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1755 - 1832 - Le chevalier de Piis et la Saintonge

mercredi 29 août 2007, par Jacques Duguet, 1279 visites.

Le chevalier de Piis, aujourd’hui à peu près oublié, a eu l’honneur de notices dans les différentes éditions du Larousse, au XIXe siècle, en qualité de « littérateur français ». Nous nous sommes intéressé à lui parce qu’il a eu des relations avec la Saintonge, en particulier parce qu’il a pu jouer un rôle dans la genèse de la célèbre chanson « A la pêche des moules » [1].

Ces relations ayant fait l’objet de recherches par l’érudition locale, au XIXe siècle, il nous a suffi d’en faire une synthèse.

Publié dans Roccafortis, septembre 1995, p. 362-364.

Le point de départ est une question posée en 1881, dans la Revue de la Saintonge et de l’Aunis. Un lecteur signale alors que, d’après la Biographie Saintongeaise de Rainguet, le chevalier de Piis aurait écrit des « Mémoires » et que ces mémoires auraient toute chance d’être conservés dans la descendance d’une fille adoptive de de Piis, qui était mariée avec un intendant militaire nommé Regnard. Et le correspondant ajoute : « Leur découverte serait sans doute fort importante pour l’histoire de notre province où M. de Piis avait conservé de fréquentes relations. A-t-on des lettres inédites de et à cet élégant écrivain ? » [2]. C’est ainsi qu’ont été exhumées et publiées dans cette revue quelques lettres de de Piis, conservées en particulier par la famille de Bremond d’Ars qui était liée à celle du chevalier.

Rainguet, en effet, a donné une notice biographique du personnage, puisée à bonne source puisqu’il s’est inspiré d’un article d’Anatole de Bremond d’Ars publié dans le Mémorial de l’Ouest, le 29 juillet 1851. Comme son ouvrage a été imprimé en cette année 1851, la notice doit d’ailleurs être une des dernières qu’il ait écrites. Il signale ainsi que Antoine-Pierre-Augustin Piis, né à Paris le 17 septembre 1755, appartenait à une famille distinguée de la Guyenne, qu’il passa sa jeunesse à Saintes, non loin du marquis de Piis, son parent, qui avait épousé Bayonne (sic) de Copenne et qui habitait le château de Mirambeau. C’est pourquoi le chevalier a « transporté sur la scène les airs, les bals, et jusqu’au patois saintongeais, réminiscence de ses visites à Panloy, à Bussac, au Port-d’Envaux, à Cognac, à Dompierre, à Chaniers et au Portublier, charmant petit castel si coquettement posé au milieu de grands peupliers, en face des vastes prairies de Courcoury, qu’on dirait l’original d’un gracieux tableau de Paul Poter ». Il « a surtout rappelé, dans les scènes qu’il a décrites, son séjour au Portublier qu’il affectionnait particulièrement et dont il ne se détacha qu’à regret ». Il est mort le 22 mai 1832, « alors qu’il rédigeait ses Mémoires dont nous ignorons le sort ». Le discret abbé se garde de dévoiler l’origine de l’affection de Piis pour le Portublier, mais celle-ci est connue.

Le Recueil de la Commission des Arts et Monuments Historiques de la Charente-Inférieure, publication plus ou moins rivale de la précédente, signale, en 1886, qu’une importante collection de volumes, plaquettes, estampes et feuilles manuscrites, concernant l’Aunis et la Saintonge, est entrée à la bibliothèque municipale de La Rochelle, par legs de l’archiviste-paléographe Adolphe Bouyer, décédé à Paris le 26 décembre 1884. Cette collection comprend plusieurs dossiers, parmi lesquels un dossier de Piis [3]. Aussi, deux ans plus tard, en 1888, paraissent dans le même Recueil des extraits du « carnet de Piis » relatifs à la Saintonge [4]. Ce sont de brèves notes autobiographiques, qui semblent avoir été rédigées en vue d’un développement, en l’occurrence les « mémoires » signalés par Rainguet comme en cours de rédaction à la mort de l’auteur. Il est bien possible que cette « rédaction » n’ait pas dépassé le stade des notes préliminaires. Toujours est-il que personne n’a retrouvé de mémoires de Piis.

Dans une lettre écrite le 16 février 1830, à l’adresse de « Pierre de Bremond d’Ars, en son hôtel, rue des Jacobins, à Saintes », Piis fait allusion à des souvenirs communs qui remontent à cinquante-deux ans en arrière, soit à l’année 1778 (ou 1777) [5]. Piis avait alors vingt-trois ans et son correspondant dix-neuf. En 1781, un recueil de contes est imprimé à Saintes. C’est à cette époque lointaine que se rapporte cette note de son « carnet » : « mon voyage à Saintes chez mon cousin, le comte de Bremond d’Ars, chez qui je fais en grande partie mes Vendangeurs ».

Le 29 juin 1821, résidant alors à Enghien-Montmorency, il répond en ces termes à un billet de faire-part que lui a envoyé Pierre de Bremond d’Ars à l’occasion du mariage de son fils Théophile :

« Mon cher cousin,
... Depuis la mort de votre cher frère, je n’ai plus eu de nouvelles de la compagne de mon enfance... Quand je suis sur ma montagne, je m’oriente vers la Saintonge ; et, comme le bon Béarnais étendait ses bras tout autour de Paris (où il n’était pas encore), j’étends les mains du côté des bords de la Charente (que je ne reverrai plus !)... [Ensuite il se lamente sur la faiblesse de ses ressources]... Si, au lieu de 4 000 francs qu’il [le théâtre du Vaudeville] devroit me payer par an, il eût consenti à me compter seulement 1 200 francs, je vous jure, ami, que l’ermite de Montmorency auroit été, avant de mourir, revoir la lune à Fouras... » [6]. Nous ignorons qui est cette compagne d’enfance de Saintes. On constate cependant qu’il connaissait la plaisanterie As-tu vu la lune à Fouras ?, qui avait encore cours à Rochefort il y a quelque temps mais qui semble oubliée aujourd’hui.

L’intérêt du « chevalier » pour le Port-Tublier, en Chaniers, près de Saintes, est dû à une liaison malheureuse avec une fille du lieu, liaison qui lui a donné son seul enfant : Édouard de Piis, sorti de l’école de Fontainebleau avec le grade de sous-lieutenant, qui a été tué au combat de Busaco, au Portugal, le 27 septembre 1810. Il parle de ce fils dans une lettre à un ami datée du 4 prairial an 8 (23 mai 1800) : « Vous me demandez des nouvelles de ce qui m’intéresse. J’ai épousé, comme vous, une femme selon mon coeur. Je n’ai point d’enfant d’elle ; mais j’élève, sous ses yeux et avec son amitié, le fils que m’a laissé Melle L... » [7]. Il est plus précis dans une note de son carnet : « Souvenirs délicieux de Chaniers, au bord de la Charente. Peupliers de Melle Latache. Carrière où je faisais ma toilette. Le père et l’oncle, etc. Regrets éternels de ne pas m’être marié avec cette personne estimable... ».

Dans une chanson intitulée « A ma femme, qui vouloit savoir le passé », il appelle « mademoiselle Latache » Cidalise :

Entre Saintes et Chaniers

Cidalise, plus sage,

N’agréa mon hommage

Que sous ses peupliers.

Sur la Charente

Sa main, un beau jour,

Chassa la barque errante

De mon amour.

On retrouve la même fiction dans une épître dédiée à un maître à danser de la ville de Saintes, nommé Delêtre :

Ah ! que d’une ardeur singulière

Je désire l’hiver prochain !

Le carnaval, le masque en main,

Des bals m’ouvrira la carrière ;

Je verrai Lise, Arsinoé,

La prude Iris, la vive Ismène,

La sérieuse Dorimène,

La folâtre Leucothoé...

Et la divine Cidalise.

Cidalise ! Ce nom charmant

M’échappe à plus d’une reprise,

Sans doute involontairement...

C’est dans « Le bout de l’oreille » qu’on entrevoit la genèse de l’attachement du poète à sa « divine » :

Cidalise me plaît !

Au bas de son corset elle est

Mince comme une abeille [8].

L’annotateur de l’épître à Delêtre, qui est probablement un Bremond d’Ars, mentionne : « Ces surnoms mythologiques donnés aux jeunes beautés saintongeaises, sont également employés par Bourignon dans ses poésies. Nous en avons malheureusement perdu la clef qui, dans notre jeunesse, nous avait été donnée par quelques contemporains de ces amantes de Terpsichore » [9].

Cependant, ces bribes ne permettent pas d’identifier précisément la mère d’Édouard de Piis, que le chevalier aux bonnes manières appelle toujours « mademoiselle », même en un âge avancé, alors qu’il « repasse » et que l’assaillent les regrets. Ce qui est certain c’est qu’elle descend de Jean Latache, maître fondeur à Rochefort, dont nous avons présenté une courte biographie [10]. Entre 1793 et 1799, on identifie un Claude Latache et son beau-frère Charles Benjamin Guillet, dit Desgroix, marchands associés, qui demeurent au Port-Tublier. Seraient-ils le père et l’oncle de la « demoiselle » ? Nous n’en savons pas davantage.


[1Bulletin de la S.E.F.C.O., tome XIX, mai-juin 1986, p. 529-532.

[2Tome III, p. 111.

[3Recueil de la Commission des Arts et Monuments..., tome VIII, p. 331-332.

[4Ibid., tome IX, p. 381-382.

[5Revue de la Saintonge et de l’Aunis, tome III, p. 245-246.

[6Ibid., p. 426-427.

[7Ibid., p. 424.

[8Ibid., tome VIII, p. 326.

[9Ibid., tome III, p. 424.

[10Roccafortis, janvier 1993, p. 96-99, avec tableau de sa descendance.

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