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504 (c) - 581 - Saint Cybard d’Angoulême : sa vie légendaire par les petits Bollandistes

dimanche 18 janvier 2009, par Pierre, 2664 visites.

Ermite qui vécut la majeure partie de sa vie dans une grotte au flanc de la colline d’Angoulême. Sa vie légendaire par les petits Bollandistes.

Source : Les petits Bollandistes : vies des saints. Tome 7, d’après les Bollandistes, le père Giry, Surius... - Mgr Paul Guérin – Paris – 1876 – BNF Gallica

Les bollandistes

Association de jésuites, chargée de la recherche des sources et de la publication des Acta sanctorum (« la Vie des saints de l’Église chrétienne », 1643-1794). Les bollandistes doivent leur nom au jésuite Jean Bolland, l’hagiographe flamand qui fut éditeur des cinq premiers volumes. La rédaction des Acta sanctorum avait été entreprise par un jésuite flamand, Heribert Rosweyde ; à sa mort, ses documents furent confiés à Bolland, qui continua le travail à Anvers. Lorsque l’ordre des jésuites fut interdit en 1773, la société bollandiste s’installa au monastère de Coudenberg, à Bruxelles, afin d’y terminer ses travaux. La politique anticléricale de l’empereur germanique Joseph II entraîna la dissolution de la société. En 1789, l’abbaye de Tongerlo, dans le Brabant, se chargea de continuer les Acta sanctorum ; cependant, après la publication du cinquante-troisième volume en 1794, les bouleversements dus à la Révolution française et la dissolution de l’abbaye mirent fin au travail. En 1837, une nouvelle association bollandiste de jésuites se forma sous le patronage du gouvernement belge, qui publia en 1845 le cinquante-quatrième volume. Une nouvelle édition en soixante et un volumes vit le jour à Paris entre 1863 et 1867 ; depuis 1882, des suppléments contenant les fac-similés des manuscrits les plus importants sont parus à Paris et Bruxelles dans le périodique Analecta bollandiana. (source : encyclopédie Encarta)

Les Bollandistes, puis à partir de 1837, les Petits Bollandistes ont fait un travail d’hagiographes, et non d’historiens. Le texte qui suit n’a donc pas à être considéré comme un document d’histoire, mais d’hagiographie. Voir le site des Bollandistes

 Saint Cybard [1] ou Éparque, solitaire, au diocèse d’Angoulême

581. - Pape : Pélage II. - Roi de France : Childebert II.

Recordatio tenebrarum exteriorum facit non horrere solitudinem.
Le souvenir des ténèbres du monde ôta à la solitude l’horreur qu’elle pourrait inspirer.

S. Bern. Ep. I ad Robertum.

Saint Cybard, une des gloires du diocèse d’Angoulême, naquit en Périgord, vers l’an 504, d’une famille gallo-romaine. Son père s’appelait Félix, et avait aussi le surnom d’Auriolus ; sa mère se nommait Principie [2] et son aïeul paternel Félicissime. Ce dernier avait été établi par Clovis, comte ou gouverneur de Périgueux, lorsqu’à la suite de la bataille de Vouillé (Voulon), ce roi avait délivré tout le midi de la Gaule du joug des Visigoths ariens. Ce fut auprès de ce haut fonctionnaire que le jeune Cybard vint, à l’âge de dix-huit ans, s’initier aux secrets de l’administration ; et sans doute, le vieux comte, en recevant les utiles services de son petit-fils, se flattait de l’avoir un jour pour successeur. Mais les pensées de notre Saint étaient bien éloignées de ce souriant avenir, car plus il voyait le monde et ses plaisirs, et plus il en sentait le dégoût et la vanité, plus aussi il pénétrait dans l’embarras et les difficultés des affaires publiques, et plus sa délicatesse de conscience s’en alarmait, de même que son humilité en fuyait l’éclat et les honneurs. L’état monastique était l’objet de tous ses vœux ; aussi mit-il à profit une circonstance heureuse pour quitter secrètement la ville et la maison paternelle, et aller au monastère de Sessac (Sedaciacum) se jeter aux pieds du saint abbé Martin, le suppliant de l’admettre au nombre de ses religieux. Cette admission n’était pas sans difficulté, à cause de l’opposition de sa famille : mais, dit l’historien contemporain, la miséricorde de Dieu intervint, sans doute en calmant la douleur de ses parents, et en les faisant consentir, quoiqu’à regret, au bonheur de leur fils.

C’était en effet le bonheur que Cybard avait trouvé sous le toit d’un humble monastère ; et les rudes prescriptions de la Règle lui devinrent dès les premiers jours douces et faciles, parce qu’il les observa toujours avec amour et fidélité. Il avait alors trente-trois ans, et les forces du corps secondant l’ardeur de l’esprit, il acceptait de grand cœur et remplissait vaillamment les rudes travaux auxquels on l’assujettissait. Mais s’il était en cela l’édification des religieux, il n’était pas moins celle des séculiers qui venaient au monastère, car ils voyaient en lui un homme élevé dans le faste et la mollesse des grandes maisons, se couvrir d’un habit pauvre, vaquer aux labeurs de l’agriculture, se contenter, vers la fin du jour, d’un peu de pain et de légumes, et après les fatigues de la journée, donner encore à la prière a meilleure partie de la nuit. Un tel spectacle a toujours été puissant sur les âmes ; et aujourd’hui encore, cette pauvreté et ce travail volontaire qui s’unissent dans les Trappistes à la plus grande austérité de la pénitence monastique, leur concilient notre respect et nos sympathies. Quant à notre Saint, tout entier à ses devoirs, il ne s’étudiait qu’à se rendre inconnu aux hommes, et gémissait devant Dieu de la haute renommée que sa vertu éminente commençait à lui attirer. On disait, en effet, que les animaux se montraient dociles à sa voix, et que ce privilège était la récompensé de sa douceur et de son innocence. Ainsi, il avait été vu arrêtant à la lisière d’un bois une jeune biche qui était venue lui baiser les mains et ne s’était enfuie qu’après avoir reçu sa bénédiction. Une autre fois, c’était un oiseau, une mère posée sur sa tendre couvée, et qui, effrayée à son approche, allait s’envoler, lorsqu’il lui demanda de l’attendre. L’oiseau ne bougea pas, et Cybard put à loisir caresser la mère et les petits, mais, on le présume bien, sans attenter à leur liberté.

D’un autre côté, les malades qui venaient au monastère chercher des soins, ne se louaient pas seulement de ceux que leur prodiguait sa charité ils publiaient les guérisons qu’ils attribuaient à ses mérites, et que lui-même s’efforçait vainement de cacher. Mais ce fut précisément cette réputation de sainteté qui lui devint bientôt insupportable et qui, après un séjour de cinq ans, le décida à quitter son monastère. À cette époque, la profession monastique n’emportait point le vœu de stabilité. Saint Benoît ne venait que de l’introduire dans sa Règle, et il était encore inconnu dans les monastères des Gaules. Ainsi un moine, pourvu qu’il demeurât fidèle aux lois communes de sa profession, pouvait passer d’une maison dans une autre, et même abandonner la vie cénobitique pour embrasser celle des reclus ou anachorètes. Ce fut donc par un prudent usage de cette liberté que notre Saint, avant secrètement quitté le monastère de Sessac, se mit en quête d une solitude qui pût convenir à ses desseins, c’est-à-dire le cacher entièrement aux yeux des hommes. Il parcourut d’abord une partie du diocèse actuel de Bordeaux, et n’y trouvant point ce qu’il cherchait, il s’achemina vers Angoulême. Le siège de cette ville était, alors occupé par saint Aphtone ou Aptone, qui venait de succéder à Lupicin ; celui-ci, chapelain du roi Clovis, avait par lui été placé à la tête de cette malheureuse Église pour y réparer les maux immenses qu’avait accumulés, pendant un demi-siècle, la domination de l’hérésie arienne.

Les Saints devinent les Saints et savent se les attacher. C’est ce qui se vit dans cette circonstance ; car, dès qu’Aptone eut appris par quelques habitants qui le reconnurent, la présence de noire Saint dans sa ville épiscopale il le fit prier de le venir trouver. Peut-être l’avait-il connu autrefois dans’ la maison du comte de Périgueux, ou du moins il en avait entendu parler. Il fut donc ravi de le voir ; mais quand un entretien avec le jeune solitaire, sur les choses de Dieu, la vanité du monde et les charmes de la solitude, lui eut permis d’apprécier plus complètement tous les trésors de sagesse et de piété que renfermait cette âme d’élite, il résolut de tout faire afin de le fixer auprès de sa ville épiscopale. C’est pourquoi il lui choisit et lui montra sur le penchant de la montagne où elle est bâtie, un lieu de retraite qui, inaccessible du côté de la cité et fermée au bas par la Charente, présentait toute facilité pour y vivre séparé du monde, comme au milieu du désert le plus reculé. Ajoutons qu’une fontaine, qui suintait du rocher, fournissait l’eau nécessaire à l’ermite et complétait le charme de cette solitude. Aussi, dit son historien, le saint homme ne l’eut pas plus tôt vue qu’il en fut épris, et ne pouvait assez exprimer la joie de son âme. Sans doute il lai eut été doux de s’y fixer immédiatement, mais, par un sentiment de délicatesse et de subordination religieuse, il ne voulut point le faire avant d’avoir obtenu l’agrément de son évoque et de son ancien abbé. Saint Aptone se chargea de cette négociation, et députa vers Sébauris, évêque de Périgueux, et vers Martin, abbé de Sessac (aujourd’hui Issigeac) les premiers prêtres de son diocèse : c’étaient l’archiprêtre Fronton, qui, plus tard mérita d’être élevé à l’épiscopat ; l’archidiacre Arthémius, qui est appelé un parfait serviteur de Jésus-Christ ; et un autre Arthémius, qui avait le litre de défenseur, c’est-à-dire qui était chargé de soutenir les droits civils de l’église d’Angoulême.

Le choix des envoyés d’Aptone montre assez quel prix il attachait à l’heureux succès de leur mission : aussi accueillit-il avec grande joie leur retour et la réponse favorable qu’ils lui rapportaient. Toute la ville, certaine désormais de posséder saint Cybard, et appréciant ce riche trésor, témoigna à l’homme de Dieu le plus vif intérêt, et l’on s’occupa activement de préparer la grotte où il devait se renfermer ; il fallait, en effet, la clore du côté du nord, et y faire quelques autres indispensables appropriations. En attendant, Cvbard demeurait dans la ville, sans doute auprès de saint Aptone, soupirant après le jour où il lui serait donné de s’ensevelir dans ce tombeau de son choix. La nuit qui précéda ce jour tant désire, il se sentit presse de visiter sa chère solitude ; quittant donc sa couche à l’heure de minuit, il s’y rendit seul et secrètement ; et, après y avoir longtemps prié, parce qu’il se sentait affaissé par le sommeil, il prit, nouveau Jacob, une pierre pour oreiller, et eut, comme le patriarche, une vision céleste. Un ange lui apparut et lui dit : « Cybard, demeure ici, et ne cherche plus d’autre solitude » : ordre divin qui, en l’affermissant dans ses pieux desseins, lui en fit vivement souhaiter la prompte réalisation. Il se hâta donc de revenir auprès d’Aptone pour lui raconter cette vision, et passa près de la prison où gémissait un grand nombre de prisonniers de guerre qui, n’ayant pu encore être rachetés, n’avaient d’autre perspective que d’être retenus captifs, ou vendus comme esclaves. On sait que la délivrance ou le rachat de ces infortunés était, dans ce temps-là, une des principales œuvres des Saints, et que l’élise y employait libéralement ses trésors et jusqu’aux vases de l’autel ; par ce noble usage, ces vases devenaient rédempteurs comme le sang divin qui se consacrait dans leurs coupes vermeilles ; et plus d’une fois aussi, Dieu autorisa par des miracles le zèle compatissant de ses serviteurs C’est ce qui arriva dans cette circonstance ; car notre Saint se sentit inspiré de prier pour ces captifs, et il eut à peine achevé, devant la porte de la prison sa fervente prière, que soudain, sous les yeux mêmes du geôlier, cette porte s’ouvre, et que la barre de fer qui la fermait se brise et est lancée au dehors. Les prisonniers se précipitent alors vers l’église pour y chercher un refuge et remercier Dieu de leur délivrance. De son côté, le peuple accourt et dans ses acclamations, unit au nom du Seigneur, qui a brisé les fers des captifs celui de Cybard qui, sur le point de devenir le prisonnier volontaire de la pénitence, a voulu rendre à la liberté les victimes de la guerre et du malheur.

On comprend aisément qu’après un tel miracle, ce même peuple ait en foule accompagné notre Saint, lorsque l’évêque, suivi de son clergé, le conduisit à la grotte qui désormais devait être son séjour, et qu’il l’y renferma avec tout l’appareil des cérémonies sacrées. Et maintenant quelques-uns demanderont peut-être ce que pouvait faire le saint reclus dans son étroite et silencieuse cellule : il y faisait ce que depuis l’âge de quinze ans jusqu’à celui de cent treize, fit saint Paul, ermite, au fond des déserts, et ce qu’ont fait dans tous les siècles tant d’hommes éminents qui ont passé, soit leur vie tout entière soit de longues années dans la retraite la plus profonde et qui n étaient jamais plus éloquents que lorsqu’ils parlaient de leur chère solitude. C’est qu’ils s’occupaient de Dieu, qu’ils conversaient avec lui, qu’ils méditaient sa parole, et qu’ils y trouvaient une source inépuisable de pures et saintes joies. Ajoutons encore que, grâce à l’abondance de pénitences, de prières, d expiations et de souffrances que saint Cybard multipliait chaque jour, il avait plus de faveurs réelles à distribuer, et plus de bienfaits à répandre que le plus opulent monarque. Saint Aptone le comprit tout d abord, et pour étendre encore cette salutaire influence par la prédication et la direction des âmes, il éleva Cybard au sacerdoce, et permit à plusieurs de ses clercs de se mettre sous sa conduite. Lui-même venait souvent le visiter, et entre ces deux saints les heures s’écoulaient douces et rapides dans leurs suaves entretiens sur les choses spirituelles. De plus, à des jours et à des heures déterminées, les fidèles se réunissaient devant sa grotte, soit pour assister a la messe et recevoir la sainte communion qu’il leur donna par une petite fenêtre grillée, soit pour écouter ses instructions, ou recueillir ses avis, et surtout ses consolations, car il possédait tout spécialement le don de soulager l’affliction des âmes, plus encore même que celui de guérir les maux du corps, quoique cependant le miracle lui fût comme familier. Son historien nous dit en effet, qu’il guérit plusieurs lépreux, qu’il délivra des possédés, qu’il rendit la vue à trois aveugles et opéra beaucoup d’autres guérisons par l’onction de l’huile bénite qu’il conservait dans sa cellule. Parmi ces faits miraculeux, nous choisissons les deux suivants, qui nous ont paru particulièrement remarquables.

Une dame de noble naissance, nommée Clara, ou Arania, avait les membres tout contractés par une horrible maladie. Sur la réputation de saint Cybard, elle se fit amener vers lui, et le supplia à grands cris d’avoir pitié d’elle ; il la retint près de sa grotte une semaine entière, la recommandant vivement à Dieu, et puis la renvoya parfaitement guérie. Si sa reconnaissance fut grande, sa confiance en l’intercession de notre Saint ne fut pas moindre : on en jugera par le trait suivant : rentrée dans son pays et dans sa maison, qui était située sur le bord de la mer, elle vit un jour un navire prêt à périr au milieu des flots, elle invoqua aussitôt le secours de Dieu et les prières de saint Cybard ; puis se rappelant qu’elle possède une lettre de lui, elle court la chercher, et l’étendant vers le rivage, elle s’écrie : « Cybard, serviteur de Dieu, cette lettre est un gage de votre charité ; daignez, par le nom de Jésus-Christ, la faire servir au salut de ces malheureux. Son espérance ne fut point trompée, car soudain le navire, malgré la violence des vagues, vint aborder heureusement, loin de tous les ports, au lieu même où elle se tenait en prières.

Le second miracle eut lieu sur la personne d’un jeune homme nommé Artémius, et il nous montre la vertu simple et modeste du véritable solitaire en opposition avec l’orgueilleux fanatisme d’un faux religieux. Artémius, de lui-même, sans écouter aucun conseil, et en dehors de l’autorité de son évoque, s’était fait reclus dans le pays de Saintonge ; mais ni sa vertu ni sa tête n’étaient assez solides pour un pareil genre de vie. Aussi, après quelques années d’une imprudente réclusion, on le vit tout à coup tomber en démence, et demander qu’on le conduisît au roi Childebert, parce qu’il devait, disait-il, prendre ses ordres afin de visiter ensuite et d’inspecter le royaume. Ses parents désolés, feignant d’entrer dans ses vues, se mirent en route avec lui, et, moitié par ruse, moitié par force, l’amenèrent à la grotte de saint Cybard. Mais, en présence du Saint, Artémius tomba dans un subit accès de fureur, ses cheveux qu’il portait très-longs, s’agitèrent en désordre, ses bras se tordirent violemment, et ses doigts se crispèrent convulsivement ; il s’écriait en même temps qu’il ne reconnaissait personne qui lui fût égal en sainteté, et qu’ainsi c’était lui faire outrage que de l’amener à un autre solitaire ; il mêlait en outre à ces inepties mille autres folies, et même des paroles de blasphème. Cependant notre Saint, touché de compassion, étendit la main par la fenêtre de sa cellule, et fit sur lui le signe de la croix. A l’instant tous ces cris et ces fureurs cessèrent ; le jour suivant il ordonna de lui couper les cheveux, ce qu’on ne put exécuter qu’avec peine, parce qu’Artémius y opposa une forte résistance, et le surlendemain saint Cybard déclara qu’il pouvait être admis parmi les clercs et recevoir la tonsure. Cela fait, le pauvre jeune homme demeura parfaitement tranquille, et après quelques jours, que le Saint employa à le consoler et à l’instruire, il revint auprès de sa famille complètement sain d’esprit et de corps. Sa guérison ne se démentit point jusqu’à sa mort, et on la jugea même si solide qu’Artémius fut plus tard élevé au diaconat.

La tendre compassion que saint Cybard avait toujours eue pour les prisonniers et les captifs l’avait suivi dans sa retraite : leur délivrance était encore son œuvre de prédilection, et il y employait l’or et l’argent que les aumônes des fidèles versaient à ses pieds. On ne porte pas à moins de deux mille le nombre de ceux qu’il rendit ainsi à la liberté. Sa charité s’étendait également envers les criminels eux-mêmes ; et souvent saint Cybard se servit avec bonheur auprès des juges, soit pour modérer la peine, soit pour obtenir une grâce entière, de l’ascendant que lui donnaient sa vertu et sa sainteté. Cependant un jour il se vit refuser par le comte, ou gouverneur d’Angoulême, la commutation de la peine de mort qu’il avait prononcée contre un voleur que la clameur publique accusait avec plus de violence que de justice. La sentence fut donc exécutée en présence du gouverneur et d’un peuple nombreux. Averti de l’heure de cette exécution, saint Cybard y envoya un de ses moines, lui disant : « Sachez, mon frère, que ce que l’homme nous a refusé, Dieu par sa grâce nous l’accordera ». Il se mit alors en prières, et lorsque le religieux arriva au lieu du supplice, tout était consommé, le voleur avait été pendu, et la foule se retirait satisfaite et insoucieuse. Cependant le moine, les yeux fixés sur la potence, attendait avec confiance l’effet des paroles de son saint abbé : et voilà que soudain la corde se rompt d’elle-même, ainsi que les chaînes qui liaient le pendu, et il tombe par terre, libre de tous ses membres. Le moine court aussitôt à lui, s’empresse de lui dire à qui il doit sa délivrance, et le conduit sain et sauf devant son libérateur. Celui-ci, après avoir remercié Dieu, fait prier le comte de se rendre à sa grotte, et lui présente vivant cet homme qu’il reconnaît parfaitement pour le même qu’il avait laissé pour mort peu d’instants auparavant. Frappé de stupeur, il se jette alors aux pieds du saint abbé, lui promettant d’être à l’avenir plus docile à ses requêtes, et de ne pas tant prodiguer la peine de mort.

Quelque extraordinaire que nous paraisse ce miracle, on ne saurait en révoquer l’authenticité, car saint Grégoire de Tours, qui le rapporte au sixième livre de son Histoire des Francs, déclare tenir ce récit de la bouche du comte lui-même. En outre, à moins de ne vouloir, de parti pris, croire à aucun fait surnaturel, ni à aucune intervention de Dieu dans les événements humains, on ne peut dire qu’un tel miracle fut indigne de sa puissance, de sa sagesse et do sa bonté, car il était une grande leçon donnée aux juges qui, en ces temps, condamnaient si légèrement un homme à mort et au peuple qui, souvent, par caprice ou par une aveugle prévention, exigeait le supplice d’un innocent. Rien n’était donc plus digne de Dieu que de protéger, par un signe éclatant, la vie humaine contre de si effroyables excès.

Cependant quelques disciples étant venus se placer sous la direction de saint Cybard, il leur assigna d’abord pour habitation les quatre ou cinq grottes voisines de la sienne, et puis, comme leur nombre augmentait, il leur fit bâtir un monastère, au bas de la colline. Quoique renfermé dans sa cellule, il gouvernait par sa parole cette communauté avec autant de douceur que de force, car il savait au besoin reprendre sévèrement les religieux qui s’écartaient de la Règle. D’ailleurs ils venaient fréquemment, ou tous ensemble, ou chacun en particulier, recevoir ses instructions ; et nul ne se retirait sans avoir réchauffé sa piété, ou ranimé sa langueur au feu céleste de son âme. Une des prescriptions de la Règle ordonnait que les moines ne vivraient que des aumônes volontaires des fidèles ; et l’on présume facilement que plus d’une fois cette Règle les réduisit à de dures privations. Il arriva même un jour que le pain leur manqua absolument ; alors ils vinrent, tristes et abattus, crier famine à la grotte de saint Cybard. Mais celui-ci, les accueillant avec une aimable gaîté, leur dit : « Allons, mes enfants, la foi ne craint pas la faim » ; et puis, pour ranimer leur courage et peut-être aussi pour charmer leur appétit, il se mit à leur raconte "certains traits merveilleux de la vie des Pères du désert. Or, tandis qu’il leur parlait, on apporta au monastère des provisions si abondantes, qu’il y eut de quoi restaurer non-seulement toute la communauté, mais encore un grand nombre de pauvres.

Si nous entrons maintenant dans la vie intime de saint Cybard, nous dirons que l’austérité de ses jeûnes et de ses veilles paraît à peine croyable qu’il ne but jamais de vin, que ses repas étaient si courts et si légers qu’on ne comprenait pas qu’il pût se soutenir, que son lit n’était qu’une natte placée sur le rocher nu, et que son vêtement pauvre et grossier était d’une rudesse qui en faisait un vrai cilice. Ses austérités s’augmentaient encore d une manière effrayante pendant le Carême et à certains autres temps de l’année. D’ailleurs, sans cesse appliqué à la prière, donnant à la psalmodie et à la récitation de l’office divin la meilleure partie des nuits, il n’interrompait ses entretiens avec Dieu que pour instruire des choses de la vie spirituelle les religieux de son monastère et les séculiers qui venaient lui demander des avis ou des conseils. Mais, quels qu’ils fussent, il les ravissait tous par son humilité et son inaltérable douceur. Enfin, après avoir passé trente-neuf ans dans cette réclusion sévère, sans en avoir jamais témoigné la moindre fatigue, ni le moindre ennui, il fut pris d’une petite fièvre et rendit paisiblement son âme à Dieu, le 1er juillet 581, et à la même heure qu’il avait entendu la voix céleste qui lui disait : « Cybard, demeure ici et ne cherche plus d’autre habitation ». Dès qu’il eut expiré, on retira son saint corps de sa cellule et on le descendit au monastère pour l’enterrer dans l’église. Il se fit à ses funérailles, que Dieu honora par plusieurs miracles, un grand concours de peuple. Mais ce qu’il y eut de plus touchant, ce fut la multitude des captifs qu’il avait délivrés, et qui y accoururent tous pour offrir à leur bienfaiteur ce dernier hommage de reconnaissance.

On le trouve représenté : 1° versant un sac d’argent sur une pierre devant un de ses disciples, pour lui apprendre le mépris des richesses ; 2° placé au milieu d’une gloire d’où partent des rayons où sont écrits les noms des vertus qui ont le plus honoré sa vie et contribué à sa canonisation ; 3° ayant près de lui une chaîne, ou mieux des prisonniers dont les chaînes se brisent : c’est la caractéristique ordinaire des saints qui, surtout à l’époque mérovingienne, interposèrent une protection souvent bénie de Dieu entre la race conquise et les envahisseurs qui la rudoyaient ; 4° un vitrail de 1’église de la Rochefoucauld (Charente) retrace la vision qu’il eut dans sa grotte.

Saint Cybard est, avec saint Pierre, le patron d’Angoulême.

 Culte et reliques

Peu après sa mort, on commença à lui rendre un culte public, et l’évêque d’Angoulême. Nicasien, monté depuis un an seulement sur ce siège, s’associant à l’élan des populations, donna le premier l’exemple de bâtir une église sous le vocable de saint Cybard. A son imitation, un grand Sombre de paroisses dans les diocèses d’Angoulême, de Périgueux, de Saintes, de Poitiers et de Limoges le choisirent pour patron ; et le monastère qu’il avait fondé devint le but d’un pèlerinage, où l’on venait de très-loin vénérer le corps du Saint que la piété de ses enfants avait religieusement déposé sous le maître-autel de l’église. Mais, en 1568, les protestants, s’étant emparés du monastère, massacrèrent les religieux, violèrent les tombeaux de plusieurs comtes et évêques d’Angoulême qui y avaient choisi leur sépulture, et brûlèrent les reliques de saint Cybard. On n’en conserve plus aujourd’hui dans l’église cathédrale que quelques petits fragments. Quant au monastère, il se releva de ses ruines et subsista jusqu’en 1791, époque à laquelle il fut vendu, et en grande partie démoli. Cependant quelques portions subsistent encore, entre autres la salle capitulaire et la moitié des cloîtres ; et elles font partie de fabriques, d’usines et de maisons particulières. Il ne reste plus, pour consoler la piété de tant de pertes, que la grotte du Saint.

Cette grotte, pieusement fréquentée par la dévotion des fidèles, fut, en 1673, et par les soins de Henri de Reffuge, abbé commendataire de Saint-Cybard, un peu agrandie vers le fond, de manière à laisser eu saillie le lieu où se tenait habituellement le Saint. C’est a cet endroit qu on éleva un autel que François de Péricard, un des plus grands évêques d’Angoulême, consacra le 21 août de la même année. Il fit aussi sculpter dans le roc vif le bas-relief qu’on voit encore aujourd’hui et qui représente la vision de saint Cybard. Mais, au milieu du siècle dernier, un chemin qui montait du pont de Saint-Cybard à la place du Palet, ayant séparé de l’enclos de l’abbaye le haut du coteau, la grotte fut trop négligée par les religieux, et ils cessèrent d’y célébrer la messe, même le jour de la fête du Saint. Puis vint la Révolution de 1793 qui vendit l’abbaye et le terrain où se trouvait la sainte grotte. Le nouveau propriétaire l’utilisa en conservant des instruments de jardinage et les choses restèrent en cet état jusqu’en l’année 1851, époque à laquelle Mgr Cousseau, évêque d’Angoulême, eut la bonne inspiration d’acquérir cette grotte si pleine de religieux souvenirs et de la rendre au culte du pieux solitaire. C’est ce qui eut lieu le 1er juillet de cette année 1851, et le douze cent soixante-dixième anniversaire de la mort de saint Cybard. Depuis, Sa Grandeur ne manque jamais d’y venir tous les ans célébrer le saint sacrifice, et rien n’est plus touchant que cette messe dite dans ce lieu élevé et en même temps souterrain, qui rappelle à la fois les catacombes de Rome et les cellules de la Thébaïde. Un autre projet de Monseigneur est de rétablir l’ancien monastère de Saint-Cybard en le plaçant au milieu du faubourg qui porte son nom ; déjà une élégante chapelle a été construite qui, plus tard, deviendra l’église abbatiale, et chaque dimanche on y dit la messe. Puisse cette œuvre sainte, qui projettera une gloire nouvelle sur l’épiscopat de Mgr Cousseau, se réalisera bientôt ! et puissions-nous ainsi voir refleurir parmi nous les grands souvenirs monastiques de saint Cybard !

Nous devons cette biographie à l’obligeance Se M. J- Duchassaing, chanoine honoraire d’Angoulême qui l’a extraite de la vie du saint publiée, en 1851, par Mgr Cousseau.


[1Alias : Ybar, Eparète, Eparchius.

[2Ils étaient l’objet d’un culte à Trémolat, eu Périgord, où naquit saint Cybard et où demeuraient ses parents. Ils furent ensevelis dans l’église de ce lieu, dont ils étaient seigneurs, et plusieurs miracles furent faits à leur tombeau. — Le P. Dupuy, Etat de l’Eglise du Périgord.

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