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1670 - Rochefort (17) - Le fils de Colbert en stage de formation au métier de ministre

lundi 17 décembre 2007, par Pierre, 4342 visites.

"... c’est la volonté qui donne le plaisir à tout ce que l’on doibt faire et c’est le plaisir qui donne l’application."

Si vous appréciez l’esprit du Grand Siècle, vous aimerez certainement cette lettre que Colbert, ministre de la Marine de Louis XIV, adresse à son cousin germain Colbert de Terron, le maître de stage. Il y définit les objectifs de la formation de son fils à Rochefort, où il vient apprendre son futur métier de Ministre de la Marine.

Un pur délice.

Colbert fils (1651-1690)
Colbert père (1619-1683)

Source : Histoire de la vie et de l’administration de Colbert - Pierre Clément - Paris 1846 - Books Google

Mémoire pour mon fils sur ce qu’il doibt observer pendant le voyage qu’il va faire à Rochefort [1]

Le stagiaire qui arrive à Rochefort est Jean-Baptiste Antoine Colbert, marquis de Seignelay et de Châteauneuf-sur-Cher, baron de Lignières, (1651-1690), fils aîné de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683).

A la mort de celui-ci, Seignelay lui succéda comme secrétaire d’État de la Marine de Louis XIV et le resta jusqu’à sa mort.

Il vient à Rochefort apprendre son futur métier. Il a 19 ans et un bel avenir devant lui.

Estant persuadé comme je le suis qu’il a pris une bonne et ferme résolution de se rendre autant honneste homme qu’il a besoin de l’estre, pour soutenir dignement, avec estime et réputation, mes emplois, il est surtout nécessaire qu’il fasse toujours réflection et s’applique avec soin au règlement de ses mœurs, et surtout qu’il considère que la principale et seule partie d’un honneste homme est de faire toujours bien son debvoir à l’égard de Dieu, d’autant que ce premier devoir tire nécessairement tous les autres après soi, et qu’il est impossible qu’il s’acquitte de tous les autres s’il manque a ce premier. Je crois lui avoir assez parlé sur ce sujet en diverses occasions pour croire qu’il n’est pas nécessaire que je m’y estende davantage ; il doibt seulement bien faire réflection que je lui ay cv-devant bien fait connoistre que ce premier debvoir envers Dieu se pouvoit accommoder fort bien avec les plaisirs et les divertissements d’un honneste homme en sa jeunesse.

Après ce premier debvoir, je désire qu’il fasse souvent réflection à ses obligations envers moi, non-seulement pour sa naissance, qui m est commune avec tous les pères, et qui est le plus sensible lien de la société humaine, mais mesme pour l’élévation dans laquelle je l’ai mis, et par la peine et le travail que j’ai pris et que je prends tous les jours pour son éducation, et qu’il pense que le seul moyen de s’acquitter de ce qu’il me doibt est de m’aider à parvenir a la fin que je souhaiste, c’est à dire qu’il devienne autant et plus honneste homme que moi s’il est possible, et qu’en y travaillant comme je le souhaiste il satisfasse en même temps à tous ses debvoirs envers Dieu, envers moi et envers tout le monde, et se donne en même temps les moyens sûrs et infaillibles de passer une vie douce et commode, ce qui ne se peut jamais qu’avec estime, réputation et règlement de mœurs.

Après ces deux premiers points, et pour descendre aux détails de ce qu’il doibt faire pendant son voyage, je désire qu’il commence incessamment la lecture des ordonnances de marine, qu’il trouvera dans Fontanon, Conférence des ordonnances et ordonnances de 1629 ; qu’il emporte avec lui les traités de Clairac, et lise promptement celui des termes maritimes ; et que dans le voyage il s’instruise toujours de la marine avec M. de Terron, affin qu’il ne soit pas tout à fait neuf en cette matière lorsqu’il arrivera à Rochefort ; et je désire que pendant le séjour qu’il y fera, il emploie toujours trois heures du matin à l’étude, c’est-à-dire à la lecture dans son cabinet de tout ce qui concerne la marine ; et même quelquefois, pour changer de matière, qu’il poursuive la lecture des traités que je lui ai fait faire sur toutes les plus importantes et plus agréables matières de l’Estat.

Aussitost qu’il sera arrivé, il doibt faire une visite généralle de tous les vaisseaux et de tous les bâtiments de l’arsenal ; qu’il voie et s’instruise soigneusement de l’ordre général qui s’observe pour faire mouvoir une si grande machine.

Qu’il interroge avec application sur tout ce qu’il verra affin qu’il puisse acquérir les connaissances générales, pour descendre ensuite aux particulières.

Qu’il se fasse montrer le plan général de toute l’estendue de l’arsenal, tant des ouvrages faits que de ceux qui sont à faire, et sache la destination de chaque pièce différente, en voye la forme et la figure, et en scache donner les raisons ; qu’il écrive de sa main les noms de tous les vaisseaux bâtis, et de ceux qui sont encore sur les chantiers, et l’estat auquel il les trouvera, et en même temps une description de tout l’arsenal contenant le nombre des différentes pièces et de leur usage particulier.

Ensuitte il fera la liste des officiers qui servent dans le port, depuis l’intendant jusqu’au moindre officier, et s’en fera expliquer les moindres fonctions dont il fera le mémoire.

Après avoir pris ces connaissances généralles, il descendra au particulier. Pour cet effect, il commencera par la visite du magasin général, laquelle il fera avec le garde magasin et le controlleur ; verra l’inventaire général et en fera s’il est possible un recollement ; c’est-à-dire qu’il se fera représenter toutes les marchandises et munitions qui y sont contenues pour voir sy elles sont en la quantité et de la qualité nécessaires, sur quoi il se fera toujours informer. Il pourra mesme juger si le garde magasin et le controlleur font bien leur debvoir, en voyant si le magasin est propre et bien rangé et si tout est en bon ordre, et s’il se tient un livre d’entrées et issues, qui est absolument nécessaire pour le bon ordre.

Après avoir veu et examiné le magasin général, il visitera le magasin particulier des vaisseaux, dont il se fera représenter l’inventaire, les examinera et en fera le recollement comme ci-dessus ; et par ce moyen pourra bien connoistre la quantité et qualité des marchandises nécessaires dans le magasin général pour l’armement d’un aussi grand nombre de vaisseaux que celui que le Roy a en mer, et pareillement tout ce qui est nécessaire pour mettre en mer un seul vaisseau.

Ensuitte il visitera tous les atteliers des cordages, de l’estuve, des voiles, des charpenteries, des tonnelleries, des calfateries, la fonderie, le magasin à poudre, et généralement tous les ouvrages qui servent aux constructions, agrès et apparaux des vaisseaux ; examinera de quelle sorte se font tous ces ouvrages, et les différences des bonnes ou mauvaises manufactures, et ce qui est à observer sur chacune pour les rendre bonnes et en état de bien servir.

il fera faire un petit modèle de vaisseau qu’il m’enverra avec les noms de toutes les pièces escrits de sa main

Dans le magasin général sont compris toute l’artillerie, tant de fonte que de fer, les armes, mousquets, piques et autres de toutes sortes, ensemble toutes les munitions de guerre.

Il examinera ensuite les fonctions de tous les officiers du port, verra leurs instructions et fera de sa main un mémoire de tout ce que chacun officier doibt faire pour se bien acquitter de son debvoir, et prendra le soin de les voir et les faire agir chacun selon sa fonction, pendant tout le temps qu’il séjournera audit lieu de Rochefort.

Il s’appliquera ensuite à voir et examiner la construction entière d’un vaisseau, en verra toutes les pièces depuis la quille jusqu’au dernier baston de pavillon, en écrira lui-même les noms et fera faire un petit modèle de vaisseau qu’il m’enverra avec les noms de toutes les pièces escrits de sa main.

Après avoir veu, examiné la construction entière d’un vaisseau, et avoir seu les noms de toutes ses parties, il examinera encore l’esconomie entière de tous les dedans, et l’usage de toutes les pièces qui y sont pratiquées.

Il verra placer toutes les denrées, marchandises, armes, artillerie, agrès et apparaux nécessaires pour mettre un vaisseau en mer, en fera lui-même le détail, l’escrira de sa main et prendra le soin d’en faire charger et le mettre en cet état, et pour cet effet, s’il arrive assez à temps, il pourra prendre un des vaisseaux que M. le vice-admiral doit commander ; sinon il prendra le Breton qui doit estre préparé pour le voyage des Grandes Indes.

Et en même temps qu’il s’appliquera à connoistre les noms de toutes les parties qui servent a la construction d’un vaisseau, et de toutes celles qui sont nécessaires pour le mettre en mer, il se fera informer de l’usage de chacune pièce, et de toute la manœuvre d’un vaisseau, et de tout ce qui sert au commandement et à la dite manœuvre. Pour cet effect, il pourra la faire faire devant lui, soit dans le port, soit en montant sur les vaisseaux et allant deux ou trois lieues en mer pour voir le tout ; et en un mot fera en sorte par son application qu’il puisse scavoir le mestier de tous les officiers de marine, tant en mer qu’en terre, pendant le séjour qu’il fera au dit lieu de Rochefort ; en sorte que non seulement il puisse en bien parler, mais même qu’il puisse s’en souvenir pendant toute sa vie, et apprendre à donner bien ses ordres à tous les officiers qui auront à agir.

Pour parvenir à cette fin, il ne faut pas se contenter de voir et examiner une seule fois ce que je viens de dire, mais il faut le répéter et faire souvent la même chose, parce qu’il n’y a que cette répétition fréquente, mesme avec une grande application, qui puisse imprimer les espèces dans l’esprit et dans la mémoire, ensorte qu’elle se les représente fidellement toutes les fois que l’on en a besoin.

Il doit encore s’informer et savoir parfaitement toutes les fonctions des officiers d’un vaisseau, lorsqu’il est en mer, scavoir du capitaine, du lieutenant, de l’enseigne, du maistre, du contre-maistre, pilote, maistre-charpentier, maistre-voilier, maistre-calfat et maistre-canonnier, et combien d’hommes chacun d’eux commande et quelles sont leurs fonctions ; et générallement de tout ce qui s’observe pour la conduite d’un vaisseau, soit dans un voyage, soit dans un combat.

Il lira avec soin tous les règlements et les ordonnances qui ont été faites et données dans la marine depuis que j’y travaille, ensemble mes lettres et les réponses ; affin qu’il tire par tous ces moyens la connaissance parfaite et profonde qu’il est nécessaire d’avoir pour se bien acquitter de sa charge ; et pour le faire avec la satisfaction du Roy et le bien et l’advantage du royaume.

Il sera en même temps nécessaire qu’il apprenne l’hydrographie et le pilottage, affin qu’il sçache les moyens de dresser la route d’un vaisseau, et qu’il estudie aussi la carte marine.

Après avoir dit tout ce que je crois nécessaire qu’il fasse pour son instruction, je finirai par deux points. Le premier est que toutes les peines que je me donne sont inutiles, si la volonté de mon fils n’est eschauffée et qu’elle ne se porte d’elle-même à prendre plaisir à faire son debvoir ; c est ce qui le rendra lui-même capable de faire ses instructions, parce que c’est la volonté qui donne le plaisir à tout ce que l’on doibt faire et c’est le plaisir qui donne l’application. Il sait que c’est ce que je cherche depuis si longtemps. J’espère qu’à la fin je le trouveray et qu’il me le donnera, ou, pour mieux dire, qu’il se le donnera à lui mesme, pour se donner du plaisir et de la satisfaction toute sa vie, et me payer avec usure de toute l amitié que j’ai pour lui et dont je lui donne tant de marques.

L’autre point est qu’il s’applique sur toutes choses à se faire aimer dans tous les lieux où il se trouvera et par toutes les personnes avec lesquelles il agira, soit supérieures, égales ou inférieures ; qu’il agisse avec beaucoup de civilité et de douceur avec tout le monde, et qu’il fasse en sorte que ce voyage lui concilie l’estime et l’amitié de tout ce qu’il ya de gens de mer ; en sorte que pendant toute sa vie ils se souviennent avec plaisir du voyage qu’il aura fait et exécutent avec amour et respect les ordres qu’il leur donnera dans toutes les fonctions de sa charge.

Je désire que toutes les semaines il m’envoye, escrit de sa main, le mémoire de toutes les connoissances qu’il aura prises sur chacun des points contenus en cette instruction.


[1Ce mémoire a été publié par Forbonnais avec l’orthographe de son époque dans ses Recherches et considérations sur les finances de France, année 1670.

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