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1750 - Fonderie de Ruelle (16) - Le conseil municipal d’Angoulême refuse sa création

mercredi 9 mai 2007, par Pierre, 4270 visites.

8 juillet 1750 - Le Corps de Ville d’Angoulême refuse la création de la fonderie de Ruelle à son promoteur le Marquis de Montalembert

La fonderie de Ruelle, sur la Touvre
Photo : P. Collenot - 2007

Le projet de création d’une fonderie de canons à Ruelle, présenté par le Marquis Marc-René de Montalembert, est rejeté par le Corps de Ville d’Angoulême (le conseil municipal) pour des raisons qui ne manquent pas d’étonner : le bois de chauffage d’Angoulême, la santé des truites et d’autres arguments tout aussi spécieux.
On ressent également les effets d’un lobby local qui souhaite surtout le maintien de l’ordre économique établi.
La construction de la fonderie commencera malgré tout en 1750, et cet établissement, en dépit des vicissitudes qui l’attendent, sera bientôt le fleuron de l’industrie locale.

Source : Archives municipales d’Angoulême. - Publié dans Bulletins et Mémoires de la Société Archéologique et Historique de la Charente - Année 1880

Pour en savoir plus sur la Fonderie de Ruelle : voir ce site

ASSEMBLEE DE MESSIEURS LES MAIRE, ESCHEVINS, CONSEILLERS ET PAIRS DU CORPS DE VILLE D’ANGOULEME, TENUE AU SON DE LA CLOCHE, A LA MANIERE ACCOUTUMEE, AU PALLAIS ROYAL DE LA VILLE D’ANGOULEME, LE HUIT JUILLET MIL SEPT CENS CINQUANTE, A LAQUELLE ONT ASSISTE :

Monsieur Dutillet Deaubevie.escuyer, Maire ;
Conseiller. M. Fauconnier de Fongrave, ancien juge consul ;
Pairs. : M. Péchillou, procureur au présidial ;
M. Trémeau l’aisné, officier de la grande Vénerie du Roy ;
M. Thinon des Hors, advocat ;
M. Trémeau le jeune, ancien juge consul ;
M. Joubert Des Fosses, advocat ;
M. Gillibert, ancien juge consul ;
M. Varin, greffier de l’élection ;
M. Benoist l’aisné, ancien juge consul ;
M. Hélie-François Joubert, advocat ;
M. Tiffon, major de la milice bourgeoise ;
M. Pigornet, advocat ;
M. Thureau de la Cossonnière ;
M. De Lessat, procureur au présidial, secrétaire du Corps ;
M. Chaigneau de Latour-St-Jean ;
M. Vachier, advocat, procureur de la Ville.

Le marquis Marc-René de Montalembert
Photo : P. Collenot - 2007

Monsieur le Maire a dit que Monsieur le marquis de Montalembert a donné sa requête au Conseil tendante à ce qu’il luy fût permis de faire construire, sur un terrain à luy appartenant, sittué sur le bord de la rivière de Touvre, une forge propre à fabriquer des canons, des fourneaux à fonderie, une affinerie et une fonderie.
- 1° Que sur le renvoy qui en a été fait à Mr l’Intendant de cette Généralité, et à Mr le Grand Maître de ce département, il a été procédé, en conséquence de leurs ordres, à la visitte et reconnoissance de l’état actuel de l’emplacement sur lequel ledit sieur de Montalembert se propose de faire faire ladite construction.
- 2° Qu’il a été dressé procès-verbal des dires, réquisitions, contestations ou consentement des parties intéressées.
- 3° Qu’il a été ordonné qu’il seroit constaté s’il y a suffisamment d’eau, de mine et de castinne pour faire rouller ladite forge, fourneau, affinerie et fonderie.
- 4° S’il y avoit suffisamment de bois dans les environs appartenant audit Sr de Montalembert, ou autres particuliers, pour leur exploitation, sans que les villes, bourgs et villages voisins en puissent souffrir.
- 5° Qu’il seroit constaté si cet établissement ne causeroit aucun préjudice aux propriétaires des forges, fourneaux, moulins, uzines, terres, prés et héritages qui peuvent être au-dessus et au-dessous dudit emplacement, et le long de ladite rivière de Touvre.

Qu’en conséquence des proclamations, publications, affiches et assignations qui ont été faittes et données à ce sujet, il a été fait des procès-verbaux de commodité et incommodité, dans lesquels la Ville n’a point encore été entendue ; que, comme il est important de délibérer sur les avantages ou les inconvéniens de ce projet, il a cru devoir lui en faire part, affin qu’elle se détermine sur le party qui lui paroitra le plus sage et le plus avantageux.

Sur quoy la matière mise en délibération, le Corps, sous le bon plaisir du Roy et pour le bien et l’avantage de la province, a déclaré et déclare s’opposer formellement à l’exécution du projet dudit Sieur de Montalembert par les présentes raisons qui suivent :

Le prétexte de la proximité d’une rivière navigable, des ports de Rochefort et de La Rochelle, de l’abbondance des mines de fert, de la quantité des bois dont la province est, dit-on, couverte, et celuy des besoins pressans de la marine et des colonies, ont, d’abord, quelque chose de séduisant ; mais ils s’évanouissent dès qu’on les examine.

- 1° L’Angoumois est sittué dans un terrain sec et aride, autrefois peu habitté et la plus part inculte ; cette province tire la plus grande partie de ses revenus des vins qu’elle recueille et qu’elle convertit en eau-de-vie, pour la mer et les armées. C’est par ce genre de culture que ses habitants peuvent payer les grosses impositions dont ils sont accablés, et lors que l’intempérie de l’air et des saisons leur enlève ces secours, ils se trouvent sans ressources pour payer ces mêmes impositions.

- 2° Sans ce commerce qui est tout l’espoir de l’Angoumois, les vignes demeureroient incultes, les terres en chaumes, la province inhabittée, et le Roy perdroit, par cet événement, la moitié des impositions ordinaires, et une ville capitalle où il trouvera toujours ses plus fidelles sujets seroit bientôt déserte. Cependant rien n’est plus propre à ruiner ce genre de commerce que l’excès dans le prix des bois de chauffage ; il en faut une quantité considérable pour bouillir les vins : ils sont déjà chers et rares, et augmentés depuis cinq ans d’un tiers de leur prix ordinaire.

- 3° En parcourant les conditions de l’établissement du Sr de Montalembert, on s’aperçoit qu’il veut violler les plus sages prévoy[ances] et sacrifier à la fortune et au hazard d’un essay nos plus pressans bes[oins].
L’arrêt du Conseil d’État du neuf août 1723, fait exprès pour prévenir de pareils abbus, porte que les établissemens des forges, fourneaux, martinets et verreries ne pourront se faire dans les endroits ou leur uzage tendroit par la consommation des bois nécessaires pour les entretenir à priver le publicq de ceux destinés à son chauffage, et que cet établissement ne doit être fait que pour la consommation des bois qui ne sont pas à portée des rivières navigables et des villes, et qui, par leur situation, ne peuvent servir ny aux constructions ny au chauffage.

- 4° Contre l’esprit de cette disposition, le Sieur de Montalembert a jette son plan à la porte d’Angoulême, sur le bord de la rivière Royalle et navigable de Charante, dans un lieu d’où on tire les bois de construction pour la marine, les bois de chauffage et le charbon pour les provinces d’Angoumois, Saintonge et Aunis, et principallement pour le port de Rochefort.

- 5° Le Sieur de Montalembert forme même ce projet, sans avoir ny la propriété du terrin sur lequel il veut établir sa forge, ny les eaux, ny aucune terre, bois et dommaines à portée ; la terre qui lui appartient dans la province est éloignée de plus de sept lieues de pays de l’établissement proposé qui en vallent au moins quatorze de France, et tous les bois de celte terre n’entretiendroient pas cette forge pendant trois mois.

- 6° Si le Sieur de Montalembert a pris pour bail à rente le lieu auquel il a annoncé qu’il veut établir sa forge, ce n’est pas un grand engagement, il peut être reçu au déguerpissement à chaque instant en payant cent cinquante livres qui est le revenu de ce bail.

- 7° Pour donner quelque faveur à cet établissement on prétend qu’il répendra de l’argent dans la province, qu’il donnera de l’émulation et qu’il tirera de l’oisiveté nombre de personnes qui ne savent à quoy s’occuper ; mais cet endroit est le lieu le plus habité et le mieux cultivé, on y est très laborieux et il y manque le plus souvent d’ouvriers pour les travaux ordinaires ; les vins, les eaux-de-vie qui en font le principal revenu de cette contrée sont à portée de la rivière, et c’est de ce lieu d’où on tire les besoins journalliers et continuels d’une ville qui est peuplée de plus de quinze mille âmes [1]

- 8° Le Sieur de Montalembert indiquera sans doute les forêts de La Rochebeaucourt, de Marton, de La Valette, de Gros Bots, d’Horte, de Quatre Veaux, de Boixe, et autres parties de bois qui sont à quatre, cinq et six lieues autour d’Angoulême ; mais ces bois sont la pluspart dégradés et ruinés, servent à l’affouage des forges déjà établies, au chauffage de la province, à la convertion des vins en eau-de-vie, ou sont conduits au port d’Angoulême pour les villes à portée de la rivière de Charante, et il est important d’en laisser […] la plus belle partie et la mieux venante pour croître en futaye, sans quoy le port de Rochefort deviendroit […]. On ne pourrait plus désormais y construire aucuns vaisseaux, ce qui seroit l’excès du désordre dans une partie qui devient aussy […] l’État, et à laquelle le Conseil donne toutte son attention.

- 9° Le public craint aussy que le lavage des m[…] dont elles sont chargées le privera des secours qu’il tire de l’abbondence et de la bonté du poisson que la rivière de Touvre fournit à Angoulême, et […] qui par leurs vœux font un jeune perpétuel, cet événement est à craindre, surtout pour la truitte, qui est si faible qu’elle meurt dès qu’elle sort de l’eau.

- 10° La conduite du charbon et des bois de construction et à brûler, soit à Rochefort, soit à La Rochelle, occupe sans cesse trante batteaux et gabarres au port d’Angoulême, qui reviennent chargés de sel et des marchandises qui arrivent par la mer. Si la forge du Sieur de Montalembert consommait ces mêmes bois et ces mêmes charbons, ce serait sacrifier les besoins de ces villes précieuses à l’ambition du Sieur de Montalembert, ruiner le commerce de la province et diminuer de beaucoup le produit du bureau de Charante, qui donne annuellement plus de deux millions au Roy.

- 11° Le Sieur de Montalembert n’a aucun terrain propre à mines de fer qui lui appartienne, il n’en parolt point à portée du lieu de l’établissement proposé, et les plus proches sont éloignées de huit et dix lieues de France ; pour conduire ces mines, le charbon, la castine et les autres matériaux nécessaires, le misérable journalier, le laboureur seroient pressés, persécutés, et on établiroit un espèce d’esclavage sous les murs d’une ville franche, honorée des plus beaux privilèges.

- 12° Le Sieur de Montalembert prétend que les forêts Royalles de Braconnes et de Bois Blanc sont à portée de cet établissement, que les ventes ordinaires des bois du Roy seront montées au double du prix ordinaire, et que, destinés par leur sittuation à l’affouage de cette forge, ils feront un double avantage pour le Roy, en débitant le bois de ses forêts à plus haut prix et donnant à la marine des canons en abondance.
Ce prétexte est séduisant, mais il est trompeur à tous égards ; c’est mal si prendre de vouloir intéresser le Roy dans le prix de ses bois. Cinq à six mille livres par an, qui feroient tout le bénéfice aparant de ces ventes, ne doit pas être mis en paralèle avec les besoins d’une province qui paye trois millions au Roy, avec le commerce d’une rivière qui en donne au moins deux, avec les besoins d’un port de mer d’une ville maritime et de deux villes capitalles de province.

- 13° Les soins, qu’on prend actuellement dans la province d’Angoumois à conserver les bois de construction et de chauffage et principalement ceux qui se trouvent à portée de la Charante, deviendroient bientôt innutilles, on ne consulteroit plus l’âge ni la qualité du bois pour faire du charbon à portée de cette, forge, tout seroit sacrifié aux mouvemens présens, on n’envisageroit point l’avenir, et touttes les prévoyances des ordonnances viendroient échoir à la faveur de quelques canons qui peuvent se fabriquer bien plus aysement, à moindres frais et sans inconvenians aux forges déjà établies dans la province.

- 14° Le fermier des belles et magnifiques forges de Rencogne, appartenant à la demoiselle de Logivière, vient de faire un traitté de douze cent canons pour le port de Rochefort ; il y a travaillé avec succès à la satisfaction de la marine ; il en a déjà livré près de cinq cent, et on y fabrique aussi des boulets, bombes et mortiers.

- 15° Ce même fermier possède aussy les forges de Planche Ménier, où il travaille avec le même succès ainsi qu’à celles de Rencogne. Elles sont à deux lieues de celle que le Sieur de Montalembert veut établir, et cet établissement deviendroit inutille ou détruiroit des établissemens déjà faits et qui ne causent aucun préjudice.

- 16° Plusieurs seigneurs de l’Angoumois et sur les bords du Périgord rétablissent leurs forges anciennes et se présentent pour de pareils travaux.
Enfin la ville d’Angoulême, qui sous Charles Cinq et dans tous les tems a donné des marques éclatantes de sa fidélité, ne fait ses représentations que pour prouver que c’est toujours le même zelle qui l’anime.

- 17° Les provinces sont des corps politiques qui se trouvent mal organisés dès qu’on veut en derranger l’ordre ; la nôtre donne à l’État des bleds, des vins, des eaux-de-vie, des bois de construction et de chauffage, des bois marrin, du charbon, des canons, des bombes, des mortiers, des boulets, le tout dans une juste proportion ; si cet ordre est derrangé touttes les parties souffrent. Dans un vaisseau il faut de touttes ces chauses, et Rochefort seroit bientôt dans la consternation si nous ne luy donnions que des canons.
Au surplus rien n’est plus rarre que le bois dans les provinces de Saintonge et Aunis que la Charante arrose ; et elles n’en n’ont d’autres pour leur chauffage que ceux que l’Angoumois leur fournit.

[Signé :] DUTILLET. - FAUCONNIER DE FONGRAVE. - TIFFON. - BENOIST l’aisné. - F. TREMEAU. - N. TREMEAU. - VARIN. - JOUBERT. - Remy GILBERT. - H. JOUBERT. - CHAIGNEAU. - PIGORNET. - PÉCHILLON. - VACHIER. - LA COSSONNIÈRE. - THINON.
DE LESSAT, secrétaire.


[1MM. du Corps-de-Ville commettaient là une erreur certaine. Lors du dénombrement fait au mois de juin 1764, il s’est trouvé à Angoulême 12,174 habitants :

2,283 hommes,

2,439 femmes,

2,928 garçons,

3,306 filles,

41 prêtres,

56 religieux,

138 religieuses,

436 servantes ou filles de chambre,

245 domestiques,

302 ouvriers étrangers.

En l’an XII, la population de cette ville était de 14,627 individus.

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