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La Jarne (17), par Louis-Etienne Arcère (1698-1782)

lundi 2 février 2009, par Pierre, 815 visites.

A propos de la Pierre Levée de la Jarne, Arcère nous fait participer à un débat sur un sujet controversé depuis des siècles : les monuments mégalithiques et leur destination. Sa logique d’historien rigoureux lui permet de formuler des hypothèses tout à fait perspicaces.

Voir : Carte satellite des lieux décrits par Louis-Etienne Arcère

Source : Histoire de la ville de la Rochelle et du Pays d’Aulnis - Louis-Etienne Arcère - La Rochelle - 1756 - Books Google

La Jarne

La Jarne : la Pierre Levée

La Paroisse de la Jarne, en latin Agerna, comme on lit dans une Charte de 1308 [1], & Agerin dans une Charte du dixième siecle [2], confine à celle de Périgni & d’Aitré. On y voit encore un de ces anciens monumens, vulgairement nommé Pierre levée.

La Pierre levée de la Jarne est placée sur une éminence, d’où la vue s’étend au loin. Un grand quartier de pierre long de huit pieds, inégalement massif, depuis dix-nuit pouces jusqu’à deux pieds d’épaisseur, est soutenu par trois autres pierres ou piliers hauts de trois pieds huit pouces. Dans le vuide que laissent ces appuis, il y a une pierre renversée qui servoit de quatrième pilier.

La Pierre levée est brute & informe, & ne paroît pas être de la nature du moilon que l’on trouve dans le pays d’Aulnis. Le Pilier tronqué, lequel a été brisé sous le Marteau, fait voir dans l’intérieur de sa masse, une matière raboteuse, blanchâtre , assez mal liée, enveloppant dans sa substance des coquillages tels que des cornes d’ammon.

Les pierres levées sont connues en bas Poitou, en Aulnis & en Saintonge. Il seroit inutile de discuter la date de l’érection de ces sortes de monumens ; mais les savans en recherchent encore les causes. Everard Otton [3] prétend qu’ils étoient érigés à l’honneur des Dieux des chemins , & que ces pierres , soit qu’elles fussent chargées de quelque inscription , soit qu’elles fussent absolument brutes, étoient un objet religieux pour la superstition payenne, qui les oignoit d’huile & les ornoit de guirlandes de fleurs & de bandelettes. Cet auteur ajoute que les tas de pierres amoncelées qu’on remarque encore en certains endroits, étoient des manières d’autels dressés à la hâte par les voyageurs. Le docte Allemand fortifie ses preuves de l’autorité du savant Huet. M. Dreux du Radier [4] qui, dans sa lettre sur la pierre levée de Poitiers, se déclare pour un objet de culte, cite à ce sujet le Lévitique, où il est dit « vous ne placerez point sur la terre de pierre remarquable pour l’adorer » : il trouve encore dans un Canon du Concile de Nantes une injonction de renverser toutes les pierres placées dans les bois, ou dans les lieux écartés, auxquelles les Chrétiens superstitieux de ces temps rendoient encore un culte injurieux à la Divinité.

On peut faire venir à l’appui de cette conjecture l’explication d’un lieu nommé Crac Martis, situé in pago Pictavensi, comme il appert par une Charte qui m’a été communiquée par le R. P. Fonteneau de la Congrégation de S. Maur. Je suis persuadé que ce Crac Martis ne pouvoit être qu’un Autel rustique fait de pierres brutes, consacré au Dieu Mars. Aussi Cambden observe-t-il que Craig, Crag ou Carreg, signifie en Celtique une pierre, un rocher. Les campi lapidei de Provence, près d’Arles, s’appellent crau.

Quelques-uns pensent que ces pierres levées ont été érigées en vue d’éterniser le souvenir d’un événement mémorable. En effet, selon Pétrone, on en avoit élevé sur les Alpes, à la gloire d’Hercule, ce redoutable fléau des brigands. Du temps de Ciceron [5] on voyoit au pied du Mont Amanus les Autels du grand Alexandre, lesquels retraçoient encore la célèbre journée qui fit perdre à Darius le plus vaste Empire de l’Univers. Ce fut sur de pareils trophées construits aux bords du Rhin & en Syrie, que la juste reconnoissance des Romains [6] fixa le souvenir des victoires de Germanicus.

D’autres regardent ces monumens presque tous placés sur des hauteurs, comme des tombeaux dépositaires des cendres d’un Guerrier ou d’un Chef illustre. Virgile qui a su enchasser dans ses fictions poétiques, les usapes de son temps & les coutumes des Peuples, nous apprend qu’Enee fit placer sur une haute montagne, un Mausolée au brave Misene,

At pius Æneas ingenti mole sepulchrum
Imponit suaque arma viro, remumque tubamque
Monte sub aerio... [7]

Dans le onzième livre de l’Enéide, un grand monceau de terre sur une éminence, forme le tombeau de Dercennus, ancien Roi des Laurentins. Servius remarque à ce sujet qu’anciennement on enterroit au pied des monts, & sur les montagnes même, les personnes qui tenoient dans le monde un rang de distinction, & que de-là est venu l’usage des pyramides & des colonnes sépulchrales.

Olaus Magnus, Archevêque d’Upsal , rapporte dans son Histoire , que c’étoit la coutume des Goths, d’élever dans les champs & sur des montagnes, des pierres de dix, quinze, trente pieds de haut, sur quatre ou cinq pieds de large : c’étoient des trophées érigés après le succès d’une bataille, ou des mausolées sous lesquels les grands de la nation étoient inhumés. Les Goths, dont les migrations sont si célèbres, en s’établissant dans les Gaules, y ont introduit les loix, les mœurs & les coutumes de leur patrie : ils auront d’abord élevé eux-mêmes de pareils monumens, telle qu’étoit la pyramide de l’Abbaye de Beaulieu, près de Loches, & sur laquelle étoient gravés des caracteres gothiques [8] ; cet usage se sera ainsi conservé. Ces tombeaux, dit un Savant du Nord [9], étoient semblables à de grandes portes que formoient plusieurs pierres de dix, quinze, vingt ou trente pieds de hauteur, situées perpendiculairement, & sur le haut desquelles on en mettoit de transversales. Telles sont les pierres levées de Poitiers, de la Jarne, &c.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que les Peuples de la Virginie en Amérique, élèvent de grands monceaux de pierres sur les lieux où il s’est donné des combats, & mettent autant de pierres qu’il y a eu d’hommes tués sur la place. [10]

De ces diverses opinions, il résulte que la pierre levée de la Jarne aura été ou un tombeau, ou un monument de victoire, peut-être même un Autel ; mais elle n’a aucune marque particulière qui fasse l’indication de l’usage auquel elle a été destinée. Dans cette incertitude, il semble que l’autorité du savant M. Lebœuf doive nous déterminer pour le tombeau. « Je conclus, dit cet habile homme, que comme pierre écrite signifie un lieu où il y a eu une pierre chargée d’inscriptions, aussi pierre levée, par-tout où il se trouvera , signifiera probablement un lieu où il y a une tombe élevée en mémoire de quelque sépulture notable » [11].

Mais quel peut être le Seigneur ou Chef de nation enseveli sous la pierre levée de la Jarne ? L’Histoire ne nous apprend rien à cet égard. Je croirois presque que ce seroit un chef de ces Visighots entièrement défait près de Poitiers, en 507. Clovis battit Alaric leur Roi, & le tua d’un coup de lance. Les Francs, après un grand carnage, poursuivirent le reste de l’armée, & massacrerent un grand nombre de fuyards. Un peloton de ces Barbares fugitifs sera venu se cantonner dans les marais & les bois de l’Aulnis , où il aura perdu son Chef déjà couvert de blessures, à la mémoire duquel on aura dressé aussi-tôt ce monument brute qui subsiste encore aujourd’hui.


[1Gall. Christ. Pag. 287.

[2Besly, pag. 277.

[3De diis vialibus

[4Journ. de Verdun, Fév. 1752.

[5Lib. 15 ad Famil. Epist. 4

[6Tacit. Annal. Lib. 2

[7Lib 6 Æneid.

[8Cosmog. de Thevet, tom. 1, p. 31.

[9Rhysel. de sepult. vet. Suevo-Got.

[10Journ. des Sav. Avril. 1681.

[11Diss. sur l’Hist. eccles. & civile de Paris, t. 1, p. 337

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