre déterminé par ses dimensions et ses ressources. La bonne direction de rétablissement, l’intérêt des colons et celui des enfants surtout exigeront peut-être que ce nombre ne dépasse jamais deux ou trois cents. Mais nous serons plus à même de décider ce point, ainsi que beaucoup d’autres, quand nous aurons été pendant quelque temps à l’œuvre.
Comme l’instruction et l’éducation formeront la principale occupation de ces enfants jusqu’à l’âge de douze à quatorze ans, ils ne recevront jusqu’alors pour les petits travaux auxquels ils pourront être employés que des primes d’encouragements à la fin de l’année. Mais, à partir de cette époque, ils recevront, outre ces primes, un salaire proportionné aux services qu’ils pourront rendre à l’établissement. Ce salaire et ces primes, si celles-ci devaient être en argent, seront placés, à la fin de chaque année, à la caisse d’épargne et porteront des intérêts qui seront capitalisés. Pour cela., chaque enfant aura un livret dans lequel seront inscrites toutes ses épargnes. Je pense que, de cette manière, chaque enfant trouvé, quand il sera arrivé à l’âge de vingt et un ans, pourra posséder une somme de 1,200, 1,500 et même jusqu’à 2,000 fr. Mais quel beau capital ne gagnerait-il pas s’il devait rester dans nos établissements jusqu’à l’âge de trente ans ! En énumérant les salaires, les primes d’encouragement et les intérêts capitalisés annuellement jusqu’à cette époque, je crois bien rester au-dessous de la vérité en disant que chacun pourra posséder alors une somme de six à huit mille francs.

Un soldat qui a trente années de services reçoit de l’État une pension de 300 fr. ; s’il avait passé les mêmes trente années dans nos fermes, il serait en possession d’une somme de douze à quinze mille francs, qui lui rapporteraient une rente viagère de douze à quinze cents francs, c’est, si je ne me trompe, la pension de retraite d’un capitaine.

Quand nous aurons ainsi recueilli tous les malheureux orphelins, les enfants trouvés ou abandonnés de la France, nous pourrons encore, si la Providence daigne bénir nos efforts et si nous trouvons dans le gouvernement et dans l’opinion publique les sympathies sur lesquelles nous devons compter ; nous pourrons, dis-je, nous charger encore d’une partie des enfants des familles pauvres et leur faire les mêmes avantages qu’aux premiers. Nous parviendrons peut-être, de celte manière, à extirper un jour, je ne veux pas dire toute espèce de mendicité, mais au moins la mendicité involontaire ou imméritée.

Je ne parle pas de l’éducation des filles parce que nous aurons assez à faire pour les garçons ; mais je suis convaincu que, quand nos fermes d’acclimatation seront établies , il se formera bientôt en France des congrégations de femmes qui se chargeront de cette partie, et qui viendront fonder en Algérie des établissements agricoles pour les orphelines et les enfants trouvées de la France. Nous serons peut-être alors en mesure de les aider et de contribuer puissamment à ces fondations.

En 1847, les idées de l’abbé Landmann vont se concrétiser à Medjez-Amar.

Bibliographie :
- L’abbé Landmann, curé d’Alger (1839-1872) et l’extinction du paupérisme par la colonisation – Mustapha Sammari -Chantiers historiques en Alsace – 2002 - Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
- Algérie, terre promise - Plaidoyer pour une Algérie française dans la pensée de Buchez et ses disciples (1830-1848) - Marie Lauricella - Journal of interdisciplinary history of ideas – 2015 - http://www.ojs.unito.it/index.php/j...

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