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Monuments celtiques ou gaulois de Charente - Inventaire de 1826

dimanche 30 mars 2008, par Pierre, 8990 visites.

Extrait d’un mémoire communiqué à la Société, ayant pour titre : Recherches sur les Monumens anciens et modernes du département de la Charente, par M. commissaire pour la conservation des Antiquités dans ce département.

L’auteur (probablement Mr. Chaudruc de Crazannes) fait aussi le ménage dans les légendes qui entourent ce lieux.

Source : Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères publiés par la Société Royale des Antiquaires de France - Paris - 1826

Monumens celtiques ou gaulois. Ces monumens sont des pierres debout, des pierres levées, des pierres inclinées, et des mottes ou tumulus.

PIERRES DEBOUT. — A cinq ou six cents mètres d’Etagnat [NDLR : Etagnac], dans la commune du même nom, et sur la route qui mène à Confolens, route qui n’a jamais été ferrée, existe une pierre brute de forme irrégulière, et simplement posée sur le sol. Elle a évidemment été brisée en plusieurs endroits, et ne conserve guère plus d’un mètre de hauteur ; sa largeur à la base est d’environ un mètre cinquante centimètres, et son épaisseur moyenne de cinquante centimètres seulement ; sa face, la plus large et la moins irrégulière, est tournée vers le soleil levant. Quoique cette pierre, située au milieu de la route offre un volume peu considérable, on ne s’est point donné la peine de la déplacer, et les voyageurs sont obligés de tourner à droite ou à gauche pour ne pas la heurter.

Dans l’arrondissement de Confolens, se voit à l’extrémité d’un champ, près d’un petit village qu’on nomme le Repaire, dans la commune d’Esse, à peu de distance de la route de Lesterps à Confolens, et, sur le bord de celle qui mène à Brigneuil, une pierre bru te, de forme à peu près pyramidale, ayant deux mètres soixante centimètres de hauteur verticale, un mètre quatre-vingts centimètres de largeur à la base, et environ un mètre d’épaisseur moyenne ; la face la plus unie est tournée et légèrement inclinée vers le soleil levant. Cette pierre est d’une espèce de roche granitique très-dure et très-abondante dans le pays, quoiqu’on n’en aperçoive pas aux environs du lieu où elle est située. D’après la pesanteur spécifique qu’on peut raisonnablement lui supposer, elle offre un poids absolu de plus de dix mille kilogrammes.

Nous n’avons vu que ces deux pierres debout » Nous croyons qu’il en existe une troisième dans les environs de la Rochefoucault, mais nous ne l’avons pas visitée.

PIERRES LEVEES. — Sur le bord de la route de Cognac à Saint-Brice, à l’extrémité d’un champ, dans la commune de Saint-Martin, et vis-à-vis le petit hameau de Céchebée, à un kilomètre nord-est de Cognac [NDLR : ce dolmen semble correspondre à celui qui se trouve à Cognac, dans le quartier de l’Échassier, au coin de la rue de l’Échassier et la rue du dolmen.] on voit une grande pierre plate, de la nature de celle qu’on trouve à la surface des carrières, et qu’on appelle vulgairement chaudron. Elle était originairement placée horizontalement sur d’autres pierres brutes de même nature. Mais quelques-unes de ces pierres s’étant affaissées, une moitié de celle qui les recouvrait s’est, par son propre poids, détachée de l’autre moitié, en sorte que l’un des fragmens est maintenant horizontal, et l’autre incliné vers le nord-est. La pierre entière, de forme à peu près parallélogranique [sic], avait environ cinq mètres de longueur, trois de largeur, et quarante-cinq centimètres d’épaisseur moyenne. Ainsi, d’après la pesanteur spécifique qu’on peut lui supposer, elle devait peser au moins douze mille kilogrammes ; ce dolmen est trop peu élevé au-dessus du sol pour qu’on puisse le regarder comme une cellule dans laquelle on ait pu se retirer.

On rencontre, à l’extrémité de la commune de Segonzac, près des limites de celles de Mainxe et de Saint-Méme, à cent mètres environ d’un chemin très-connu dans le pays sous le nom de chemin borné [NDLR ce chemin est généralement appelé « le chemin boiné »], et sur lequel nous reviendrons à l’article des Antiquités romaines, une pierre énorme supportée par six autres pierres beaucoup plus petites, et disposées sans aucune symétrie. Son propre poids et quelques fissures augmentées par l’infiltration des eaux * en en ont déterminé la rupture dans la partie où elle n’était pas soutenue, c’est-à-dire vers le milieu, en sorte qu’elle présente aujourd’hui deux fragmens qui se contre-boutent ; les ronces et les épines l’environnent de toute part. Elle est placée à l’extrémité dune vigne, et le lieu se nomme la Pierre-Levée.

Sur le penchant d’une colline, au milieu d’une bruyère dépendant de la terre de Garde-Epée, dans la commune de Saint-Brice, existe un dolmen fermé de deux grosses pierres plates de forme très-irrégulière, posées sur cinq appuis, dont quatre supportent le plus gros bloc. La plus volumineuse de ces pierres a trois mètres de long sur trois de large, et environ six mètres d’un angle à l’autre, en suivant la plus longue diagonale ; la seconde, à peu près carrée, n’a pas plus d’un mètre soixante centimètres de côté. Dans le principe, elles étaient sans doute plus rapprochées qu’elles ne le sont aujourd’hui ; mais elles ont probablement été désunies par les fouilles que quelques paysans ont voulu, dit-on, faire au-dessous, dans l’espoir d’y trouver un veau d’or. Ces fouilles ont été infructueuses ; mais il n’y a pas apparence qu’on les ait poussées très-avant.

Des monumens celtiques qui existent dans l’arrondissement de Cognac, le plus étonnant est celui qu’on remarque dans la commune de Saint-Fort-sur le-Ney, à un kilomètre nord-est de Saint-Fort, et à six cents mètres environ d’un petit village appelé Lavaure ; c’est une table d’un gros caillou rougeâtre, d’une forme à peu près carrée, mais irrégulière, ayant environ sept mètres cinquante centimètres suivant la plus longue diagonale ; six mètres trente, suivant l’autre diagonale, et environ quarante-cinq centimètres d’épaisseur moyenne, d’où il résulte qu’elle pèse au moins quarante mille kilogrammes, sa pesanteur spécifique devant être très-considérable à cause de sa grande dureté. Ce caillou est supporté par trois, pierres debout, d’une espèce de roche très-commune, et qui s’élèvent d’un mètre quarante centimètres à un mètre cinquante centimètres au-dessus du sol ; la plus grande a environ deux mètres de largeur sur cinquante centimètres d’épaisseur moyenne ; les deux autres n’ont qu’un mètre de largeur. Dans l’intervalle de ces supports, se trouvent des pierres informes qui paraissent réunir leurs bases, mais qui sont en partie recouvertes par la terre environnante. Ceci semblerait indiquer que l’intérieur était un véritable sépulcre. Cependant le propriétaire actuel du terrain qu’occupe ce monument , assure que son père le fit fouiller à plusieurs pieds de profondeur, il y a environ soixante ans, mais qu’il n’y trouva rien, n’ayant pas d’ailleurs voulu pousser plus loin sa tentative., dans la crainte de quelque accident : la recherche banale du veau d’or était l’objet de cette entreprise. J’ignore jusqu’à quel point ce rapport est exact ; mais quand il n’existerait maintenant aucun sarcophage sur le dolmen de Saint-Fort, on ne serait pas en droit d’en conclure qu’il n’y en avait pas autrefois ; d’autres, guidés par le même motif, peuvent bien avoir fait, à une époque antérieure, des fouilles dont nous ignorons le résultat. Il parait même vraisemblable qu’on en a retiré quelque chose de volumineux, car on est obligé de se baisser un peu pour entrer sous le toit du dolmen ; mais y étant, on se tient facilement debout, parce que le terrain est affaissé.

Ce monument paraît d’autant plus extraordinaire, qu’il n’existe dans le pays aucune pierre d’une nature analogue à l’énorme caillou qui en fait la principale partie, et que les pierres qui supportent ce caillou, semblent n’être maintenues dans une position verticale, que par le poids considérable dont elles sont surchargées.

Les gens du pays prétendent que la sainte Vierge apporta cette pierre énorme sur sa tête ; qu’elle avait en même temps les quatre piliers dans son tablier, mais qu’elle en laissa tomber un dans la mare de de Saint-Fort, c’est-à-dire en traversant la petite rivière de Ney, et qu’en conséquence il n’en resta plus que trois. Cette pierre, ainsi que toutes les autres de la même nature, est placée dans un lieu élevé. Etant dessus, l’on découvre, du côté de la Saintonge, un pays du plus riant aspect.

A l’extrémité sud-est de la commune de Fontenet [NDLR : Fontenille], est une vigne dite de la Perotte, où l’on remarque deux pierres levées très-considérables, et de la même nature que celles que nous venons d’examiner. Elles ne sont éloignées l’une de l’autre que d’environ cinquante mètres, et se trouvent sur une ligne dirigée du nord au sud ; la première, celle qui est au nord, a environ quatre mètres cinquante centimètres de longueur, sur deux mètres soixante centimètres de largeur moyenne, et un mètre vingt centimètres d’épaisseur : elle est posée horizontalement sur quatre pierres debout, dont trois se touchent, en sorte qu’une portion considérable se trouve en porte-à-faux. Les supports s’élèvent peu au-dessus du sol, parce qu’en cet endroit le terrain se trouve un peu exhaussé par des terres rapportées : néanmoins on peut pénétrer sous la pierre levée en se tenant très-courbé.

L’autre est encore plus considérable, quoique par le laps de temps il s’en soit détaché un bloc d’environ cinq mètres cubes ; elle a cinq mètres vingt centimètres de longueur, sur quatre de largeur et deux d’épaisseur. En quelques endroits, les piliers qui la supportent sont presque entièrement couverts par des terres rapportées, en sorte qu’elle semble posée sur le sol ; mais, en déblayant l’espèce de môle formé autour, on pourrait facilement pénétrer dessous.

Au sud, et dans une autre vigne située à quatre ou cinq cents mètres de la précédente, sur la commune de Luxé, est encore une pierre de la même nature, elle a quatre mètres de longueur, deux mètres cinquante centimètres de largeur, et quatre-vingts centimètres d’épaisseur moyenne. Elle est très-peu élevée au-dessus du sol, qui paraît légèrement exhaussé dans le lieu qu’elle occupe. Les supports semblent s’être affaissés du côté de l’occident, puisqu’elle est un peu inclinée, mais cette inclinaison est peu considérable. Les enfans qui viennent garder le bétail aux environs, ont détourné la terre, à la partie la plus élevée de cette pierre, pour pouvoir se glisser dessous, et y trouver un abri contre la pluie.

À deux ou trois cents mètres en tirant vers le sud, ou trouve une éminence en terre, haute de trois à quatre mètres, longue de cinquante-six, et ayant seize à dix-huit mètres de largeur. A la base sur l’extrémité est de cette butte, qui est à peu près dirigée de l’est à l’ouest, existe une pierre levée, semblable aux précédentes, mais presque totalement enterrée, et dont on n’apercevrait pas les supports, si l’on n’eût pris soin de déblayer un peu la partie qui regarde an soleil levant. Elle est de forme à peu près circulaire, et a environ trois mètres cinquante centimètres de diamètre sur un mètre d’épaisseur moyenne. L’éminence sur laquelle elle est placée, est connue dans le pays sous le nom de butte à Vergnaud. Nous y reviendrons plus tard.

Au nord de ce monument, et à cinquante ou soixante mètres environ, se trouvent les débris d’un autre dolmen à peu près semblable. La pierre qui le formait est maintenant partagée en trois blocs, et celles qui la soutenaient sont entièrement recouvertes de terre.

Il est bon d’observer que les cinq pierres levées ou dolmens que nous venons de décrire occupent à peu près un même méridien, c’est-à-dire qu’elles se trouvent sur une même ligne , allant du nord au sud. Il en faut pourtant excepter la troisième qui* parait un peu transportée à l’est.

Dans la commune de Manles, à peu de distance du village de Goué, on trouve encore sur des hauteurs deux grosses pierres absolument semblables aux précédentes. Elles sont très-peu connues dans le pays, parce qu’elles se trouvent sur un terrain aride, et que les ronces et les épines empêchent qu’on puisse facilement les apercevoir. Tous ces monumens paraissent avoir eu une destination commune.

On s’accorde généralement dans le pays à penser qu’ils ont été élevés à la mémoire de quelques personnes illustres ; et, comme chez une nation belliqueuse les guerriers valeureux obtiennent naturellement les premiers honneurs, il est probable que les lieux où l’on rencontre plusieurs dolmens ont été le théâtre de quelques batailles, après lesquelles on a enterré, avec des marques distinctives, les officiers et les généraux dans le lieu même ou ils avaient trouvé le trépas.

La pierre levée de Périssac vient à l’appui de cette opinion ; elle est située sur un plateau trés-élevé, mais assez étendu pour avoir pu fournir un champ de bataille. Le village de Périssac, dont elle est peu éloignée et dont elle porte le nom, fait partie de la commune d’Esse, dans laquelle nous avons eu déjà occasion de remarquer le beau peulvan du Repaire. Ce dolmen était formé de deux blocs à peu près semblables, d’une espèce de roche granitique très-abondante dans le pays ; mais l’un d’eux a été renversé de dessus les pierres qui le supportaient. Chacun a deux cubes, un peu plus de trois mètres, et doit par conséquent peser six à sept mille kilogrammes.

A peu de distance de ce monument on en trouve çà et là plusieurs autres de même nature, mais moins considérables, et qui, pour la plupart, ont été déplacés de dessus leur support, sans doute par les laboureurs dont ils gênaient les travaux* D’après une tradition accréditée dans le pays, il s’est livré une bataille considérable sur le lieu même qu’occupent ces monumens ; et l’on assure que les laboureurs, en cultivant leurs champs, y ont quelquefois rencontré des armes rongées par la rouille. Mais de quelle nature étaient ces armes ; à quels peuples ont-elles appartenu ?

PIERRES INCLINÉES.—Il est une autre espèce de monumens celtiques que nous ne classerons pas parmi les précédens, parce qu’ils nous paraissent participer des pierres debout et des pierres levées tout à la fois ; ce sont de grandes pierres plates comme celles qui ferment les dolmens, mais qui sont inclinées à l’horizon, et n’ont de support que d’un seul côté.

Le premier de ces monumens qui ait fixé notre attention se trouve dans la commune de Manot, sur le bord de la route de la Rochefoucault à Confolens, et à trois kilomètres environ de ce dernier endroit. Il consiste en un bloc informe et peu considérable de pierres brutes, posant d’un côté sur le sol, et s’appuyant de l’autre sur une pierre de même nature et haute de soixante à soixante-dix centimètres ; il est près d’un village qu’on appelle le village des deux Boîtœux, c’est-à-dire des deux Boiteux. Les paysans le désignent sous le nom de pierre levée. La partie élevée regarde l’occident, en sorte que la face supérieure inclinée est tournée vers le soleil levant Cette pierre parait avoir été mutilée et brisée en plusieurs endroits.

On remarque un second monument de la même espèce, mais beaucoup mieux conservé, dans la commune de Juillé, à sept ou huit cents mètres N. 0. du Deffaud, et sur les bords de la route qui conduit du village du Deffaud au bourg de Juillé. Il est situé dans une vigne, et consiste, comme le précédent, en une pierre inclinée posant d’un côté sur la terre, et s’appuyant de l’autre sur trois supports. Cette pierre, de forme à peu près carrée, a deux mètres soixante-dix centimètres de largeur, et un mètre quatre-vingts centimètres d’épaisseur. Elle est élevée du côté du touchant, en sorte que la face supérieure inclinée, qui est la .plus unie, est tournée vers le soleil levant

La troisième et dernière pierre de la même espèce que nous ayons examinée est, ainsi que la précédente, dans l’arrondissement de Ruffec, mais sur les limites de celui d’Angoulême : on la trouve au milieu de la forêt de Bouex, dans la commune de Cellettes, très-près de celle de Saint-Amant de Bonnieure, et à peu de distance de la route de Cellettes à Montignac. Quoiqu’elle soit très-connue des habitans du pays, et surtout des bergers qui l’appellent la maison des fées, on ne peut la découvrir qu’en montant au sommet d’une petite éminence factice dans laquelle elle est enterrée, et qui la recouvrirait même entièrement si l’on n’en eût déblayé la partie supérieure, principalement du côté du couchant. Les paysans l’appellent aussi le gros doignon, dénomination très-remarquable sur laquelle nous aurons occasion de revenir. Cette pierre est, comme les précédentes, élevée du côté du soleil couchant, et par conséquent inclinée à l’orient. Sa longueur du nord au sud est d’environ, quatre mètres, son épaisseur moyenne de quatre-vingt à quatre-vingt-dix centimètres ; quant à sa hauteur, on ne peut la connaître exactement, attendu qu’elle est presque entièrement recouverte de terres rapportées.

Faut-il ranger ces pierres dans la classe des monumens funéraires, ou les regarder comme des objets de culte ? La disposition constante de ces pierres, par rapport aux points de l’orient et de l’occident, semble attester, dit l’auteur du mémoire, qu’elles étaient consacrées au dieu Soleil, quel que fût d’ailleurs le nom sous lequel on l’invoquât. Et la dénomination de Gros-Doignon, que la pierre de la forêt de Bouex a conservée, pourrait nous, porter à penser qu’elles avaient rapport au culte de Dogmius, l’Hercule des Gaulois. On sait que le culte des pierres avait été prohibé par différent conciles ; il pourrait se faire que les terres qui forment une éminence autour de celle de la commune de Cellettes, y eussent été amoncelées en exécution des ordres sévères de l’église à cet égard. Le poids de cette pierre étant trop considérable pour qu’on pût facilement la déplacer, on n’en serait pas moins parvenu de cette manière à faire disparaître à tous les yeux l’objet d’un culte qu’on voulait abolir.

On peut remarquer, quant à la disposition générale de ces monumens , qu’ils se trouvent presque toujours dans des lieux élevés ; et, quoiqu’ordinairement les pierres qui les composent aient été prises dans des carrières peu éloignées, il paraît qu’on s’était toujours attaché à les élever dans des lieux d’où l’on ne pût découvrir aucune autre pierre des environs, afin, sans doute, que le peuple ne fut pas distrait de son recueillement par la vue de quelque objet semblable à celui qui recevait ses adorations.

Les monumens dont il vient d’être question doivent se rattacher à des époques bien reculées, puisqu’ils paraissent avoir précédé la connaissance des arts même les plus grossiers. Des pierres brutes, simplement posées sur le sol ou élevées comme au hasard sur d’autres pierres brutes, voilà tout ce qui les constitue ; de tels monumens dénotent bien l’ignorance ou la barbarie des hommes qui les ont élevés, et ne peuvent être que l’ouvrage d’un peuple naissant. Le monument que nous allons décrire doit être postérieur au temps des pierres debout, des pierres levées, le seul peut-être de son espèce qui soit en France. Il nous paraît bien marquer le passage de la barbarie primitive aux premières notions d’art et de goût.

MONUMENT DE L’ILE SAINT-GERMAIN. — En descendant la Vienne, à deux kilom. environ de Confolens, et un peu au-dessus du bourg de Saint-Germain, on trouve une île d’un agréable aspect, mais d’une étendue peu considérable. A peu près au centre de cette île, et au milieu d’un petit bosquet, est une excavation peu profonde. On y descendait autrefois par quatre marches, mais les deux dernières sont aujourd’hui recouvertes parles parties terreuses et les dépouilles des arbres qui, en s’accumulant, ont insensiblement exhaussé le fond de la cavité. Les terres environnantes sont retenues par de petits murs de soutènement, construits en pierres mal taillées, et sans mortier, comme la plupart des édifices gaulois. Ces murs, que le temps a dégradés en plusieurs endroits, ne s’élèvent qu’à la hauteur du sol.

L’espace ainsi environné, quoique d’une forme peu régulière, peut nous donner l’idée d’un temple découvert, et nous ne doutons pas que ce ne soit un des premiers que les Gaulois aient construits, lorsque, dans leurs pratiques religieuses, ils commencèrent à se départir de leur simplicité primitive. Sa longueur d’occident en orient est de douze mètres, et sa largeur moyenne de cinq mètres environ. La figure que présente cette espèce de temple ou de sanctuaire, est terminée par deux lignes latérales à peu près parallèles, mais qui cependant convergent un peu vers l’orient, où elles sont réunies par une courbe à peu près circulaire. Elles aboutissent, du coté de l’occident, à une autre ligne droite, transversale, et un peu sur la droite, que la muraille est interrompue par les marches dont nous avons parlé.

Vers l’extrémité arrondie s’élèvent quatre colonnes disposées en quadrilatère à peu près parallélogrammique, mais de telle sorte cependant que celles de devant, espacées d’un axe à l’autre de deux mètres quarante centimètres, le sont un peu plus que celles de derrière, qui n’ont que deux mètres quinze centimètres d’entre-axe. Ces colonnes, toutes semblables, se composent d’un fût d’une seule pièce, ayant trente centimètres de diamètre à la base, et un mètre soixante-quinze de hauteur, surmonté d’un chapiteau de deux pièces, assez mal taillées, dont la seconde forme tailloir. Le chapiteau, dans son ensemble, présente une hauteur de soixante centimètres. Chaque colonne repose sur une base de trente-cinq centimètres de hauteur, à peu près semblable à la première pièce du chapiteau, et posant elle-même sur une pierre carrée qui forme piédestal, mais que les terres accumulées par le temps recouvrent presque entièrement aujourd’hui. Quoique, toutes ces parties soient d’une très-grossière exécution, on remarque dans leur ensemble les premières étincelles du goût. Les colonnes sont agréablement renflées, et seraient même d’une assez agréable proportion, si les chapiteaux étaient un peu plus délicats. Sur ces quatre colonnes repose une pierre brute irrégulière, d’une moyenne grosseur, et dont le poids, évalué d’après le volume, peut s’élever a dix-huit mille kilogrammes. Les bords de cette pierre ressortent peu au-delà des chapiteaux qui la supportent, à l’exception d’un angle arrondi, qui fait une forte saillie du côté de l’orient, c’est-à-dire au-dessus de la partie circulaire du temple, qu’il recouvre presque entièrement. C’est au-dessous de cette partie saillante, qu’on avait construit un autel que le temps et les hommes ont renversé, mais dont les débris subsistent encore sous le monument. Le devant de cet autel faisait face à l’occident, en sorte que le prêtre, qui officiait à couvert, était tourné vers le soleil levant. La pierre, qui formait le dessus de l’autel et qui est parfaitement bien conservée, est un parallélogramme rectangle d’un mètre vingt centimètres de longueur sur soixante-dix-huit centimètres de largeur et trente d’épaisseur. Elle n’est percée nulle part. La face latérale de derrière est plane ; mais les trois autres sont évidées en quart de rond, à l’arrête inférieure. Il serait possible de reconstruire cet autel dans la forme qu’il avait autrefois, en en rajustant toutes les parties qui ne sont que désunies.

A l’entrée du sanctuaire et dans l’angle qui se trouve à la droite de l’escalier, est une espèce de bénitier, creusé dans une pierre absolument semblable, pour la forme et pour la dimension, à celle qui compose la première partie de chaque chapiteau. Elle est posée sur un tronçon de colonne également semblable à celles du monument, et s’élève à peu près autant que les murs du temple, c’est-à-dire à la hauteur du sol environnant.

Les colonnes, la pierre qu’elles supportent, l’autel et le bénitier sont d’une espèce de roche granitique, très-abondante dans la contrée, et qu’on appelle vulgairement grison.

Nous n’avons pu recueillir aucun indice sur l’époque où fut construit ce monument. Les habitans du pays, qui en ignorent l’origine, et qui ne conçoivent pas comment des hommes auraient pu enlever une pierre d’un poids aussi considérable pour la poser sur quelques frêles appuis, lui supposent naturellement une existence miraculeuse ; car il est dans la nature de l’homme ignorant et simple, comme dans celle de l’enfant, d’expliquer par le merveilleux tout ce qui passe les bornes de son intelligence. Ils débitent à ce sujet une fable ridicule, analogue à celle que nous avons déjà rapportée à l’article du dolmen de Saint-Fort : ils disent que sainte Madeleine vint autrefois faire pénitence dans l’ile qui a voisine Saint-Germain, et qu’ils appellent l’île de Sainte-Magdeleine ; qu’en y abordant, elle portait cette pierre énorme sur sa tête, les quatre chandeliers (c’est ainsi qu’ils désignent les colonnes) dans son tablier, et le bénitier dans sa poche ; ils ajoutent, sans doute pour rendre le fait plus extraordinaire, qu’elle filait en même temps sa quenouille ; ils montrent, même à l’appui de cette singulière assertion , l’empreinte d’une des pantoufles de la sainte voyageuse, sur un rocher très-dur qui se trouve a découvert, à quatre ou cinq cents mètres de la rive gauche de la Vienne. Cette empreinte ressemble en effet médiocrement à celle d’un pied droit de grandeur moyenne ; mais l’observateur raisonnable n’y voit qu’un jeu de la nature, dont l’illusion a été probablement favorisée par les meuniers des environs, qui se seront amusés à perfectionner à coups de marteau ce qui se trouvait naturellement ébauché. Le pied gauche est, dit-on, marqué de la même manière sur un autre quartier de roche, faisant partie de la digue d’un moulin construit sur la rivière ; mais comme les eaux ne la laissent que très-rarement à découvert, il ne nous a pas été possible d’en vérifier l’existence. Au reste, comment les gens crédules des campagnes n’auraient-ils pas adopté le conte de la Magdeleine, morte à Ephèse, et faisant dans le même temps pénitence dans l’île de Saint-Germain , lorsqu’ils ont vu, peu d’années encore avant 1789, le clergé catholique allant, tous les ans, en procession le jour de la fête de sainte Magdeleine, sur l’autel druidique que nous avons décrit ?

LION DE SAINT-MAURICE. —Il nous reste à décrire un dernier monument en pierre, que nous regardons encore comme un ouvrage des Gaulois, quoiqu’il nous paraisse beaucoup moins ancien que tous les autres, et que nous le jugions même postérieur à la naissance de J.-C.

Dans la commune de Saint-Maurice-des-Lions, faisant partie de l’arrondissement de Confolens , et dans le bourg même qui a donné son nom à la commune, on trouve, sur la place qui avoisine l’église paroissiale, un lion taillé en pierre granitique du pays, et dont les dimensions surpassent un peu celles de la nature. Le bloc dont il est formé est adossé à un massif de maçonnerie, servant à soutenir la croix de bois, au pied de laquelle on dépose les morts. Ce lion, qu’on a représenté couché, offre bien plus une ébauche qu’un travail achevé. De simples trous représentent les yeux, le nez, la bouche et les oreilles. La grossièreté du travail, l’imperfection des formes, attestent l’enfance de l’art, et par conséquent une très-haute antiquité ; ce que confirme d’ailleurs l’ignorance complète ou sont les habitans de Saint-Maurice, sur l’origine de ce monument. Comme ils l’ont toujours vu sur la place où il se trouve aujourd’hui, et qu’aucune tradition ne s’y rapporte, il faut que son existence remonte à une époque assez éloignée pour qu’on en ait pu perdre entièrement le souvenir. L’extrême dureté de la pierre qui le compose, explique d’ailleurs sa conservation.

Le lion de Saint-Maurice, analogue à ceux qui existent à Limoges, près de l’église de Saint-Michel, aurait-il eu quelque rapport avec le culte du Soleil ?

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