Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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1542 - La Rochelle : le roi François 1er vient juger les révoltés de la gabelle

mardi 24 juin 2008, par Pierre, 1100 visites.

Un document riche en détails de toute sorte : il restitue avec une grande précision l’ambiance d’un épisode de l’histoire rochelaise. Le roi, délaissant le théâtre des combats qui l’occupent aux frontières, doit faire face à une révolte intérieure de grande ampleur.

D’autres documents sur les révoltes de la gabelle et une version assez différente du même épisode

Source : Cronique du Roy Françoys, premier de ce nom, publiée pour la première fois d’après un manuscrit de la Bibliothèque Impériale, avec une introduction et des notes, par Georges Guiffrey – Paris – 1860 – Books Google

Pour revenir à nostre camp de Perpignan, le Roy estant à Narbonne, comme a esté cy dessus récité, s’en partit dudict lieu on moys de novembre, l’an mil cinq cens quarente deulx, pour s’en aller à Angolesme et, pour y aller, passa par Thoullouze et pays de Languedoc, Auvergne et Poictou. Auquel lieu d’Angolesme, Cognac et aultres lieux, après y avoir esté quelque espace de temps avec la Roynne et les dames pour se récréer et solacier, délibéra aller à la Rochelle [1], pour faire justice des rebelles de ladicte ville qui estoyent prisonniers suyvant la court. Lesquelz ledict seigneur envoya ung jour devant, tous liez et enchesnez avec grand nombre de gens de guerre, tant de pied que de cheval, et force artillerie qui espoventa fort les habitans dudict lieu, comme sera cy après récité. Car comme il est escript ès sacrez monumentz, sainctes lectres et divine doctrine que la miséricorde habonde où le péché est grand, et que celluy qui a obtenu grâce d’ung grief et grand péché est plus tenu et obligé à celluy qui luy a remis et pardonné, donc est-il de nécessité sçavoir et entendre combien grande est l’offence perpétrée et commise par les habitans de la Rochelle et ceulx des Isles contre la Magesté Royalle, et la cause dont ilz sont tumbez en tant et si griefve indignation du Roy. A quoy entendre est besoing sçavoir chouses diverses et impertinentes, attendu qu’ilz estoyent accusez de chouses et offences diverses, et prendrons le premier argument en la cause des Rochelloys.

Or est-il que auparavant l’an mil deux cens la république Rochelloise avoit prins sa source et naissance, et, environ icelluy temps, commença son accroissement et fut baillé es habitans de ladicte ville, par l’auctorité de prince, puissance et privilège de faire colleige et sénat ; c’est une aggrégation de cent personnaiges, meurs de sçavoir, sens et aage, qu’ilz ont appeliez Pers, c’est à dire, esgaulx en auctorité ; et d’iceulx en avoit vingt cinq dotez d’une aultre dignité et degré d’honneur, qu’ilz nommèrent eschevins, et le lieu où ilz se congrégeoyent, eschevinaige ; et est à croire que Aristote n’a failly disant que la corruption d’une chouse est génération d’une aultre et (au) contraire. Or est il que, à deux lieues de ladicte Rochelle, sur la couste et bras de la mer, a une ville bien antique et qui encores à présent tient nom de ville appellée vulgairement et en langue corrompue Chastelaillon, en latin Castrum Juliï, autant comme le chasteau de Julles, qui est assez à démonstrer qu’elle est du temps de Julles César. Celle dicte ville estoit ceincte de plusieurs grosses tours, desquelles en reste une seulle vers la terre. Celles qui estoyent vers la mer sont fondues, conbien qu’elles fussent assizes sur roch. La matière en estoit tant forte et solide qu’elle apparoist encores à présent en la mer à grosses masses. Ainsi succéda par novelle généracion la ville de La Rochelle à celle de Chastelaillon, et creut grandement en biens, bruict, gloire et renom jusques en l’an mil troys cens quarente ; et combien qu’elle eust plusieurs divers et griefz assaulx, tormens, agitacions et infortunes, néantmoings résista. Ainsi ceste ville estant en l’obeyssance des Roys Françoys, lors et par longtemps opprimée par les forces des Angloys après plusieurs ans passez en guerre vindrent à accord.

Par tel, convenant que La Rochelle seroit obeyssante et en la possession des Anglois, au grand desplaisir du Roy de France, lequel voyant aultrement n’avoir accord avec lesdictz Angloys, feit persuader èsdictz habitans, pour le bien de paix, se mectre à l’obeyssance desdictz Anglois, les quictans des foy et serment que luy debvoyent et luy avoyent faictz.

Par aulcun temps après furent obéissans les Rochelloys ès Anglois, et, comme il est difficile une nation estrange soy accommoder ès loix d’une aultre, les Angloys leur firent beaucoup d’oppressions jusques ad ce qu’il leur fut juste et loisible vendiquer leur liberté ; car quant ung prince ou seigneur oblie le nom de seigneur et prince, et, par ces euvres, acquiert nom de tirant, licitement le peuple peult poursuir par tous moyens sa liberté, luy desnier obéissance et l’expeller ; de laquelle loy usèrent les Rochelloys, car, par advis, union et délibération faicte entre eulx, chassèrent, l’an mil troys cens soixante et dix, Philippes Mancel, lieutenant en ladicte Rochelle, pour le prince de Galles, filz aisné d’Engleterre, régnant en France Charles cinquiesme. Ainsi estans libres et soy povans donner à leur voloir eurent en recordacion le bon traictement, tuition et entretien qu’ilz et leurs entécesseurs avoyent receu des Roys Françoys, leurs naturelz seigneurs et princes, furent vers le Roy luy offrant obeyssance et fidélité avec aulcunes pactions, ainsi que récite en ses annales d’Acquitaine maistre Jehan Bouchet [2], homme de nostre temps de singulière érudition et labeur ; ce qui est plus amplement déclaré par l’istoire messire Bertrand Duguesclin , estant au trésor desdictz Rochelloys.

Entre celles pactions et accordz estoit, qu’ilz seroyent réuniz à la couronne, le chasteau démoli, qu’ilz auroyent couings royaulx pour forger monnoye et plusieurs aultres articles. Depuis celluy temps jusques à l’an mil cinq cens XXXIIII [à] ceste tant belle et magnificque république persévère en triumphe et honneur par l’espace de cent soixante ans ou environ, et jusques à ce que le temps ennemy de toutes chouses commença quérir telz et semblables moyens de ruiner ceste tant recommendée républicque, laquelle véritablement ressenbloit une petite aristocratie, maintenue soubz ung Roy qu’il avoit auparavant faict de la haulte magesté de Carthage de l’excellant empire des Romains ; car les seigneurs governeurs et décurions pour l’oppulence et grandes richesses en quoy ilz abondoyent firent quelque oppression au commung peuple qui par aulcun temps en endura ; et en celluy temps, comme sçay d’avoyr esté présent, survint quelque différent entre aulcuns privez de la partie du sénat, lesquelz, sur ung espoir de privée vindication, commencèrent la voye de extaindre et déprimer leur républicque ; et, pour mectre la chouse à fin, aggrégèrent avec eulx partie du menu peuple qui voluntiers s’i accorda, car le vulgaire, non advertissant la fin des chouses, aysément est conduict, luy promectant guain ou vindicacion. Or est il difficile qu’en une et tant grande et si longue administration n’y ayt quelque faulte commise par quelque ignorance ou erreur. A ceste cause messire Charles Chabout Seigneur de Jargnac [3], chevallier de l’ordre, gentilhomme de la chambre du Roy, governeur du pays de Aulnis et de ladicte Rochelle, voyant ce trouble, pour le deu de son office pourpensa mectre les deffaulx en lumière, car quelque temps y eust apparence de malle administracion et régime, ce que ledict seigneur governeur entreprint faire entendre au Roy et de faict luy fut la chouse descouverte ; lequel, volant mectre tel ordre que les abbus de deffaulx impousez ne prinsent accroissement, diminua cestui nombre de cent à vingt, desquelz l’ung des plus sufûsans est constitué supérieur par ledict seigneur governeur qui a tiltre de maire, et son commis soubz maire.

En l’an mil cinq cens quarente deux, estant le Roy, nostre souverain prince et seigneur, messeigneurs ses enffans et plusieurs aultres princes de son sang en leurs personnes ès limittes et diverses parties de son royaulme, pour la tuition, deffences et augmentacion d’icelluy, ayant entendu la cause des divisions estans entre les Rochellois, et voyant la ville de La Rochelle estre en dangier de tumber ès mains et obéissance de son ennemy par le moyen desdictes divisions, délibéra y pourveoir, et à ceste cause envoya une missive ausdictz Rochellois affin qu’ilz eussent à pourveoir à ce, et de prester obéissance en cestuy affaire audict seigneur governeur auquel il donnoit l’affaire en charge.

S’ensuict la teneur des lectres envoyées par le Roy aux habitans de La Rochelle :

Très chers Seigneurs et bien amez, nous escripvons présentement à nostre cher et bien amé cousin le Seigneur de Jarnac, chevallier de nostre ordre, governeur de nostre ville de La Rochelle, se transporter en ladicte ville pour donner ordre et pourveoir à aulcunes chouses qui concernent grandement le bien et seurté d’icelle et conservacions de vous personnes et biens, ainsi que vous entendrez plus amplement parce qu’il vous dira de nostre part, dont nous vous prions le croire et luy prester toute l’ayde et faveur qu’il vous requerra, et vous nous ferez service.

Donné à Trévoulx, le huictiesme jour d’aoust mil cinq cens quarente deux. Ainsi signé : Francoys ; et audessoubz : Bayard ; et en superscription : A nous très chers et bien aymez les eschevins, manans et habitans de nostre ville de La Rochelle.

Le governeur, comme bon et obeyssant au Roy, au plustoust se transporta à la ville de La Rochelle, où arrivé, communicqua de sa charge ausdictz eschevins pour mectre ordre en l’affaire et asseurer ladicte ville et habitans d’icelle et la tenir en bonne force, seureté et garde ; puis leur présenta la patente du Roy, de laquelle le contenu est tel que sensuict [4] :

Françoys, par la grâce de Dieu Roy de France, à nostre cher et bien aymé cousin le seigneur de Jarnac, chevallier de nostre ordre, gentilhomme de nostre chambre et gouverneur de La Rochelle, salut :

Pour ce que nous avons esté présentement adverty qu’aulcuns nous ennemis ont intelligences et practiquent sur nostre ville de La Rochelle et lieux circonvoisins, et qu’ilz machinent de la surprendre, chouse à quoy nous désirons singulièrement estre pourveu et remédier, et les conspirateurs et ceulx qui sont de leur faction descovers pour en estre faict la pugnition, telle et si griefve qu’il apartient à l’exemple des aultres, au moyen de quoy avons advisé d’envoyer en ladicte ville quelque bon et notable personnaige, à nous seur et féable, qui soit pour y donner ordre et seurté qui y sera requise ; nous, à ces causes, à plain confians de vostre personne et de vous sens, suffisance, loyaulté, prudhommie, vigilance, expérience et bonne dilligence, volons et vous mandons que incontinent et plustoust qu’il vous sera possible, vous ayez à vous transporter en ladicte ville de La Rochelle et aultres lieux circonvoisins, que verrez estre nécessaire, et là pourveoir à toutes chouses de sorte qu’il n’en puisse advenir aulcun inconvéniant, et principallement mectre toute la peine et dilligence qu’il vous sera possible, pour descouvrir et advérer ceulx qui seront suspectz et consentans de ceste conspiration, lesquelz vous confinerez et envoyrez soubz bonne et seure garde en Auvergne, Limosin et aultres lieux eslongnez des frontières, jusques à ce que nous y ayons aultrement pourveu ; et au demorant assemblez ceulx de ladicte ville de La Rochelle et leur ferez entendre la parfaicte et entière fience que nous avons d’eulx, et comme nous vous avons envoyé par dellà pour avoir l’euil et pourveoir à la conservacion et seurté de ladicte ville : les prians que, de leur part, ilz s’i employent et prennent garde qu’aulcun inconvénient n’y advienne, et, pour tenir icelle ville de la Rochelle en plus grande seuretté, mectrez dedans, si voyez que bon soit, jusques à deux ou troys cens hommes de guerre à pied que vous ferez lever promptement, lesquelz nous ferons payer et souldoyer de nous deniers, et surtout ferez faire bon guet par tout le pais avec telle vigillance et dilligence que l’affaire le requiert ; et donnerez ordre à tout ce que verrez y estre requis pour nostre service et seurté d’icelle, scelon l’entière et parfaicte fience que nous avons de vous. De ce faire vous donnons plain povoir, auctorité, puissance et mandement spécial ; mandons et commandons à tous nous justiciers, officiers, subjectz que à vous, en ce faisant, obeyssent, et vous prestent, si mestier est, toute l’ayde, conseil et faveur dont vous les requerrerez.

Donné à Mascon, le sixiesme jour d’aoust, l’an de grâce mil cinq cens XLII, et de nostre règne le vingt-huitiesme.

Signé : par le Roy, Bayard ; et scellées à simple queue de cire jaulne.

Pendant ces parlemens aprochoyent deux ou troys cens hommes de pied, que avoit jà assenblez ledict seigneur governeur, faisant apparoir de sa dilligence, ainsi que portoit la patente du Roy de se faire, si le cas le requéroit. Ainsi sembloit estre à faire pour le mieulx audict seigneur governeur. Les susdictz gens de guerre entrèrent en la ville, et furent logez au bourc St. Nicolas, qui a esté aultresfois hors la ville, et à présent est en mesme closture, comme bien appert.

Celluy jour, et le landemain, commencèrent quelques parolles de mutinement et division entre aulcuns desdictz adventuriers et ceulx de la ville. Le troisiesme jour ensuivant, l’ung desdictz adventuriers et l’ung des portiers de ladicte ville eurent quelque différent ensemble, et le seoir que les portes furent closes, icelluy portier, avec ses compaignons, en portant les clefz chez ledict seigneur governeur de ladicte ville, rencontrèrent aulcuns desdictz adventuriers, et, après quelques paroles dictes d’une part et d’aultre, commencèrent à descharger fort de chescun cousté, et lors fut ouy ung bruit par la ville qu’on voloit oster les clefz aux portiers ; à quoy survindrent plusieurs des habitans de ladicte ville, et commença la meslée plus forte que devant, et y en eut grand nombre de blessez, tant d’une part que d’aultre. Enfin, lesdictz adventuriers ne povant plus soustenir le faiz, ne résister à la commune, aulcuns se retir[èr]ent au mieulx qu’ilz peurent, les aultres furent mis prisonniers, desquelz l’ung d’iceulx fut conduict au logis dudict seigneur governeur, requérant ladicte commune d’icelluy estre faicte pugnition. A quoy fut respondu prudemment par ledict seigneur governeur que informations fussent faictes et les coulpables pugniz. La nuit passa en cestui trouble jusques au lendemain matin qu’encor n’estoit la colère dudict peuple estaincte ; et, environ les huit heures, à la persuasion d’aulcuns mal prudens, le peuple se mit en armes et commença de rechef à s’assembler au lieu où le soir précédent c’estoit faicte l’émotion susdicte ; puis follement est venu au logis dudict seigneur governeur demandant justice, lequel fit responce qu’ilz avoyent les prisonniers, et qu’ilz en fissent la pugnition ; puis commenda au soubz maire qu’il fist mectre les prisonniers en la maison de la ville. Après disner, ledict seigneur governeur fust acompaigné et gardé par aulcuns citadins, icelluy requérant et commendant, par ce qu’il véoit la commune fort mutinée, et oultre avoit pour sadicte garde hors son logis cinquente harquebouziers, telz qu’il volut nommer et choisir ; desquelz il fut conduict le jour suivant ès lieux où il volut aller acompaigné des citadins susdictz et principaulx de ladicte ville, eulx offrans à son service, dont il les remercia grandement. Bien toust après ledict seigneur governeur fit vuyder ladicte ville desdictz adventuriers, fors à ceulx qui estoyent prisonniers, qui depuis furent délivrez et mis en liberté, sans aultre peine que la prison.

Puis fist faire informacions des délinquans, pour réparer l’injure à Roy faicte. D’aultre cousté aulcuns des habitans procuroyent eulx justiffier ; et sachans le Roy au pais de Languedoc, députèrent aulcuns sages personnaiges de leur républicque pour aller celle part ; lesquelz après avoir estez ouyz du Roy qui cognut leur bon voloir et bonne vigilance d’eulx et de leurs ayeulx, déclara qu’il entendoit iceulx bien seurement et loyaulment garder sa ville, et pour lors n’y estre mis gens de guerre.

Quelque temps après, le Roy estant en la ville d’Engolesme, désirant bien entendre la cause de source de cestuy mutinement, et le tout estre vériffié, à quoy auparavant n’avoit peu vacquer, pour les grands et urgens affaires du faict de la guerre auquel vacquoit en personne, manda unes lectres ausdictz Rochelois à ce qu’ilz eussent à envoyer voir luy aulcuns députez des plus croyables pour sçavoir et entendre les différends qu’on disoit estre entre ledict seigneur de Jarnac governeur et les habitans de La Rochelle. Lesquelz obéissans au Roy desputèrent d’entre eulx huit notables et prudens personnaiges. D’abundant aultres saiges personnaiges se transportèrent vers le Roy, poursuivans la justificacion de la ville et des habitans ; et oultre, iceulx venuz à mandement du Roy, furent xxv desdictz citadins Rochellois adjornez à comparoir devant le Roy, lesquelz se présentèrent à Cognac, et leur fut faict responce que le Roy ne son conseil ne délibéreroyent en l’affaire, tant qu’il fust adverty quelle réception ilz avoyent faicte audict seigneur governeur et aux siens.

Durant ceste poursuitte que faisoyent les Rochellois à la court, ledict seigneur de Jarnac, governeur de ladicte Rochelle par le commandement du Roy, mist en ladicte ville la compaignie de monsieur le marquis de Rothelin qui est de cinquente hommes d’armes ; et, oultre ladicte compaignie de mondict seigneur le marquis, entrèrent en ladicte ville deux cens hommes de pied, qui furent assemblez par le commendement dudict seigneur de Jarnac, lequel fut receu honorablement comme lieutenant du Roy, et pareillement les hommes d’armes et gens de pied furent bien venuz et humainement traictez, et leur fut offert quarente pippes de vin par moys, et tout le boys et chandelles qu’ilz pourroyent user, et plusieurs aultres gracieusetez que leur firent lesdictz Rochelloys.

Ledict seigneur governeur feit faire inhibitions et deffences aux habitans ne saillir hors, du matin plus-toust que sept heures, et d’eux retirer au soyr à heure semblable ; et oultre, leur feist faire commendement qu’ilz eussent à mectre entre ses mains toute leur artillerie commune ; et sur peine de la vie que chescun eust à porter ou faire porter en certain lieu, à ce député, tous bastons à feu et aultres bastons de guerre, harnoys et chouses deffensibles jusques au poignard. Oultre plus, par le commendement dudict seigneur governeur, lesdictz habitans non garniz d’aulcuns baston de guerre, chescun à son ordre, volant faire le deu d’obéissance à son supérieur, faisoit le guet des portes de la ville, avec lesdictz gens de guerre.

Le Roy estant lors à Aulnay, qui [y ?] fut suivi desdictz Rochellois, auxquelz fut faict commendement de ne s’absenter de la court et qu’ilz n’eussent eulx retirer à La Rochelle pour faire novelles informacions et procedder à la faction du procès.

Lors estoit en ladicte ville ung homme de bien, euseigneur de la voye salutaire, lequel voyant le peuple Rochelloys tant troublé, le consola en ceste manière : Le cœur du prince est en la main de Dieu, et ayant faict nostre paix avec Dieu, facilement nostre prince nous donnera la sienne ; et plusieurs aultres bonnes et sainctes parolles que leur dist en ses prédicacions. Incontinant commencèrent à vacquer à jeusnes et oraisons, donner aulmosnes, faire processions, et aultres bonnes œuvres et opéracions ; et ay entendu que ceste chouse estoit venue à la notice du Roy, qui avoit dict que cela leur proficteroit.

Depuis ne fut faict aulcune chouse on procès et affaires desdictz Rochellois, que le Roy ne fust à La Rochelle ; mais bien on vacca ès charges imposées aux habitans des Isles, lesquelz avoyent assez bien receuz premièrement les commissaires princiers que le Roy y avoit envoyez, sans qu’il y eust aulcune insulte. La seconde foys que le Roy envoya èsdictes Isles lesdictz commissaires, les habitans commencèrent à murmurer et disoyent que le Roy n’entendoit et ne vouldroit telles chouses estre mises sus, qu’il n’est à déclarer pour le présent de peur d’estre troup prolixe, et aussi que chescun l’a peu sçavoir par les ordonnances que le Roy, nostre dict seigneur, a faict sur les maraiz et salines [5], lesquelles il a faict publier par tout son royaulme, et demorèrent en telle pertinacité que lesdictz commissaires s’en retournèrent sans exécuter leur commission. Lesquelz firent inquisitions et informacions de la rébellion et inobédience d’iceulx.

Le ban et arrière ban de Poictou fut envoyé celle part, et, oultre ledict arrière ban, quelque nombre de gens de pied, et eulx arrivez ès Isles, les habitans d’icelles percistèrent comme devant que le Roy n’entendoit telles chouses estre mises sus, résistans de toutes leurs forces audict arrière ban, d’aultant qu’ilz estoyent en leur fort qu’ilz avoyent bien sçeu fortifïier, parquoy demora la chouse sans exécution.

Durant ce temps, le Roy ne povoit aysément vacquer à ceste rébellion et désobéissance à sa volunté, ayant ses forces et gens de guerre divisez en Picardie, Luxembourg, Piedmond et Rossillon ; mais toust après, cessant l’affaire et entreprinse de la guerre, se retira en ses pais d’Engoulmoys et Xainctonge, où il menda aulcuns des habitans desdictes Isles pour respondre des cas à eulx imposez : lesquelz obéissans à son mandement se rendirent au lieu de Chisé [6] où estoit le Roy ; auquel lieu fut donné arrest à l’encontre d’eulx, tel que s’ensuict, et vingt d’iceulx estroictement détenuz prisonniers :

Déclaration de François 1er qui porte confiscation des marais à sel en punition de la rébellion des propriétaires - Chisé - 27 septembre 1542



Françoys, par la grâce de Dieu Roy de France, à tous ceulx qui ces présentes lectres verront, salut.

Comme pour pourveoir aux grands désordres et abbuz par longtemps perpétrez et continuez au faict de nous gabelles à sel, eussions, tant pour le bien et solaigement de la chouse publicque, que pour la certitude de nous droictz desdictes gabelles, qui sont droictz desdiez pour survenir aux fraiz de l’entretenement de nostre estat et de ladicte chouse publicque, faict et décrété par bonne et meure délibéracion de conseil certaine ordonnance provisionnelle, laquelle, par manière de provision, eussions ordonné estre exécutée, en attendant qu’en plus grande assemblée de conseil, y eust esté aultrement par nous pourveu, et pour ladicte exécution commis certains bons personnaiges de nous officiers et serviteurs, lesquelz se seroyent transportez es isles et maraiz sallans de nous dictz pays de Languedoc et Guyenne, et en iceulx establi gardes et commis pour, suyvant nostre dicte ordonnance provisionnelle, percevoir nousdictz droictz et résister ausdictz abuz et désordres. A quoy ilz eussent esté empeschez par les manans et habitans des isles Marennes, Oléron, Sainct Fort, Sainct Jehan d’Angles, Sainct Just, Bourg, Libourne, Bourdeaux, Sainct Macaire, Langast et aultres ; la pluspart desquelz auroyent prins les armes contre nousdictz officiers et commissaires en grande assemblée de gens ; commectant à l’encontre de nous et de nostre magesté et auctorité plusieurs grandes rébellions désobaissances et séditions ; et depuis, par aultres advis et délibération entre bonne et très grande assemblée de conseil, eussions faict aultre édict, au moys de may dernier passé, contenant la forme résolue par nous pour ladicte perception de nousdictz droictz, pour l’exécution duquel eussions renvoyé aultres commissaires sur lesdictz mairaiz sallans, ausquelz auroyent esté de rechef faictes par lesdictz habitans desdictes isles plusieurs aultres grandes résistances et désobayssances, contemnans et mésprisans de plus en plus nousdictes majesté et auctorité ; pour à quoy pourveoir, eussions esté contrainctz faire assembler nous ban et arrière ban de nostre pays de Poictou, et lever ung bon nombre de gens de pied, affin de faire obayr nousdictz commissaires en ladicte exécution ; mais, les habitans desdictes isles persistans en leurs rébellions et désobaissances et voyant par eulx nous forces estre lors départies en cinq grosses armées, tant en nous pays de Roussillon et Piedmont, qu’en nous pais de Picardie et Luxenbourg et ès Pays-Bas de l’Empereur, nostre adversaire, et qu’en aulcunes d’icelles nous et nous très chers et très amez enffans, les Daulphin et duc d’Orléans, estions en nous propres personnes, pour la deffence et protection de notredict estat et chouse publicque d’icelle, et que par le moyen de l’absence de nous et de nousdictz enffans hors nostre royaulme, aussi des grands deniers et munitions de guerre qu’il nous convenoit lors employer pour les effectz et entretenement de nousdictes armes, ce nous eust esté chouse difïicille et de grande charge de mectre sus grande force et armée du cousté desdictes isles, pour subvenir à nousdictz commissaires, se seroyent iceulx habitans de rechef assemblez en armes, tenans les champs en nombre de dix mille personnes ou environ, à enseignes desployées, artillerie et munitions servans à icelle et au faict de guerre, et empeschans de faict et de force à nousdictz commissaires l’entrée desdictes isles ; lesquelles ilz auroyent fortiffiées et ramparées contre eulx et faict sur eulx et lesdictz nobles et gens de pied, levez pour leur deffence et main forte, en ladicte exécution, plusieurs saillies, volleries, pilleries et meurtres, par le moyen de quoy nousdictz commissaires ont esté contrains eulx retirer sans povoir mectre à exécution leur commission, faisans faire bonnes et deues informacions desdictz crimes et délictz, pour par nous y estre pourveu selon l’exigence d’iceulx. Lesquelles informacions eussions faict veoir par aulcuns de nostre conseil qui d’icelles nous eussent faict rapport, suivant lequel eussions faict à conparoir par devant noustre personne les habitans desdictes isles et propriétaires desdictz maretz, grand partie desquelz y seroyent conparuz en leurs personnes et les aultres par procureur, contre lesquelz eussions en la présence d’aulcuns grands et notables personnaiges de nostre dict conseil faict propouser par nostre procureur général les cas et crimes dessusdictz. Ausquelz, qui sont tous notoires et manifestes, ilz n’ont sceu que dire et respondre sinon invocquer nostre grâce et miséricorde.

Sçavoir faisons que nous, ce considéré, et mesmement qu’attendu la gravité, conséquence et importance desdictz crimes et délictz, nous fust loysible, sans aultre procédure, ne sur ce garder aultre forme ou solemnité de justice, procedder au jugement deffinitif d’iceulx crimes et délictz et des conclusions pour raison de ce prinses par nostredict procureur ; aussi qu’il soit notoire et manifeste, que tous les propriétaires desdictz maraiz, tant nobles qu’aultres, sont participans desdictz crimes, soit de faict, ou pour avoir à iceulz crimes adhéré, ou pour nous avoir teu et célé les entreprinses et secrettes machinacions desdictes séditions et rébellions, contre le deu de la subjection, fidélité, et obeyssance qu’ilz nous doibvent et le debvoir de leurs fiefz. Ce néantmoings, affin que nostre jugement ne puisse estre dict précipité, et que lesdictz délinquans et coulpables n’ayent occasion d’eulx plaindre d’icelle, nous avons dict et ordonné, disons et ordonnons qu’avant procedder audict jugement deffinitif desdictes conclusions de nostredict procureur, en tant que touche lesdictz crimes, lesdictz habitans et propriétaires seront d’abondant ouyz, et pour ce faire comparaistront, c’est assavoir : les nobles et principaulx de la commune en leurs personnes et le reste de ladicte commune par procureurs pardevant nous, en nostre ville de La Rochelle, le dernier jour de ce présent moys de décembre.

Et néantmoings dès à présent avons dict et déclaré, disons et déclarons lesdictz marais sallans, à l’occasion desquelz ont esté faictz lesdictz portz d’armes, séditions et rébellions, estre à nous confisquez. Si donnons en mandement par ces présentes au prévoust de nostre hostel ou à son lieutenant, que nostre présent arrest et jugement il mecte et face mectre à deue et entière exécution, en contraignant et faisant contraindre à ce faire, souffrir et obéyr tous ceulx qu’il apartiendra par toutes voyes et manières deues, et en tel cas requises.

En tesmoing de ce nous avons faict mectre nostre sceel à cesdictes présentes.

Donné à Chisé, le XXVIIe jour de décembre, l’an de grâce mil cinq cens quarente deulx, et de nostre règne le XXVIIIe.

Le Roy partit de Chisé pour venir à Agure, qui est une belle maison apartenant au baron de Surgères, auquel lieu il chassa le cerf. Et le vendredi XXIXe dudict moys de décembre partit le Roy dudict lieu d’Agure et vint coucher au lieu de Sarrie, distant de la ville de La Rochelle de deux lieux ou environ.

Le landemain après disner qui fut le samedi commença approcher de ladicte ville le train du Roy ; et lors le clergé estoit préparé aller audevant, les habitans estoyent attendans si ledict seigneur governeur leur commenderoit aulcune chouse. Le boullevard et entrée de ladicte ville de celluy cousté estoit merveilleusement bien garny d’artillerie.

Le Roy commenda qu’on n’allast au devant de luy, que l’artillerie ne jouast point, et que les cloches ne sonnassent, qui depuis celle heure ne furent ouyes jusques au lundi environ de deux heures après-midis.

Ledict seigneur governeur feit tenir à l’entrée de la porte de Cougnes, des deux coustez de la rue, deux cens hommes de pied bien enbastonnez, c’estoit la porte par laquelle le Roy debvoit entrer. Icelle porte est forte à merveilles, car il y a deux portaulx fort haulx et bien conpousez, par le devant desquelz y a ung boullevard et batterie à la manière qu’on les faict à présent qui est de grande espesseur ; et bientoust après icelluy seigneur governeur arriva à ladicte porte acompaigné des archers et gagers de ladicte ville garniz de leurs hallebardes, vestuz de leurs livrées acostumées, qui sont rouge et jaulne, lequel attendit le Roy entre [les dictz] deux portaux.

Cepandant passèrent les pauvres prisonniers des Isles, liez et enferrez, tous montez sur chevaulx et conduictz par les archers du Roy au chasteau de la ville ; auquel y a deux grosses tours ordonnées à mectre prisonniers et le reste dudict chasteau tout ruyné, et démoly. Bien toust après entra monsieur le révérendissime cardinal de Tournon.

Puis le Roy, nostre prince et seigneur, qui avoit à ses deux coustez les duc de Vendosme et conte Saint-Paul ; puis entrèrent les révérendissimes cardinaulx de Lorraine et Ferrare, puis entra monsieur d’Orléans acompaigné de plusieurs gentilhommes, et tous ensemblement conduisirent le Roy en son logis, lequel logis estoit richement paré et garny de riches tapisseries.

Le dimenche suivant, dernier jour dudict moys de décembre, le Roy sortit de son logis aconpaigné des princes susdictz et révérendissimes cardinaulx, et vint ouyr la messe en l’église Saint-Berthellemy et, icelle finie, retourna en son logis, auquel estoit son disné préparé.

Environ les quatre heures du soir sortit de son dict logis à cheval, aconpaigné des susdictz princes et cardinaulx, et passa soubz la tour du gros orloge, pour veoir le havre et port qui estoit lors garny de beaulx et grands navires. Estant arrivé à la tour de la chesne, mist pied à terre, puis monta sur une batterie et platte forme, bien belle et ample, laquelle deffend et bat ce cousté de la mer. De ce lieu marcha le long de la muraille, contre laquelle flotte la mer deux foys le jour, et passa par la tour du garrot, qui est en icelluy pan de muraille qu’on estime le plus beau pan qu’il est possible de veoir : car, oultre le nombre de plusieurs tours, y en a troys de merveilleuse structure, dont l’une est nommée la grosse tour, qui est celle où est attachée la chesne ; l’autre la petit tour ou la tour de la chesne ; la tierce, la tour de garrot ; lesquelles sont de merveilleuse haulteur, ayans doubles galleries, sans la batterie, qui est à la haulteur de ladicte muraille. En l’une d’icelles y a une lenterne de pierre où l’on mect du feu la nuict pour la conduicte des navires, à ce qu’ilz fuyent les destroictz, banctz et lieux périlleulx. En chescune d’icelles tours y a cappitaines bien gaigez. Ceulx qui viennent de la part de la marine, voyans de loin ces tours, murailles et édiffices, leur semble veoir une nuée blanche : parquoy les Anglois l’ont appellée la ville blanche. Le Roy passa plus oultre, et vint à la porte des molins, par le devant de laquelle a ung boullevard merveilleusement fort, qui deffend celle cousté de la mer.

Le Roy passa encores plus avant, et, estant sur ung aultre pan de muraille, veit par le dehors de la ville close de deux grands doves et une grande prairie, en laquelle, quand il en est besoing, l’on mect l’eaue dedans d’une grand haulteur par aulcuns secretz canaulx. Puis, volant monter à cheval, rencontra une compaignie de petis enffans illec l’attendant à passer, lesquelz commencèrent crier à haulte voix : Vive le Roy, qui leur monstra une joyeuse face ; et environ les cinq heures se retira en son logis.

Cellui soir [7], vint l’ung des serviteurs de mondict seigneur le governeur faire assavoir aux seigneurs et principaulx de ladicte ville que le Roy avoit mandé mondict seigneur le gouverneur, auquel avoit commendé qu’il fist sçavoir aux habitans de ladicte ville que le jour suivant voloit soupper avec eulx, dont ilz furent grandement esbahiz, ne povans interpréter ces parolles, et parce que le temps estoit brief pour trouver chouses convenables et décentes pour recepvoir ung tel prince. Ce soir et toute la nuict se érigeoit et eslevoit au logis du Roy ung théâtre soubz une gallerie, dedans une petite court, qui donna crainte à aulcuns desdictz habitans qui le prenoyent en mauvaise part.

Le dimenche du matin furent advertyz aulcuns de la dicte ville que le concierge des prisonniers desdictes Isles leur avoit dict qu’on luy avoit commendé les faire disner à sa table dix ensemble, et les aultres dix après, et n’estoyent plus enferrez, ne liez, ne ès lieux viles et sales, mais ès meilleures chambres desdictes prisons.

Le lundi, premier jour de janvier, l’an mil Vc XLII, (1543) entre neuf et dix heures du matin, le Roy issit de son logis, et vint ouyr la messe au lieu Sainct-Berthellemy, et, icelle dicte, retourna en son dict logis auquel estoit son disner apresté.

Et, environ une heure après midi, sortit le Roy hors de sa chambre, et par une gallerie entra au théâtre richement paré et ordonné pour bailler arrest sur les charges et cas imposez et mis suz esdictz Rochellois et habitans desdictes Isles ; et lors se siet en une chaize fort riche et, à son cousté dextre, hault et puissant prince monseigneur d’Orléans, monseigneur de Vendosme, monsieur le conte de sainct Paul, et aultres princes. Du cousté senestre, estoyent les révérendissimes cardinaulx de Lorraine, Ferrare et Tournon. Aux piedz du Roy en une chaize basse, monsieur de Monthellon garde des seaulx dudict seigneur. Derrière la chaize du Roy estoyent messieurs le chancellier d’Allençon, Raymond advocat du Roy, le général Bayard et aultres du conseil lesquelz estoyent debout. Ondict théâtre estoyent quatre degrez bas ausquelz estoyent les accusez.

Lors, par le commendement du Roy, aprocha maistre Guillaume Leblanc, homme docte et advocat en la court de parlement à Bordeaulx, ayant charge des habitans desdictes Isles, lequel avec le procureur desdictes Isles, se mist à genoux sus le premier et bas degré la teste descouverte, les adjornez desdictes Isles derrière luy, de genoux et testes nues. Lors estoyent lesdictz vingt prisonniers au chasteau. Icelluy Leblanc en bon langaige fist, pour lesdictz habitans, la supplicacion en la forme qui s’ensuict :

Supplient très humblement vous paouvres habitans des Isles comme par vostre arrest qu’il vous a pieu bailler contre eulx, contenant confiscacion de tous leurs maraiz, ayez ordonné qu’avant procedder au jugement diffinitif des conclusions de vostre procureur, en tant que concerne les crimes desquelz lesdictz sup-plians sont accusez, qu’iceulx supplians seroyent d’abondant ouyz, et que, pour ce faire, comparestroyent en vostre ville de La Rochelle les nobles et principaulx de la commune en leurs personnes, et le reste de la commune par procureurs, ce que lesdictz pauvres supplians ont faict et sont très desplaisans de vous avoir offencé et encorir vostre indignacion, et n’entendent se justiffier devant vous des crimes à eulx imposez, ne entrer en cause, mais vous supplient très humblement qu’il vous plaise desdictz crimes et désobéissances leur impertir vous grâce et miséricorde, et leur remectre leursdictz marais, qui est entièrement tout leur bien, sans lequel ne seroit possible ausdictz paovres supplians vivre, avec telles charges qu’ilz vous ont offert cy devant par aultre requeste, combien qu’elles leurs semblent insupportables.

Ce considéré, et que les paovres supplians se sont humiliez et réduictz, il vous plaise de vostre begnigne grâce entériner leur supplicacion et accepter leurs offres, et les paovres supplians demoureront à jamais vous obéissans et fidelles subjectz et seront tenuz prier Dieu pour vous.

Après avoir mis fin à ladicte supplicacion, tous, testes descouvertes, à genoulx, crièrent à haulte voix : miséricorde ; et, leur estre impousé silence par le commandement du Roy, s’approcha maistre Estienne Noyau, lieutenant particullier et assesseur en la ville et gouvernement de La Rochelle, lequel, pour et au nom des habitans de ladicte ville, avec luy le procureur d’icelle et plusieurs des principaulx de ladicte ville, vestuz de robbes noires, lesquelz, testes descouvertes, se meirent à genoulx, comme avoyent faict ceulx des Isles, ledict Noyau commença à voix haulte et à tous intelligible, proférer la supplicacion et requeste suivante :

Sire, si oncques journée fut lamentable, piteuse, malheureuse et fatalle, certes sur toutes aultres c’est celle en laquelle vous très humbles et obéissans subjectz de vostre paovre ville de La Rochelle se seroyent tant mespris et obliez que d’estre tumbez en vostre indignacion et courroux, et avoir perdu vostre bonne grâce, s’il ne vous plaist de vostre acostumée clémence et bonté icelle nous restituer, et pour laquelle nous vous supplions, ainsi que le prophète royal David le souverain Dieu pour son offence, et vous demendons vostre grande miséricorde, selon la multitude de vous miséracions, à nulluy jusques à présent déniée.

O à la mienne volunté, Sire, que n’eussions tant commis envers vostre sacrée et très crestienne Magesté que d’estre présentement venuz en ce spectacle ; et non pourtant demourrons aliénez de pareille dévotion, service et obéissance envers vous, Sire, que nous prédécesseurs et nous avons par cy devant tousjours esté, mais par troup plus grande ; vous suppliant ne nous imputer ce que, casuellement et non par mauvais voloir, aurions commis et offenoé ; et qu’il vous plaise nous restituer vostre bonne grâce pour la restitution de laquelle nous, les nostres et qui descendront d’eulx dirons immortelles louanges.

Et, ce dict, le Roy auroit prins le propos, et remonstré à ceulx des Isles et de La Rochelle l’offence par eulx commise envers sa très crestienne Magesté lorsqu’il estoit empesché d’ung cousté et messieurs ses enffans d’aultre, pour la tuition et deffence de son Royaulme et mesmesment de ceulx desdictes Isles et de La Rochelle : et pour laquelle ilz estoyent dignes de confiscacion de corps et bien, que toutesfois, faisant office de Prince, il ne povoit et ne voloit dénier pardon à ceulx qui le demendoyent parceque grâce demendée, et longuement différée, est à demi vendue, et parceque l’offence par eulx commise procéderait plustoust par légéretté que de malice pourpensée, en remectoit la justice qui en debvoit estre faicte à ce qu’ilz s’en repentoyent, recognoissant avoir mal faict, et qu’il ne voloit perdre les personnes et prendre leurs biens comme peu de temps auparavant estoit advenu à ceulx de Gand, mais demendoit seullement le ceur de ses subjectz et leur remectoit toute offence par eulx commise, tant civille que criminelle ; et que de telle offence ne luy souviendrait jamais, admonestant les subjetz susditz qu’ilz ne leur en souvint aussi ; et qu’il voloit que leurs clefz, artillerie, armes et bastons, dont auparavant ilz avoyent estez privez, leurs fussent renduz, disant telles parolles, qu’il se confioit totalement en eulx pour la tuition et garde de la ville de La Rochelle, et commenda audict seigneur de Jarnac illec présent, faire vuyder les gens d’armes estans en ladicte ville. Et croyez que le propos du Roy fut en aultres termes, et tellement enrichi, qu’il n’est icelluy qui mieulx le sçauroit dicter que par luy il auroit esté promptement déduict et prononcé.

De ceste sentence furent les Rochellois fort joyeulx et pareillement ceulx des Isles. Lors fut ouy grande et doulce armonie de chanssons en musicque chantées par aulcuns chantres estans en la tour on clocher de l’Église St. Barthellemy.

Puis commencèrent les cloches audict St. Berthellemi à sonner, et, à icelluy son, branslèrent toutes les aultres cloches de la ville et firent ung merveilleux bruit, qui depuis le samedi quatre heures du soir n’avoyent esté ouyes.

Durant ces grands joyes [8], fut tenu propos, en la salle du Roy, des prinses faictes par les Normans sur les Espaignolz, et qu’il y avoit grand nombre de vaisselle de terre de Vallance et couppes de Venise. Incontinent on commenda les apporter et furent overs quatre grands couffres, le Roy présent, qui donna aux dames, qui là estoyent, desdictes couppes et vaisselles, et pour la grand beaulté d’icelles vaisselles et couppes le Roy volut avoir le tout qui estoit en vingt grands couffres, et commenda qu’on les payast, et qu’ilz fussent conduictz et portez à Rouan ou Dieppe, et pareillement fut commendé payer le fret et portaige d’iceulx.

La nef ou barque, en laquelle estoyent lesdictz couffres, estoit de soyante tonneaulx, en laquelle, oultre les susdictz vingt couffres, y avoit quatre vingtz sacz de riz de Gennes et Valence, quelques balolz d’acier, six pacquetz allumelles et espées, deulx balles camelotz, une balle papier et unze grands couffres plains de livres.

La Vigille St. Thomas, qui fut environ Nouël dernier passé, fut prins une aultre nef par lesdictz Normans de plus grande valeur que la susdicte, laquelle portoit de cent à six vings tonneaulx ; elle entra en l’havre et port le IIe janvier dernier passé. En icelle estoyent quatre cens ca[i]sses ou couffres bois, sucre, douze cens cuirs secqs d’une merveilleuse grandeur, plusieurs pippes, aulcunes plaines de Cassefistulle pour les appoticaires, les aultres de Gayat ou Palme saincte, les aultres seullement de l’escorce dudict boys.

Sur les cinq heures du soir, aprochant le temps du soupper, furent faictz feuz de joye, non seullement ès carrefours, ains presque de deux en deux huis, tellement qu’il n’estoit besoing de torches et lumières, et ressembloit presque ung aultre jour. Et à celle mesme heure commencèrent à jouer les grosses pièces d’artillerie lors estans en la place du chasteau, tellement qu’on estimoit estre ung tonnerre naturel, car, oultre le bruict que faisoyent lesdictes pièces, l’air estoit plain de feu[x] entièrement semblables à fulgures et confiscations que vulgairement on appelle esclères, qui dura par aulcuns temps pendant lequel trente des plus apparans de ladicte ville, vestuz fort richement, vindrent au logis du Roy et le condui[si]rent portant chescun une torche au poing à la salle sainct Michel, lieu préparé pour le recepvoir [9].

Le Roy volut, icelluy soyr, le tout estre conduict par lesdictz Rochelloys, et n’a esté sceu qu’aulcun de sa maison exerçast son office, fors ung maistre d’hostel pour l’assiete de sa table seullement et ung escuyer tranchant.

Les assistans furent fort esmerveillez veoir en si peu de temps si magnifficque et ample appareil, et povoit chescun juger que lesdictz Rochelloys n’avoyent oblié la forme de leurs bancquetz anciens. En ladicte salle, laquelle estoit tendue de riches tapisseries, estoyent gros flambeaulx qui rendoyent fort grand clarté. Il y avoit vingt six desdictz Rochellois portans les services, vestuz de cassaques de velours violet et noir ; l’ung d’iceulx lors la fin du soupper, par une esperdue et non acostumée joye, ou plustoust ravy de troup grand joye, print ung bassin auquel avoit diversité de configures, et, assez inconsultement, teste descoverte, se vint présenter au Roy. L’escuyer volant couvrir ceste audacieuse faulte, ce volut mectre devant luy, ce que le Roy aperceut, qui commenda approcher ledict Rochellois. Adonc l’escuyer print du pain pour toucher toutes les confictures et faire l’essav et deu de son office, ce que le Roy ne volut, et dist qu’il se confioit bien en eulx, qui démonstre assez la grand amitié qu’il leur porte.

Le soupper finy, qui fut de grand magnificence, furent les tables baissées et lors les musiciens commencèrent à chanter de si bon accord et doulce harmonie que impossible est de mieulx ; leurs chansons finies, sonnèrent les haulxboys, fluttes, cornetz, doulcines, buccines et plusieurs aultres sortes d’instrumens faisant tel bruict qu’on ne s’entendoit parler l’ung l’autre. Lors le Roy se mist à dancer et baller, et pareillement messieurs d’Orléans, Vendosme, Sainct Pol, de Boysi et aultres, tenans chescun une dame par la main. Les dances finies, le Roy se retira en son logis acompaigné comme avoit esté devant le soupper.

Le jour suivant, deuxiesme jour du moys de janvier, les principaulx de ladicte ville s’assemblèrent pour aller au logis du Roy luy rendre grâces du pardon qu’il leur avoit faict le jour de devant, et, pour porter la parolle fut commis le susdict maistre Estienne Noyau qui, ledict jour devant, avoit faict la supplicacion pour lesdictz Rochellois. Et, estans entrez ondict logis, et montez les degrez, rencontrèrent le Roy au premier hault carrefour du chambraige, et lors se mirent à genoulx, et icelluy Noyau luy rendit grâces en telles et briefves parolles :

Sire, la faconde résonante, prompte et asseurée prolacion de Démades, orateur grec, à tous propos aise de bien dire, ne seroit suffisante à vous rendre grâces ; pour tel bien à nous le jour d’hier conféré.

Le Roy entendit, voluntiers ledict Noyau, homme de singulière érudition en oraison françoyse, plus encores latine, lequel il ne laissa sans responce, ains sans ce movoir du lieu, proféra telles parolles :

Je suis fort marry de ce qui vous est advenu, toutesfois je le vous ay remis et pardonné de bon ceur et pense avoir gaigné vous ceurs, et vous asseure, foy de gentilhomme, que vous aurez le mien ; et, si vous avez par cy devant bien faict, faictes encores mieulx ; je m’en vois d’ung coustez de mon royaulme pour le deffendre, deffendez cestuy, comme j’ay en vous fience. Et si vous avez voloir, pour l’utillité de la ville, de me demender quelque chouse, demendez le moy, et je le vous octroyeré.

Ce faict, s’en partit ledict seigneur [10]


[1Le voyage du roy François 1er en sa ville de La Rochelle l’an 1542 avec l’arrest et jugemens par luy donné pour la désobéissance et rébellion que lui feirent les habitans dicellle. Paris, G. de Nyverd. S. D. Bibl. imp. Réserve. Cette pièce est dédiée au seigneur de la Ereingirom par son frère et se trouve reproduite en entier dans les Archives curieuses de l’histoire de France, t. III, p. 35.

[2Voy. Annales d’Aquitaine, f° 123 et suiv.

[3Charles Chabot, baron de Jarnac, frère puîné de Philippe de Brion, amiral de France. L’aversion qu’il inspirait aux Rochellois obligea le roi à le remplacer en 1544 dans le gouvernement de l’Aunis par Jean de Daillon, comte du Lude ; ce fut ce même baron de Jarnac qui eut plus tard ce fameux duel avec La Chasteigneraie.

[4Voici l’intitulé de ces lettres : Lettres patentes du Roy, envoyées au seigneur de Jarnac, gouverneur de La Rochelle, pour descouvrir et aviser ceux qui seront suspects et consentant à la conspiration de ladicte ville.

[5Voy. Isambert, t. XII, p. 787 et 790.

[6Chisay.

[7L’imprimé porte ici : « Moy estant avec aucuns des seigneurs et principaux de ladicte ville.... »

[8Le passage suivant jusqu’à : « Sur les cinq heures du soir.... » ne se trouve point dans l’imprimé.

[9Nous rétablissons le passage suivant qui se trouve dans l’imprimé : « Et leur ay ouy dire que s’ils eussent eu le temps plus long, et la disposition de l’air l’eust souffert, ils eussent fait une forme de salle en plaine rue qui eust été couverte, et par le bas garnie et semée de menu sablon. Les costez garniz de riches tapisseries, ainsi qu’ils souloient faire durant que leur collège et sénat estoient entiers, qui estoit une chose privée et péculière esdictz Rocheloys, n’estant faite en aucune autre ville du royaume, voire des royaumes. »

[10L’imprimé ne termine pas d’une manière aussi brève ; en voici le texte :

« Lors saillit de son logis, et vint ouyr la messe audict lieu S. Berthelemy ; et, icelle ouye, monta à cheval accompaigné de Messieurs les ducs d’Orléans, Vendosme, Sainct-Pol, des révérendissimes les cardinaulx de Lorraine et Ferrare et plusieurs autres seigneurs et gentils-hommes, et passa par la place du chasteau, où encore estoient vingt grosses pièces d’artillerie, qu’il regarda volontiers. La ville est garnie d’aussi grosses pièces d’artillerie et en aussi grand nombre que ville de France.

Le Roi passa outre, et arriva à la porte de Congnes, et d’illec print son chemin vers La Larrie, où son disner estoit appareillé. Les habitants de la ville voyans son département, crioient haultement : Vive le Roy, et prioient Dieu le vouloir maintenir en honneur, santé, et profit de sa République. »

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