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1782 - Minéralogie de l’Aunis : un académicien de la Rochelle écrit à un "expert" parisien

lundi 16 février 2009, par Pierre, 822 visites.

Sur un ton mi-badin mi-sérieux, un académicien Rochelais amoureux du sol de son Aunis répond à un "expert" parisien qui n’a pas pris le temps d’aller au fond des choses. Soucieux de rétablir la vérité, il nous donne l’occasion d’une visite du sol de l’Aunis qui ne manque pas d’intérêt.

Source : Observations sur la Physique, sur l’Histoire Naturelle et sur les Arts, avec des planches en taille-douce dédiées à Mr le Comte d’Artois, par M. l’Abbé Rozier de plusieurs Académies & par M. A. Mongez le jeune, Chanoine Régulier de Sainte Geneviève, des Académies Royales des Sciences de Rouen, de Dijon, de Lyon &c, &c - Paris - Juillet 1782 - Books Google

Le "Mémoire sur la Minéralogie de l’Aunis", auquel répond cette lettre est en ligne ici

Lettre à M. Monnet, Inspecteur des Mines de France, Auteur d’un Mémoire sur la Minéralogie de l’Aunis , imprimé dans le Journal de Physique du mois de Juillet 1782, par M. Lavillemarais, de l’Académie de la Rochelle

Monsieur,

Notre petite Province tient une place si peu considérable dans le Royaume, que nous avons bien de l’obligation aux Voyageurs instruits qui daignent s’y arrêter en passant, & plus encore à ceux qui ont la bonté d’en faire mention dans leurs Ecrits. Nous sommes déjà redevables à quelques Savans d’avoir fait connoître l’extrême population du Pays d’Aunis, la fertilité de son terroir, ses différentes productions ; mais personne, jusqu’à préfent, n’avoit traité avec quelqu’étendue l’article de sa Minéralogie. Il vous étoit réservé, Monsieur, d’en faire le sujet d’un Mémoire intéressant ; & quoique, d’après vos observations, nous n’ayions pas lieu de nous féliciter de nos richesses dans le Règne minéral, nous n’en sommes pas moins reconnoissans des soins que vous vous êtes donnés pour constater notre indigence, & de ce que vous avez bien voulu consigner votre Mémoire dans un Ouvrage périodique, qui passera à la postérité comme un dépôt précieux de pièces originales sur l’Histoire Naturelle & la Physique.

Me permettrez-vous, Monsieur,de vous communiquer, par la même voie, quelques notes que la lecture de votre Mémoire a fait naître ? Je ne les produis au jour, que dans l’espoir qu’elles ajouteront un nouveau degré de lumière à vos propres observations. Si je relève quelques légères inadvertances qui paroissent vous avoir échappé, je suis bien éloigné de m’en faire un mérite, il ne seroit pas fort étonnant qu’un Rochellois connût plus particulièrement la nature du sol, la conformation extérieure, &, si j’ose m’exprimer ainsi, la physionomie de sa Patrie, qu’un Etranger occupé ailleurs de grands travaux, & qui n’a pu jetter sur l’Aunis qu’un coup-d’œil rapide, Ainsi, Monsieur, vous avez pu vous méprendre quelquefois, sans rien perdre d’une réputation déjà solidement établie par plusieurs bons Ouvrages, & moi, le seul honneur que je puisse recueillir en vous faisant passer ces notes, c’est d’avoir témoigné publiquement mon zèle pour le progrès des Sciences que vous cultivez.

Je ne suivrai d’autre ordre que celui que vous avez tenu dans votre Mémoire, & je commencerai avec vous par l’étendue de la Province d’orient en occident, à laquelle vous avez retranché une partie essentielle, qui est l’Isle de Ré. Dans la description physique d’un pays, il me semble qu’un Naturaliste ne doit pas être arrêté par un petit bras de mer, surtout lorsque les terres qui sont au-delà paroissent être un prolongement de celles qu’il observe, comme le prouvent visiblement la conformité des rivages opposés & la ressemblance du sol de part & d’autre. Ainsi, la véritable longueur du pays d’Aunis, du levant au couchant, doit se prendre depuis Mauzé jusqu’à l’extrémité occidentale de l’Isle de Ré ; ce qui fait une étendue d’environ 37500 toises, ou de 15 lieues communes de France, qui n’est pas de 2000 toises, comme vous le dites par inadvertance, mais de 2500 toises.

Sa largeur est beaucoup moindre, étant bornée au midi & au septentrion par de vastes marais, qui la séparent de la Saintonge & du Poitou.

Vous dites, Monsieur, que le terrein de l’Aunîs va en s’abaissant & en s’applatissant vers la mer. Cette observation, qui paroît naturelle, n’est pourtant pas exacte relativement à cette contrée, qui, depuis Mauzé jusqu’à la Rochelle, conserve à-peu-près par-tout sa même hauteur, & ne présente, dans toute cette étendue, qu’une longue & haute plaine, ondulée comme les flots de la mer, & sillonnée de distance en distance par de petits vallons & des élévations qui paroissent jettées çà & là sans beaucoup de régularité. Quelques-unes de ces élévations, qui pourroient passer pour des collines, telles que la Garde-aux-Valets, Montroy, Saint-Rogatien, le Payaud , quoique très-voisines de la mer, sont cependant les plus grandes de tout le pays ; la côte même offre en plusieurs endroits des falaises coupées à pic de 50 à 60 pieds de hauteur au-dessus du niveau de la mer. On ne peut donc pas dire que le terrein de l’Aunis s’abaisse & s’applatisse de ce côté-là.

Une preuve plus convaincante que le témoignage des yeux, se prend de la pente naturelle des eaux de source & de pluie qui se trouvent dans l’intérieur du pays : les ruisseaux d’Aigrefeuille, de Saint-Christophe, de Fonpatour, au lieu de descendre vers la Rochelle, qui n’est qu’à trois lieues au couchant, coulent au contraire d’abord à l’orient, puis se détournent vers le nord, & traversent cinq à six lieues de terres basses, pour se rendre dans la Sevre Niortaise. La rivière de Surgères, en partant de sa source, semble vouloir se diriger à l’ouest, mais rеncontrant bientôt les terres élevées de l’Aunis, elle se courbe au midi, & va se perdre dans le marais de Muron, qui tient à la Saintonge. Plus près de la Rochelle, les eaux de Groleau, de Candé, de la Sauzaie, ont toutes leur pente au septentrion ; aucun de ces cours d’eau ne descend directement à la mer.

De cette observation, il faut conclure que ce n’est pas vers le couchant que le terrein s’abaisse & s’applatit, mais plutôt vers le midi & le septentrion, où se trouvent des terres basses & de vastes marais qui étoient autrefois entièrement submergés ; de sorte que l’Aunis ressembloit alors à une longue chaussée, qui s’avançoit de dix à douze lieues dans la mer. Plusieurs de ces marais, quoique desséchés & considérablement élevés, sont encore aujourd’hui plus bas que le niveau de la mer, & ce n’est qu’avec de fortes digues qu’on les préserve des irruptions de ce terrible élément.

Pour expliquer ce prétendu applatissement du terrein, vous supposez, Monsieur, que « la mer surmontant autrefois le Pays d’Aunis, l’a rongé plus ou moins, & l’a diminué d’èpaisseur à proportion du séjour quelle y a fait & des ravages qu’elle y a occasionnés ».

Vous avez raison, Monsieur, de soupçonner que notre petite Province a été couverte par les eaux de la mer ; tout l’annonce à sa surface, comme dans sa formation intérieure. J’en citerai plusieurs preuves dans un Essai sur l’Histoire Naturelle de cette partie du golfe de Gascogne, dont je m’occupe actuellement. Mais la conséquence que vous en tirez, est-elle bien d’accord avec l’observation ? L’océan peut bien sapper peu-à-peu & détruire une côte élevée qui se trouve exposée au choc réitéré de ses flots ; car il agit alors comme une masse active, comme un énorme bélier, dont la force augmente à raison de sa vitesse : il peut bien encore déplacer quelques bancs de sable, ou rouler un rocher ça & là sur une plage peu profonde ; lorsqu’il coule rapidement entre deux terres étroites, il peut bien élargir brusquement, & approfondir quelquefois son canal ; mais a-t-il jamais creusé & rongé (comme vous dites) le fond de son lit ? L’observation journalière ne prouve-t-elle pas plutôt qu’il le comble & l’élève peu-à-peu, en y déposant continuellement les terres , les pierres & les sables que les fleuves charient dans son sein, & ceux qu’il entraîne des rivages qu’il a renversés ? Nous sommes assurés, par les journaux des Navigateurs, que le fond de la mer dans le golfe de Gascogne s’élève sensiblement, sur-tout à la proximité des côtes, & que les écueils & les bas-fonds s’y multiplient chaque jour. Il est donc vraisemblable que la mer ayant couvert autrefois le pays d’Aunis, loin d’avoir rongé & diminué sa surface, elle y aura plutôt déposé de nouvelles couches de limon, qui, mêlées avec les détrimens des nombreux coquillages de nos côtes, auront fermé ces bancs de pierres calcaires que l’on trouve presque à la superficie de la terre.

Vous nous annoncez, Monsieur, que « la mer minant continuellement les bords, s’introduit & s’ouvre un passage, par où elle se répandra dans d’autres parties de l’Aunis ».

Cela peut arriver ; mais les empiètemens que la mer fait aujourd’hui sur nos côtes, ne sont rien en comparaison des restitutions considérables qu’elle a faites depuis quelques siècles, au midi & au nord de la Province ; & si quelque révolution imprévue doit occasionner une nouvelle irruption de l’océan sur nos parages, il y a toute apparence que les vastes marais du Poitou & de la Saintonge, dont nous avons parlé, seront engloutis plutôt que l’Aunis, qui est une terre beaucoup plus élevée.

A la suite de ces préliminaires sur l’étendue & la configuration de notre petite contrée, vous parlez, Monsieur, de sa culture, & voyant presque par-tout le peu d’épaisseur de la terre végétative, vous en avez conclu que le sol y est ingrat & peu fertile. Cependant ces mêmes terreins si pierreux, où l’on trouve à peine 3 ou 4 pouces de bonne terre sur une banche profonde, produisent généralement trois récoltes de suite, en fumant la terre une seule fois la première année. Le froment, l’orge & l’avoine s’y succèdent tour-à-tour, & sont bien supérieurs en qualité à ceux qu’on recueille dans les terres les plus profondes du marais. Quant aux vallées qui sont le long de la côte, & que vous appeliez les bas-fonds & les anciens criques de la mer, ils sont ordinairement convertis en marais salans, si le sol y est favorable ; ou bien on en fait d’excellens pâturages, ce qui vaut mieux que d’y cultiver du seigle, qui est une production inconnue dans la Province, & qui ne convient qu’aux terres argilleuses & vraiment maigres.

En considérant le mauvais état des arbres qui croissent aux environs de la Rochelle, vous en accusez uniquement le sol pierreux, & vous rejettez l’opinion vulgaire, qui l’attribue en partie aux grands vents & à l’air de la mer. Cependant, avec une légère attention, il est aisé de reconnoitre que toutes ces causes concourent ensemble au prompt dépérissement de nos arbres. On a beau débancher profondément un terrein, y porter du meilleur terreau, & même l’arroser, si les plantations qu’on y fait sont trop exposées au hâle de la mer & au souffle destructeur du vent de nord-ouest, les arbres se couronnent bientôt, l’écorce se gerce, les branches périssent successivement, & tout le bosquet languit & meurt ; tandis que d’autres arbres, plantés sans beaucoup de précaution dans un sol pierreux, mais abrités des mauvais vents par une maison ou par un mur, pousseront vigoureusement & auront beaucoup de feuillage. Dans nos bois de plaisance que nous avons autour de la Ville, on remarque que la lisière exposée aux vents de mer est composée d’arbres petits & rabougris ; les rangs qui suivent s’élèvent en proportion que, s’éloignant de cette lisière, ils sont plus garantis des mauvais vents. Les Voyageurs qui arrivent dans le pays d’Aunis, observent que les arbres plantés le long des grands chemins, sont tous inclinés à l’orient par la violence des vents d’ouest & de sud-ouest ; & ce n’est pas seulement le tronc de l’arbre, mais toutes les branches qui prennent cette direction. On peut voir aussi que de ce côté-là les couches ligneuses prennent très-peu d’accroissement, & qu’elles sont quelquefois desséchées jusqu’au cœur de l’arbre. Le remède alors est de le couper rez-pied rez-terre, & il repoussera de nombreuses tiges ; ce qui prouve évidemment que ce n’est pas le sol pierreux uniquement qui cause la mauvaise végétation de nos arbres, puisque, dans cette supposition, les racines devroient périr les premières.

Ce n’est pas non plus à force d’engrais que nous faisons venir la vigne & le blé ; car le fumier est très-rare en Aunis, & nous ne savons même pas tirer parti de toutes les ressources que la Nature nous offre pour le multiplier. Nos meilleurs vignobles sont le long des côtes, & quelques-uns n’ont pas été fumés depuis cinquante à soixante ans. Nous ne faisons point usage des vases de la mer ni des cendres de varech [1] pour fertiliser nos terres. Les Habitans des Paroisses voisines de la côte vont à mer basse arracher le varech sur les rochers, & le transportent dans des fosses, où ils le font pourrir avec du fumier commun. Dans les Isles de Ré & d’Oléron, ils le déposent tout frais sur leurs champs, & le recouvrent, pour conserver sous le sillon les deux grands principes de végétation dont cette plante marine est imprégnée, je veux dire le sel & l’humidité, qui seuls peuvent donner de la fécondité à leurs sables arides. Le sar que l’on fait brûler sur le rivage en plusieurs endroits, s’emploie dans la Verrerie de la Fond, comme une soude propre à la fabrication des bouteilles.

En général, les vins du pays d’Aunis sont secs & capiteux : mis à la chaudière, ils rendent beaucoup d’esprit ; lorsqu’ils sont faits avec soin, ils plaisent aux Gourmets les plus délicats : mais la majeure partie des propriétaires de vignes n’ayant pas d’autre objet que l’abondance, ont multiplié les mauvais plants dans la Province, & font du vin très-grossier. Celui que vous avez goûté, Monsieur, étoit apparemment de cette espèce.

Quant au blé, il est également certain que ce n’est pas la quantité du fumier qui nous procure celui que nous recueillons, mais la bonne nature du sol, jointe aux labours à bras qui sont en usage dans les environs de la Rochelle. Outre l’avantage de mieux préparer la terre, de la rompre & de l’ameublir parfaitement, le Laboureur à bras, pour peu qu’il soit vigoureux, pénètre avec sa bêche plus profondément que la charrue ordinaire ; il casse cette première couche de pierre mince qui est presque à la surface de la terre, & sous laquelle se trouve communément une autre espèce de terre blanchâtre & onctueuse , que l’instrument ramène sur la surface, & qui, mélangée avec la terre végétative, tient lieu d’un véritable engrais [2]. Vous voyez, Monsieur, que l’Aunis, malgré son sol pierreux, n’est point une terre ingrate & stérile. Mais un autre agent de la végétation, auquel il ne faut pas manquer de rendre hommage, & qui est peut-être plus puissant que les engrais & l’industrie du Laboureur, c’est cet air vif & chargé de particules salines que nous respirons sur nos bords maritimes, & c’est ici véritablement que l’on peut dire : Non humus, sed aer fructificat. Les heureux effets de cet air actif & fécond sont sensibles jusqu’à une certaine distance, dans l’intérieur du pays : on reconnoît facilement les terres qui sont hors de sa sphère d’activité ; leurs productions en tous genres n’ont pas le même aspect, sont plus insipides & plus tardives.

Il est temps, Monsieur, de rentrer avec vous dans le véritable objet de votre Mémoire, qui est la Minéralogie de l’Aunis. Je ne puis que rendre justice aux observations que vous avez faites sur la nature de notre pierre calcaire, que nous appelions ici moellon. La plus dure, comme vous le dites très-bien, feroit une excellente chaux ; mais je ne sais par quelle fatalité cette branche utile de commerce & d’induftrie est entièrement négligée dans cette Province, où il seroit si facile d’établir un grand nombre de fours à chaux. Cependant je ne connois, dans tout le Pays, que ceux établis à la Fond par le Directeur de la Verrerie, & je crois que l’on vous a induit en erreur, si l’on vous a dit que l’on en faisoit avec ces grosses roches calcaires spathiques, que vous avez vues sur le chemin de Rochefort, & que vous pensez être l’ouvrage des polypites. Toute la chaux que nous consommons ici vient de Saintonge, par la Charente.

Quant à la pierre de taille, proprement dite, nous n’en connoissons point de carrière dans toute l’étendue de l’Aunis ; nous tirons des environs de Niort ou de Saintes celle dont nous avons besoin pour nos bâtimens. A Vandré, Bourg de Saintonge, à une lieue & demie de Surgères, on trouve une pierre grise très-compacte, & d’un grain très-fin, laquelle résiste à l’action du feu, & dont, pour cette raison, on construit l’intérieur des fours & des cheminées. On assure qu’elle vaut autant que les meilleures briques. On cite encore la chaux de ce même lieu, de Vandré, qui, après avoir été éteinte dans l’eau, se pétrit comme de l’агgile, & se façonne en vaisseaux de différentes grandeurs, & propres à contenir plusieurs barriques d’eau.

Mais la pierre la plus curieuse, sans contredit, de toute la Province, c’est celle que l’on trouve au bas de la falaise du [3] rocher, entre Châtelaillon & Fouras, dans les cassures de laquelle on appercoit des crystaux & des pyrites. Vous dites, Monsieur qu’il y a généralement peu de coquilles dans ces pierres, & vous convenez qu’on y voit des petits peignes, des cammes, des buccins, des moules & des cornes d’ammon. Assurément, il seroit difficile d’en trouver d’avantage dans les pierres purement coquillières.

Je suis bien fâché que le peu de séjour que vous avez fait dans notre Ville ne vous ait pas permis de faire des observations plus étendues sur cette pierre singulière, & sur la nature des concrétions métalliques qui s’y rencontrent, & qui, par leur mélange de fer & de cuivre, semblent nous indiquer la présence de ces deux métaux dans les entrailles de ce rocher, qu’il seroit intéressant de creuser en plusieurs endroits. Ayant eu occasion d’y passer au mois de Juin dernier, j’en ai détaché moi-même plusieurs échantillons, que je desirerois bien être à même de vous montrer. Les Ouvriers qui la tirent du pied de la carrière, m’en ont fait voir de deux espèces très-différentes, qui se trouvent immédiatement l’une sous l’autre. Le lit de la plus dure, où se forment les pyrites, est formé sur celui de la pierre tendre, qui ne m’a pas paru différer essentiellement de notre pierre calcinable ordinaire, si ce n’est qu’elle paroît plus compacte & d’un meilleur grain. On emploie l’une & l’autre à bâtir les maisons des environs ; mais je n’ai point appris qu’on s’en serve nulle part à faire des pavés, comme vous le dites dans votre Mémoire. Peut-être seroit-elle très-propre à cet usage, étant fort dure, & susceptible d’être taillée comme l’on veut.

Nous aurions également souhaité, Monsieur, que vous nous eussiez donné quelques éclaircissemens sur la nature des amas de sable que l’on voit en certains endroits de la côte, depuis la Rochelle jusqu’à Rochefort ; mais principalement sur la côte d’Arvert en Saintonge, & sur celle d’Oleron qui y correspond. Vous observez très-bien que cette quantité prodigieuse de sable ne provient pas des détritus de la pierre calcaire de nos côtes, puisque cette pierre ne donne pas de vrai sable. Ainsi, il faut nécessairement le faire venir de plus loin que l’Aunis, & même la Saintonge ; mais cette discussion, qui seroit de pure curiosité ici, appartient plutôt à l’Histoire Naturelle de la baie de Biscaye qu’à un Essai sur la Minéralogie de l’Aunis.

J’observerai seulement que le sable que nous employons à la Rochelle & aux environs pour la composition du mortier, se prend dans les dunes de Pont-la-Pierre, auprès d’Angoulin : il est trop fin & trop arrondi pour faire un mortier durable.

Les terres-glaises & les différentes espèces de brie dont on se sert dans la Province pour former les marais salans, paroissent avoir échappé à vos observations : quant à l’argile, on convient généralement qu’elle n’est pas abondante en Aunis ; les Ouvriers de la Faïancerie n’en ont encore trouvé qu’en deux ou trois endroits ; mais je crois pouvoir assurer qu’on ne connoît pas encore toutes les richesses de notre pays en ce genre.

L’objet qui paroît avoir le plus fixé votre attention pendant votre séjour à la Rochelle, quoiqu’il soit peut-être le plus étranger à la Minéralogie de l’Aunis, c’est cette variété de pierres rares & de cailloux de toute espèce qui composent la majeure partie de nos pavés, & dont on trouve aussi des fragmens répandus çà & là sur le rivage parmi les nombreux détriments ou galets de la pierre commune calcaire de nos côtes. Frappé d’admiration à la vue de ces précieux fragmens que vous faites dériver des montagnes primitives, & dont vous dites n’avoir jamais rencontré nulle part des analogues vivans, vous vous livrez avec complaisance à des recherches purement spéculatives, pour rendre raison de leur origine ; & vous supposez « une chaîne de montagnes qui auroient existé au-delà des Isles de Ré & d’Oleron, & que des révolutions terribles, tels que des tremblemens de terre, auroient renversées. ...  ». Vous ajoutez que « ces débris, ensevelis dans l’eau de la mer, auront été amenés peu-à-peu par les courans ou les marées, sur les parties où nous les voyons aujourd’hui, &c. &c ».

Il est beau, sans doute, Monsieur, de s’élever jusqu’au principe des choses, & de pouvoir expliquer tout ce qui n’est pas à la portée du vulgaire. J’admire, comme je le dois, votre savante hypothèse ; mais nous sommes ici, dans le fond de la Province, de simples Observateurs, qui étudions la Nature avec un respect qui approche de l’adoration. Quand elle juge à propos de se voiler à nos yeux, nous ne faisons point de conjecture pour deviner son secret ; & nous nous gardons sur-tout de suppléer, par les rêves de l’imagination, à ce que des recherches soutenues & une attention active peuvent nous faire appercevoir.

Sans avoir recours au merveilleux, voici ce que l’observation nous apprend de plus certain sur l’origine de ces pierres. La Rochelle, située au fond du golfe de Gascogne, est le réceptacle de toutes les matières que l’océan détache continuellement des côtes qui le pressent & l’environnent. Les grands fleuves, qui ont leur embouchure dans le golfe, y charrient aussi beaucoup de sables, de pierres & de cailloux, roulés & arrondis par le frottement. L’Adour, en descendant des Monts Pyrénées, entraîne avec fracas des blocs énormes de granit, de basalte & de scherl, que l’impétuosité de son cours roule bien avant dans la mer. Tous ces nombreux débris de côtes différentes & de régions éloignées sont poussés de proche en proche par le mouvement des eaux & la violence des vents jusqu’au fond de la baie, où nous trouvons confondus pèle mêle des fragmens de la pierre du Cap Finistère, avec des morceaux de cette roche de grès qui borde la rive droite de la Loire, & qui s’étend jusqu’à l’extrémité de la Bretagne ; des granits, des basaltes, des pierres de touche des Pyrénées, avec des cailloux de l’Isle-Dieu & de Noirmoutiers. Voilà, Monsieur, l’origine de la plupart de ces pierres, dont vous avez donné une liste pompeuse dans votre Mémoire. Il n’en est presque aucune qui ne se rencontre ou dans les Pyrénées, ou le long des côtes qui bordent le grand bassin au fond duquel nous sommes placés. Mais ces précieux fragmens.ayant été long temps roulés dans les goufres de la mer, nous parviennent en petits volumes & fort arrondis, de manière qu’ils ne sont guères propres à faire des pavés. Ces gros blocs de pierres dures que vous avez admirés dans nos rues de la Rochelle, ont une autre origine ; ils ne sont pas tirés d’un trou sur le rivage, comme vous l’avez imaginé ; mais ils nous sont apportés de loin par des navires qui, venant à vuide pour charger ici des marchandises, remplissent leurs cales de grosses pierres, qu’ils vendent ensuite à nos Paveurs Les bâtimens de Calais & de Dunkerque se lestent avec des roches de pyrites, qui se trouvent en abondance sur les côtes de Picardie ; & comme ils viennent presque toujours sur leur lest, c’est à eux que nous sommes redevables de la majeure partie de nos pavés. Il est arrivé, en différens temps, que nos vaisseaux n’ayant pu se procurer du fret à l’Amérique, ont été forcés d’en revenir à vuide ; alors ils se sont chargés de pierres, lesquelles sont noires, fort pesantes, & ressemblent à des pierres volcaniques. Nous pouvons donc avancer, sans exagération, que nos pavés de la Rochelle sont composés du tribut de toutes les carrières du globe (i), ce qui ne doit pas étonner, quand on réfléchit que notre Ville a fait, pendant plusieurs siècles, un commerce très étendu avec les quatre parties du monde.

Il me reste, Monsieur, une dernière observation à vous faire, c’est que l’on aura peut-être lieu de s’étonner que dans un Mémoire sur la Minéralogie de l’Aunis, il ne soit fait aucune mention des minéraux proprement dits, & des fossiles qui peuvent s’y trouver. Je connois l’indigence presque absolue de ma Patrie à cet égard ; mais enfin, on y a découvert en plusieurs endroits des pétrifications, des crystallisations curieuses, des pyrites, des concrétions métalliques, du fer en globules très pur, des terres-glaises de différentes qualités, des marnes secondaires ; & si jamais vous avez l’occasion & le loisir de visiter une seconde fois l’intérieur de l’Aunis, je ne doute pas, Monsieur, que vous n’y fassiez des découvertes intéressantes, qui pourront donner à notre petite Province une existence plus considérable dans l’empire minéral.

Je suis, &c.

A la Rochelle, le 16 Septembre 1782.


[1Varech, sar & goémon désignent la même plante ; nous l’appelions plus communément sar dans le pays d’Aunis.

[2Cette pierre, qui n’est pas rare dans la Province, peut être considérée comme ure espèce de marne secondaire. Mise dans le vinaigre, elle fait une sorte d’effervescence, & répand une odeur très-désagréable. Elle est quelquefois dure & compacte lorsqu’on l’а tirée d’une certaine profondeur ; mais exposée à l’air, elle s’effeuille & s’amollit comme une véritable marne. J’en ai trouvé par couches épaisses dans plusieurs endroits du pays. Elle est ordinairement dessous le premier ou le second lit de pierre & sa couleur est quelquefois jaune, mais plus souvent grise. J’ai engagé des Cultivateurs de ma connoissance d’en faire l’essai sur leurs terres maigres & épuisées.

[3C’est une petite colline à moitié chemin entre la Rochelle & Rochefort, sur le bord de la mer, qui l’a considérablement minée & détruite ; elle s’étend à un quart de lieue dans les terres, ou plutôt dans un vaste marais desséché qui la borde à l’orient. La Paroisse d’Yves est sur le penchant de cette colline, au sud-est de la maison du Rocher.

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