Accueil > Grands thèmes d’histoire locale > Descriptions des provinces et départements > Aunis > L’Aunis au 10ème siècle - La question du Pagus Alienensis
L’Aunis au 10ème siècle - La question du Pagus Alienensis
vendredi 24 août 2007, par , 2465 visites.
L’AUNIS AU Xe SIECLE - LA QUESTION DU PAGUS ALIENENSIS
Publié dans Roccafortis, 3e série, n° 9, janvier 1992, p. 5-20.
L’organisation administrative carolingienne est connue dans ses grandes lignes, essentiellement grâce aux capitulaires, mais elle peut être difficile à saisir à l’échelon local, du moins avec une certaine précision. Pour notre région, si la chronologie des comtes de Poitiers et d’Angoulême s’établit sans difficulté majeure, la situation politique devient confuse dans le pays de Saintes après la mort du dernier comte, en 866. Les vicomtes peuvent être appréhendés en Poitou et en Angoumois mais on n’en trouve pas trace en Saintonge. Quant aux vicaires, auxiliaires ruraux des comtes, ils n’apparaissent partout que comme souscripteurs d’actes et on relève leurs noms sans entrevoir leur succession. Parallèlement, l’organisation de l’Église est surtout perçue à travers les décisions des conciles et synodes, et les documents régionaux peuvent se révéler avares de renseignements sur la hiérarchie. Ce n’est pas le cas pour les diocèses de Poitiers et d’Angoulême au Xe siècle, dont les évêques sont relativement bien connus, mais, dans le même temps, le diocèse de Saintes se signale par son mutisme ; on remarque en particulier qu’aucun évêque, aucun archidiacre, ne se manifeste alors à l’occasion de nombreuses donations à des abbayes, en particulier de salines aménagées dans des terres d’églises.
![]() |
- - - - limite de département
+ + + + limite d’ancien diocèse o : vicairie de Bessac + : vicairie de Châtelaillon x : vicairie de St-Jean-Baptiste ● : vicairie de Saint-Jean |
Quant aux circonscriptions, la documentation ne permet pas de les définir. La raison principale est l’imprécision du vocabulaire de l’époque : il n’existe pas de correspondance entre les dénominations des charges et les noms des circonscriptions. Ainsi, dans les "chartes" de notre région, le comté n’est appelé ni comitas, ni comitatus, les deux mots du latin classique qui dérivent de comes ; les comtes sont présentés dans des formules du type comes Pictavorum [1], qui se réfèrent aux "peuples" tels qu’ils sont désignés depuis l’Antiquité, au temps des civitates. Comitatus apparaît bien dans de rares actes mais avec une acception sans rapport avec comes ; ainsi en est-il dans les chartes de Nouaillé, où on rencontre la localisation in comitatu Briosinse, en équivalence avec in pago Briosense d’autres actes [2]. Cette pratique de désignation des unités politiques ou administratives par les noms des "peuples" remonte aux temps des civitates : Pictavorum, Santonum, Engolismensium... On considère généralement comme des comtés ou anciens comtés les pagi Pictavus, Santonicus, Engolismensis, des textes médiévaux mais un doute subsiste, au moins sur leur étendue.
Le mot pagus, qui est lui aussi un héritage de l’Antiquité, n’a jamais eu un sens bien défini, tout comme notre mot "pays", qui en dérive. Au Xe siècle il est appliqué tantôt à des unités qui semblent correspondre aux comtés, tantôt à des unités plus petites. Parmi ces dernières on relève, pour le Poitou, outre le pagus Briosensis que nous avons signalé et qui est étymologiquement le "pays de Brioux", le pagus Toarcensis, "pays de Thouars", le pagus Metulensis, "pays de Melle"... On se demande alors si ces localités ont été des sièges d’autorité publique ou les agglomérations principales de contrées perçues comme présentant une certaine unité de paysage ou de peuplement. A la base de l’organisation, les nombreuses vicariae désignées dans les chartes sont moins énigmatiques : leur nom, qui dérive de vicarius, permet de les attribuer aux vicarii. Quant aux limites, elles ne peuvent être déterminées car la documentation est loin de couvrir l’ensemble des circonscriptions, en particulier sur ces limites.
Les divisions territoriales d’ordre ecclésiastique ne sont pas moins difficiles à saisir, les premiers "pouillés", qui les décrivent de façon plus ou moins précise, n’étant guère antérieurs au début du XIVe siècle. Le mot diocèse est à peu près inusité dans les actes connus, où c’est encore pagus qui en tient lieu. Ainsi Saint-Denis du Pin, qui est dit in pago Alniense, in viccaria santi Joannis en 1029 ou 1030 [3], selon une localisation de type carolingien, est situé in pago Santonico peu après [4], c’est-à-dire dans le diocèse de Saintes. Le cas de Saint-Martial, canton de Loulay, est peut-être plus net : vers 1040 (1039-1058), l’église de Saint-Martial, qui était incontestablement en pagus Alienensis au Xe siècle, est dite in pago Sanctonico, dans un acte où figurent les souscriptions de l’évêque de Saintes et de l’archiprêtre de Surgères [5]. Quant aux églises possédées par l’abbaye de Saint-Cyprien qui sont mentionnées dans un "privilège" du pape Calixte daté de 1119, leur liste se divise en deux parties : églises du diocèse de Poitiers, sans mention de circonscription, et églises du diocèse de Saintes, avec le sous-titre in pago Sanctonensi [6]. Ces citations sont postérieures à la période carolingienne mais elles incitent à s’interroger sur le sens du mot pagus aux IXe et Xe siècles : circonscription civile, circonscription ecclésiastique ou "pays géographique" ? Quant aux archidiaconés et aux archiprêtrés, on ne les identifie pas dans la même période, de sorte qu’on peut douter de leur existence. Mais, compte tenu de l’imprécision du vocabulaire de l’époque, à laquelle le vocabulaire ecclésiastique ne saurait échapper, il n’est pas exclu que les divisions des diocèses soient appelées elles aussi pagi ou vicariae, d’autant plus que l’organisation de l’Église est en partie au moins calquée sur l’organisation civile. Pour ce qui est des limites, elles ne peuvent être mieux appréhendées que celles des autres circonscriptions, et pour les mêmes raisons.
C’est dans cette perspective qu’il faut aborder l’étude du pagus Alienensis et de ses vicariae, que nous font connaître quelques dizaines d’actes, pour la plupart du Xe siècle. Pour ce pagus, les problèmes de désignation et de délimitation ne sont d’ailleurs pas les seuls. Son nom se présente dans les actes sous des formes qui ne permettent pas d’en déterminer la forme primitive, de sorte que les exégèses sont nombreuses.
Certains auteurs ont cru l’identifier dans la notice d’un plaid tenu par les missi du roi d’Aquitaine Louis, qui est datée de 795 ; c’est notamment le cas du père de Monsabert, qui a publié le texte dans le recueil des "chartes de l’abbaye de Nouaillé". Cependant les éléments d’identification sont des plus fragiles : une villa Pino, dont le nom n’a rien de singulier, est localisée dans un pagus Adeasnise qui n’est rien moins qu’énigmatique, ce nom, probablement défiguré, n’ayant sous cet aspect qu’un rapport assez lointain avec celui de l’Aunis [7]. Une autre notice, dans le cartulaire de l’abbaye de Saint-Maixent, signale qu’en 848 Pépin II d’Aquitaine, séjournant in Alnisio pago, a gagné l’abbaye pour y célébrer la fête de Pâques ; si la forme Alnisio trahit une copie tardive, la présentation des faits semble pouvoir être admise et, partant, l’existence du pagus [8]. On retrouve ce dernier en 869, dans un privilège accordé à l’abbaye de Charroux par le concile de Verberie : Colonas in pago Alninse [variante Alniense] situm [9], et en 892, dans une transaction concernant une saline : in pago Alieninse, in villa Tazdonnus [10]. Ce sont donc des mentions éparses pour le IXe siècle. Une véritable série ne commence que sous le règne de Raoul (923-936) pour se poursuivre régulièrement jusqu’à la fin du Xe siècle.
Seul un passage des Annales de Saint-Bertin relatif au traité de Saint-Benoît-sur-Loire, par lequel Charles le Chauve a abandonné l’Aquitaine à son neveu Pépin II, permet d’examiner l’éventualité d’un ancien comté : totius Aquitaniae dominatum ei permisit, preter Pictauos, Santonas et Elinenses. La leçon Elinenses, qui figure dans deux manuscrits, a été adoptée par les auteurs d’une édition récente [11], alors que leurs prédécesseurs l’avaient "corrigée" en Ecolinenses, qui aurait désigné le comté d’Angoulême. C’est ainsi que ces éditeurs ont considéré que Charles le Chauve s’est réservé l’Aunis en 845, tout en proposant d’ailleurs eux-mêmes une autre "correction", Elnisenses, inspirée par des considérations de forme et qui est plus mauvaise que la précédente. Leur position est cependant difficile à soutenir. Certes on ne peut à l’encontre avancer un argument d’ordre phonétique : une initiale El- a pu évoluer en Al- après la chute du i (Elinensis > Elnensis > Alnensis) et, si la finale -is ne peut s’expliquer à partir du simple -ensis, on se heurte à la même difficulté quand on envisage d’autres explications. Cependant, en présence d’un document unique et d’interprétation délicate, il n’est pas possible d’affirmer que l’Aunis a été un comté au milieu du IXe siècle.
Diverses solutions ont été proposées au problème de l’origine du nom. Certains ont vu dans le pagus Alienensis le territoire des Alani ou des Anagnutes. Ces explications sont à écarter d’emblée pour des raisons phonétiques évidentes. Dans la perspective d’une dérivation de toponyme, on a pu considérer notre pagus comme la circonscription du "castellum Alionis" (Châtelaillon) ; c’est l’opinion d’Amos Barbot [12]. Il existe aussi d’autres interprétations, plus ou moins fantaisistes, qui ne méritent pas un rappel. Nous en citerons cependant une, pour illustration : le nom dériverait du latin alnus "aune". On a objecté que les plateaux calcaires de l’Aunis ne sont pas le domaine de prédilection de cette essence. On aurait pu ajouter que l’explication de aune par alnus est contestée et, surtout, que le terme « aune » est inconnu au sud de la Loire où « vergne » (variante « verne ») se rencontre constamment.
Seule l’hypothèse "pays du castellum Alionis" mérite l’examen ; on ne peut en effet exclure une dérivation du type pagus Alionensis, sur le second élément du composé. Pourtant aucun des actes connus ne comporte la forme Alionensis ; c’est Alienensis qui figure dans les chartes originales de quelques abbayes poitevines, au Xe siècle. On peut alors supposer que les rédacteurs n’ont pas éprouvé le besoin de marquer la relation avec Alionis, se contentant de transcrire la prononciation de leur temps. Cependant, en y regardant de plus près, on constate que depuis 934 au moins, la prononciation est Aln-, comme le prouvent plusieurs pièces originales [13]. Les formes utilisées par les scribes ne sont donc que des interprétations. Ceci revient à dire que, pour la période qui nous a laissé les plus nombreux des documents, l’ignorance de la structure du toponyme, et probablement de l’origine du pagus, est générale chez les rédacteurs d’actes, qui sont les plus éclairés des moines, à une époque où ces derniers sont dépositaires de toute science.
Cette remarque n’écarte cependant pas l’hypothèse pagus Alionensis. On pourrait admettre une altération en Aloniensis, qui justifierait le radical Aln-, mais en tout état de cause la forme finale -is du suffixe fait difficulté : on ne peut citer aucun exemple certain d’évolution -iensis > -is dans toute la région où, par ailleurs, le n s’est palatalisé devant yod. Certes ce détail phonétique est secondaire mais il doit être signalé dans la mesure où il accroît la difficulté d’interprétation. En présence de ces incertitudes, on ne saurait se prononcer définitivement sur la formation et la signification du terme.
Si l’origine du pagus doit bien être qualifiée d’"obscure", pour reprendre une qualification consacrée par l’usage, les vicairies et plusieurs lieux présentés comme situés dans les vicairies et le pagus peuvent être identifiés sans trop de difficultés. Ces identifications sont acquises, pour l’essentiel, depuis un siècle et demi : c’est en 1845, en effet, que Léon Faye a présenté à la Société des Antiquaires de l’Ouest une étude intitulée "Recherches géographiques sur les vigueries du pays d’Aunis", qui est excellente pour l’époque [14]. Ce juriste a mis au service de la recherche historique une méthode sûre d’investigation ; de plus, résidant à Poitiers, il a pu explorer systématiquement les archives des abbayes, qui n’étaient pas encore publiées, utilisant notamment les copies de la collection Fonteneau et les quelques originaux qui ont traversé les siècles sans trop de dommages. C’est pourquoi, dans sa thèse publiée en 1984, A. Debord a estimé que cette étude "est exhaustive et dispense de commentaire" [15]. Il reste cependant quelques détails à revoir et quelques particularités à signaler.
Les limites du pagus ne peuvent être précisées, pour la raison que nous avons indiquée. Au nord, les points extrêmes connus sont un lieu appelé Tregectus, sur la Sèvre [16], Coulon et Bessac (quartier de Niort), sur la rive droite du même fleuve, Magné et Saint-Florent sur la rive gauche. A l’est, Sansais, Frontenay (Rohan-Rohan) et Rançon (Prin-Deyrançon), se situent dans la partie de l’ancien diocèse de Saintes qui a été rattachée aux Deux-Sèvres. Ensuite on gagne la Boutonne par Doeuil (sur le Mignon) et Saint-Séverin [17]. C’est alors que la limite apparaît le plus nettement, la Boutonne séparant Antezant et Saint-Jean d’Angély, d’une part, sur la rive droite, qui sont dans le pagus Alienensis, d’Aulnay, Varaize et Fontenet sur la rive gauche, le premier dit in pago Pictavo, les autres in pago Santonensi. La limite méridionale n’est pas perceptible, l’île d’Albe constituant le seul point connu en direction de la Charente et de la Boutonne. Quant au front ouest, il apparaît constitué par la mer, depuis Esnandes jusqu’à Yves. Dans cet ensemble, la rivière la Guirande, au nord de Frontenay, représente peut-être une limite plus ancienne.
On identifie trois vicairies. La mieux caractérisée est la vicaria Bassiacensis, qui est signalée entre 936 ou 937 et les environs de l’an 1000 ; elle comprend un groupe assez homogène de localités ou de terroirs, aux environs de Niort, notamment Coulon, Bessac (localité centre), Magné, Saint-Florent, Saint-Symphorien, Sansais et Frontenay. Les deux autres sont appelées presque constamment vicaria sancti Johannis, donc sans possibilité de distinction. Un seul acte, des environs de 995, qui est relatif à Antezant, précise : in vicaria sancti Joannis Baptistae, c’est-à-dire dans la vicairie de l’église abbatiale d’Angély. Une vicaria de castro Alloni apparaît dans le même temps, pour un marais côtier dit Agernus, mais elle est signalée un quart de siècle plus tôt, en 968 ou 969, au sujet d’un marais dit de Cougnes ou de Fétilly, sous le nom de vicaria sancti Johannis de Castello Aloni, c’est-à-dire du saint patron de l’église de Châtelaillon. En d’autres termes, deux des trois vicairies sont présentées comme ayant des églises pour sièges. Il est probable qu’on a confondu les vicairies civiles d’Angély et Châtelaillon avec des vicairies ecclésiastiques constituées dans la dépendance des églises de ces localités.
D’après le pouillé appelé "pancarte de Rochechouart", au début du XIVe siècle quatre archiprêtrés, de Mauzé, de Surgères, de la Rochelle et de Saint-Jean-d’Angély, se partagent un territoire délimité par la Sèvre, l’océan, la Charente et la Boutonne, territoire qui semble correspondre, y compris la portion située au nord de la Sèvre, au pagus Alienensis tel qu’on peut l’entrevoir au Xe siècle [18]. Ce dernier pourrait être ainsi, à la fin de la période carolingienne, une circonscription ecclésiastique préfigurant l’archidiaconé d’Aunis, autant qu’une division administrative dont l’existence n’est pas prouvée. Les deux premiers archiprêtrés ont pour centres des localités pourvues de châteaux. Si l’archiprêtre de Surgères n’est désigné que vers 1040 [19], le château du lieu est signalé en 992 [20]. L’archiprêtré a dû être constitué par démembrement des vicariae de Châtelaillon et de Saint-Jean-d’Angély. L’existence du château de Mauzé est suggérée à la date de 1039 par la "chronique de Saint-Maixent" [21] ; l’archiprêtré semble correspondre, grosso modo, à la vicairie de Bessac, que nous ne connaissons toutefois que comme circonscription civile. La Rochelle a remplacé Châtelaillon comme centre politique et religieux pour une raison bien connue. Quoi qu’il en soit de ces supputations, on remarque que les localités de Bessac, Châtelaillon et Saint-Jean-d’Angély sont dans des positions on ne peut plus excentriques, dans le pagus et dans leur vicaria, ce qui doit s’expliquer non seulement par leur caractère de vici quand elles ont été choisies pour sièges de circonscriptions mais aussi par un faible peuplement dans la partie centrale du pagus.
A ces incertitudes se juxtapose cependant une évidence : depuis 934 au moins les comtes de Poitiers sont installés dans le pagus et, dans le même temps, aucun personnage connu ne peut être considéré comme chargé d’un commandement dans le même pagus. On a maintes fois cité un acte daté de janvier 934, par lequel le comte de Poitiers Eble concède une "aire" pour faire des salines, à Angoulins, à la demande d’un de ses vassaux qui la tenait de lui [22]. Peu après, en janvier 942, l’autorité du comte Guillaume Tête d’Étoupe s’exprime à une autre extrémité du pagus : c’est à la demande d’Eble, frère du comte, que le roi Louis IV d’Outremer rétablit la régularité bénédictine dans l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély [23]. Mais c’est Guillaume Fièrebrasse qui affirme la domination comtale en donnant ou restituant différents biens à l’abbaye des bords de la Boutonne, notamment à Benon, Muron, l’île d’Albe, Esnandes... , et en concédant à celle de Nouaillé un important alleu à Saint-Sauveur-d’Aunis [24]. Quant à une éventuelle délégation de pouvoir par ces comtes, le seul cas à examiner est celui d’un Mainard et de son fils Gombaud, qui sont l’un et l’autre qualifiés de vicomtes. Ces personnages se manifestent comme propriétaires et comme souscripteurs, mais rien ne permet de leur attribuer une charge quelconque [25]. Ce ne sont pas des vicomtes des comtes de Poitiers ; alors que les trois vicomtes poitevins connus paraissent régulièrement dans l’entourage immédiat des comtes, dont ils souscrivent les actes en bonne place, le plus souvent groupés, c’est dans une foule de quarante-cinq personnes qu’il faut rechercher le vicomte Mainard, à l’occasion d’une importante et solennelle donation de Guillaume Fièrebrasse [26].
Si les comtes de Poitiers exercent sans conteste leur autorité dans le pagus, les possesseurs identifiables sont surtout des Poitevins. Ce sont des soldats, comme les vicomtes Aimeri et Arbert [de Thouars] [27], Chalon [d’Aulnay] [28] et Acfred [de Châtellerault] [29], Ebbon de Château-Larcher [30] et son fils Achard [31], et des clercs comme Rothard, abbé de Nouaillé [32]. Dans les confrontations d’une seule saline d’un marais appelé Scala, on remarque une terre de l’évêque Eble, frère du comte Guillaume Tête d’Étoupe, une autre d’Ebbon de Château-Larcher, une troisième de Launon, qui est connu d’autre part comme archidiacre et abbé de Sainte-Marie de Poitiers [Notre-Dame-la-Grande] [33]. De plus, dans les dernières années du Xe siècle, on identifie comme possesseurs plusieurs habitants de Niort [34]. Les abbayes bénéficiaires des donations sont les abbayes poitevines de Saint-Cyprien, Saint-Maixent, Nouaillé, sans oublier, bien sûr, Saint-Jean d’Angély, la seule communauté monacale importante existant alors dans le pagus et même dans le diocèse de Saintes, si l’on excepte le lointain monastère de Baignes.
C’est d’ailleurs le cartulaire de Saint-Jean-d’Angély qui réunit les plus nombreux des actes et notices concernant le pagus. Les moines y copient ou y analysent les "chartes" qui font connaître l’origine de leurs biens, en particulier les salines, certaines donations étant même mentionnées deux fois. On trouve aussi dans ce recueil une liste des cens qu’ils perçoivent en muids de sel sur chaque saline et des états comportant localisation, origine et nombre des aires. Un de ces états comporte 59 articles pour un total d’environ 4 000 aires, soit en moyenne 68 aires par saline, les plus petites comptant 20 aires, la plus grande 220 [35]. Quant aux moines de Nouaillé, pour lesquels notre documentation est fragmentaire en l’absence de tout cartulaire, ils expriment leur intérêt pour le sel en citant les Écritures dans les formules liminaires : "Domino dixisse : Bonum est sal, si autem sal evanuerit, in quo condietur" [36], "Domino dicente in Evangelio : Bonum est sal" [37].
Beaucoup de ces salines ont été aménagées dans des terres d’églises. L’exemple le plus caractéristique est celui de l’église aujourd’hui disparue de Saint-Nazaire d’Angoulins. On a vu qu’en 934 le comte Eble dispose d’une terre salée en ce lieu, qui est dite alors in rem sancti Nazarii. En octobre 1000, Guillaume le Grand donne l’église à l’abbaye de Bourgueil fondée par sa mère, en même temps que celle de Saint-Pierre, qui s’est maintenue jusqu’à nos jours [38]. Entre temps, pendant deux tiers de siècle, toutes les salines d’Angoulins, qui sont situées dans plusieurs marais, sont dites in rem sancti Nazarii. Cependant il n’est pas possible d’identifier toutes les églises signalées comme possédant les fonds des salines, faute de connaître l’état ecclésiastique de l’époque ; certains fonds ont pu être la propriété d’églises locales disparues sans laisser de traces dans les archives, d’autres d’églises plus ou moins éloignées [39].
Dans le dernier tiers du Xe siècle, la notion de vicaria circonscription s’estompe : ainsi la villa de Muron est alors dite in pago Alieninse, in vicaria ipsius pagi [40] et celle de Lozay in pago Alieninse, in vicaria ipsius [41]. Vers la fin du même siècle, la villa de Brenier (commune du Bourdet) est localisées in pago Niortinse, in ipsa vicaria [42] et celle de Insgeriacus, in pago et in vicaria Niortinse [43]. Il s’agit désormais de la vicaria castri, en l’occurrence du château de Niort. En octobre 1000, les églises d’Angoulins sont présentées comme in pago Pictavensi, in territorio Alniensi [44]) ; le terme pagus désigne ici incontestablement le comté. C’est le temps où un propinquus de la comtesse Emma, nommé Eble, est chargé par le comte de Poitiers de garder le castellum Alionis, tout proche d’Angoulins. A partir du XIe siècle, les localisations précises se font rares dans les actes ; désormais le pagus Alniensis ne sera mentionné que pendant quelques décennies, par tradition. On conservera cependant le mot Aunis, dans des conditions et avec une valeur qu’il conviendrait d’étudier, mais c’est un autre sujet qui n’est certainement pas plus facile à traiter que celui que nous avons abordé.
Abréviations
AHP : Archives Historiques du Poitou (III : cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers ; XVI : chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Saint-Maixent ; XXXIX : chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Charroux ; XLIX : chartes de l’abbaye de Nouaillé).
AHSA XXX et XXXIII : cartulaire de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély.
ANNEXES
1. Le nom du pagus dans les pièces originales - forme Alienensis : 892 (AHP XVI 6 p 17), 939 (AHP XVI 14 p 27), 942 (AHP XLIX 54 p 94), 961-994 (AHP XLIX 62 p 105), 964 (AHP XVI 31 p 46-47), 967 (AHP XVI 35 p 51-52), 967 (AHP XVI 36 p 52-53), 978 (AHP XVI 44 p 60-61), 983 ou 984 (AHP XVI 45 p 61-62), 991 (AHP XLIX 76 p 128), 991 (AHP XLIX 77 p 130), 992-996 (AHP XLIX 80 p 135), 993, 996 ou 1002 (AHP XLIX 86 p 145), 996 (AHP XLIX 89 p 151) ; ![]() ![]() |
2. Les vicairies et les localités - vicairie de Bessac
|
3. Les marais salants - Ais ?, lieu non identifié : in marisco Axins, vers 982 (AHSA XXXIII 394 p 58) ; in marisco Axins (variante de manuscrit Axius) vers 982 (AHSA XXXIII 360 p 25) ; in loco Aisis (AHSA XXXIII 365 p 29, rappel des deux donations précédentes). ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Dans les confrontations, il s’agit des églises de Saint-Etienne d’Aytré, de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély et d’une église Saint-Sauveur dont l’identité nous échappe. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Ce marais est appelé d’autre part mariscus Aiernus, à propos des salines Sandraldi et Runcia ci-dessus et une saline confrontant de tribus partibus terra sancti Martini est dite dans le même marais (AHSA XXXIII 358 p 23, notice concernant plusieurs salines). Il semble que le masculin Aiernus s’explique par un accord avec mariscus. Par ailleurs, une autre saline est localisée dans un mariscus Agarnius et in rem sancti Martini (AHP XVI 35 p 52), de sorte qu’il peut aussi s’agir du "marais de la Jarne". Enfin les localisations in marisco Agernus, in rem sancti Salvatoris (AHSA XXXIII 380 p 46 ; rappel de cet acte AHSA XXXIII 358 p 23, avec forme Aiernus) et in marisco Agerni, de duabus partibus terra sancti Salvatoris et sancti Stephani (AHP III 521 p 315 et note 1), se rapportent peut-être au même marais, s’ils font référence à Saint-Etienne d’Aytré.
|
4. Noms de salines A. Noms d’anciens possesseurs : Les références des noms renvoient à Marie-Thérèse Morlet, Les noms de personnes sur le territoire de l’ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, deux tomes, CNRS, 1971 et 1972. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() B. Qualificatifs : - Clara (AHP XLIX 76 p 128) : claire ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() C. Divers : - Alodus (AHP XVI 307 p 330-331) : l’alleu ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
5. Pêcheries côtières (signalées ou non comme situées dans le pagus) - Angoulins, vendas à mettre 12 rets en mer, 990 ou 991 (AHP III 540 p 322) ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
6. Vignes Les mesures de superficie sont celles qui figurent dans les actes, toute traduction étant vaine si elle n’est pas accompagnée d’une définition précise. Pour les localisations, nous renvoyons à l’annexe 2 : les vicairies et les localités. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
[1] S. Willelmi Pictavorum comitis, 932-936, AHP III 118 p 87 ; 936, Ibid. 4 p 6...
[2] In alio pago [précédemment in pago Pictavo], in comitatu Briosinse, in villa Curbenaco, 992-1014, AHP XLIX 81 p 137 ; in pago Pictavo, in comitatu Briosinse, in viccaria Metulense, in villa Votallio, 992-1014, Ibid. 85 p 143.
[3] AHSA XXX 48 p 76.
[4] Ibid. 49 p 77.
[5] AHP III 474 p 291.
[6] Ibid. 13 p 17-18.
[7] AHP XLIX 7 p 11.
[8] AHP XVI 5 p 9.
[9] AHP XXXIX p 22.
[10] AHP XVI 6 p 17.
[11] Félix Grat, Jeanne Vielliard, Suzanne Clémencet, avec introduction et notes de Léon Levillain. Société de l’Histoire de France, Paris, Klincsieck, 1964, p 50 et note 2.
[12] AHSA XIV p 33.
[13] Pour les références de ces pièces, et, d’une façon générale, pour toutes les références qui ne font pas l’objet de notes spéciales, se reporter aux "pièces annexes", en fin d’article.
[14] Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, année 1845, p 351-434.
[15] A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, Xe-XIIe s., p 84.
[16] AHP III 545 p 324 et note p 438-439.
[17] L’église de Saint-Séverin est dite in pago Alniense, in villa quae dicitur Castello Ostendo, dans une charte de Saint-Jean-d’Angély que l’éditeur date des environs de 956 (AHSA XXX p 90). Voir aussi, pour le castellum, A. Debord, op. cit., châteaux 6 p 456 et mottes 64 p 479.
[18] "Le diocèse de Saintes depuis le XIVe siècle, d’après le pouillé dit de Rochechouart et autres états" ; carte dessinée par sœur Christiane Mathioly, Carmel d’Amiens, sans date.
[19] AHP III 474 p 291.
[20] AHP XVI 60 p 76.
[21] J. Verdon, La chronique de Saint-Maixent, édition "Les Belles Lettres", 1979, p 118-119.
[22] AHP III 528 p 318.
[23] AHSA XXX 1 p 11.
[24] AHP XLIX 74 p 122-125.
[25] Pour les possessions et les interventions de Mainard et Gombaud, voir A. Debord, op. cit., p 80-81.
[26] AHP XLIX 74 p 122-125.
[27] AHSA XXXIII 363 p 27 et 398 p 63.
[28] AHP III 459 p 284 ; AHP XVI 29 p 44 et 31 p 46-47 ; AHSA XXXIII 361 p 25-26.
[29] AHP III 517 p 313.
[30] AHP III 401 p 251, 402 p 254, 532 p 320 ; AHSA XXXIII 380 p 46-47.
[31] AHP III 507 p 307, 508 p 308, 521 p 315 ; AHSA XXXIII 369 p 24.
[32] AHP XLIX 51 p 89-90.
[33] AHSA XXXIII 402 p 66.
[34] AHP XVI 46 p 62-63, 54 p 69-70, 60 p 75-76 ; AHP XLIX 89 p 151.
[35] AHSA XXXIII 365 p 29-31.
[36] AHP XLIX p 94 et 134.
[37] Ibid. p 105.
[38] Besly, Histoire des comtes de Poictou, édition de 1647, preuves p 356-357.
[39] On trouvera dans l’annexe 3 les saints patrons des églises locales et des citations qui mentionnent les églises propriétaires des fonds.
[40] AHSA XXX 192 p 232.
[41] Ibid. 68 p 97.
[42] AHP III 556 p 327.
[43] Ibid. 554 p 327.
[44] Besly, Histoire des comtes de Poictou, édition de 1647, preuves, p 356-357.