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1816 - Rochefort (17) : le moulin à draguer et les autres inventions de Monsieur Hubert

mardi 24 mars 2009, par Pierre, 2686 visites.

Monsieur Hubert est un ingénieur de la Marine très inventif. Son moulin à draguer la Charente en est le plus bel exemple. Écologiques, économiques et efficaces, les inventions de Monsieur Hubert méritent d’être découvertes

Source : Annales maritimes et coloniales - Paris - 1816 - Books Google

LE secrétaire perpétuel pour les sciences mathématiques certifie que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi 5 février 1816.
Rapport sur un Mémoire de M, Dupin, contenant la description de plusieurs Machines à l’usage de la marine, construites à Rochefort, d’après les projets de M, HUBERT , Officier du génie maritime.

LA classe a chargé M. Sané, M. Molard et moi, de l’examen d’un mémoire de M. Dupin, son correspondant, contenant la description de plusieurs machines exécutées à Rochefort, d’après les projets de M. Hubert, officier du génie maritime. Celles de ces machines sur lesquelles l’auteur du mémoire désire principalement fixer l’attention de la classe, sont au nombre de sept, dont nous allons donner les descriptions sommaires.

 1° Dynamomètre pour éprouver la force des Cordages et des Toiles à voiles

Les cordages et les toiles employés dans le grément et la voilure des vaisseaux, doivent avoir une force considérable pour résister aux actions combinées de la mer et des vents ; et cependant il est important de mettre dans leur construction toute l’économie qui peut être compatible avec la solidité, et par conséquent de connaître les efforts que les différentes matières dont ils sont formés et leurs différens modes de construction les rendent capables de supporter. C’est dans cette vue que le ministre de la marine, après l’examen des différens dynamomètres employés dans les arsenaux, et sur le rapport de notre confrère M. Sané, inspecteur général de la marine, a adopté de préférence à tous autres le mécanisme présenté par M. Hubert.

Le cordage en expérience, mis dans une position verticale, est accroché, à son point supérieur, à la petite branche d’une romaine horizontale ; à mesure que ce cordage est tendu par les moyens dont nous allons parler, le poids curseur de la romaine est éloigné du point de suspension, par un mouvement de va et vient fort simple, qu’un homme met en jeu en tournant l’arbre d’un petit treuil, de manière que la grande branche de la romaine demeure toujours horizontale. On a ainsi les efforts supportés par le cordage en expérience, non-seulement lorsqu’il se casse, mais dans tous les jnstans qui précèdent celui de la rupture.

Ce cordage est attaché, à son extrémité inférieure, à un autre cordage d’une plus grande force que la sienne, lequel, après avoir passé sur une poulie fixe, va s’enrouler sur une hélice conique dont l’axe est horizontal, et dont la base est dentée sur toute sa circonférence. Cette denture est menée par une vis sans fin, placée à l’extrémité d’un axe horizontal, dont l’autre extrémité porte une roue verticale ayant sa circonférence garnie de barres perpendiculaires à son plan, auxquelles s’adaptent les mains des hommes employés à éprouver le cordage.

Les principaux motifs qui ont déterminé le ministre à adopter cette machine de préférence a celle qu’on employait anciennement, sont sa précision, sa simplicité, et le peu d’efforts qu’elle exige sur les barres de la manivelle, relativement au degré de tension du cordage en expérience.

 2.° Machine pour compter le nombre détours que fait un Axe se mouvant dans des colliers fixes.

Les produits des machines hydrauliques mises en mouvement par des axes tournans, sont, en général, proportionnels au nombre de tours de ces axes, nombre qu’il est par conséquent essentiel de connaître, pour évaluer tant les effets des machines que les salaires des travailleurs employés à les faire mouvoir. On a depuis long-temps imaginé, pour remplir ces conditions, des systèmes de roues dentées et des pignons portant des aiguilles qui indiquaient les unités, dixaines, centaines, &c. L’un de nous a employé cette espèce de système dans les travaux de fondation du pont de Louis XVI.

M. Hubert a simplifié fort heureusement l’ancien mécanisme. Deux roues minces, de même diamètre et juxta-posées, portent l’une cent et l’autre quatre-vingt-dix-neuf dents. La roue de quatre-vingt-dix-neuf tourne sur un axe fixe par le moyen d’un canon, qui, traversant la roue de cent, la dépasse suffisamment pour porter une aiguille destinée à parcourir [es divisions marquées sur la place apparente de cette roue de cent, derrière laquelle est couchée celle de quatre- vingt-dix-neuf. La roue de cent porte un index qui court sur les graduations d’un limbe fixe divisé en dix parties seulement, la denture suppléant aux divisions de centièmes, et une même vis de l’axe vertical de la machine engrène à-Ia-fois les deux dentures. Au moyen de ces dispositions, lorsque fa roue de cent dents a fait un tour entier, qui correspond à cent tours de la machine, la roue de quatre-vingt- dix-neuf dents a fait un tour plus un quatre-vingt-dix-neuvième de tour. L’aiguille qu’elle porte a donc marché d’un quatre-vingt-dix-neuvième de circonférence sur sa face antérieure, de la roue de cent dents, et chaque marche pareille est le résultat de cent tours de la machine. Ainsi, lorsque, par les mouvemens relatifs des deux roues, celle de quatre-vingt-dix-neuf, qui indique les centaines, aura fait une révolution entière sur celle de cent, cette dernière, qui en indique les dixaines et les unités, aura fait quatre-vingt-dix- neuf tours, correspondant à neuf mille neuf cents tours de la machine. Cette machine étant supposée à manège, et les chevaux parcourant environ vingt-quatre mètres par tour, les neuf mille neuf cents tours donnent un espace parcouru total de deux cent trente-sept mille six cents mètres.

 3.° Machine pour forer les Parcs à boulets.

On appelle parcs à boulets des madriers en bois fixés sur le pont ou contre la muraille d’un vaisseau, dans chacun desquels est pratiquée une file de trous hémisphériques destinés à contenir les boulets, qui doivent emboîter très-exactement dans ces trous, de manière à ne prendre aucun mouvement dans les plus violentes oscillations du vaisseau.

La principale particularité de la machine construite par M. Hubert pour creuser ces trous hémisphériques, consiste dans la forme de la tarière. Il avait d’abord donné à cet outil la forme d’un demi grand cercle de la demi-sphère, dont les moitiés, formant le quart du cercle total, étaient aiguisées en sens contraire, de manière à tailler en même temps, lorsqu’on tournait la tarière dans le sens convenable : mais, pour diminuer considérablement le travail du creusement , il a construit une tarière ayant la forme d’un demi-cylindre, dont le diamètre est égal au rayon de l’hémisphère à creuser, et dont le tranchant est aiguisé de manière à engendrer cet hémisphère, lorsque le demi-cylindre tourne autour d’une de ses arêtes. L’avantage principal de cette dernière disposition consiste en ce que les différentes parties de l’arête qui taille, forment des angles difîérens avec la direction du fil du bois ; au lieu que, dans la première disposition, les directions des mouvemens de tous les points de l’arête du tranchant, c’est-à-dire, les perpendiculaires au plan qui renferme cette arête, sont toujours parallèles entre elles, et font par conséquent, à un instant déterminé quelconque, les mêmes angles avec le fil du bois.

M. Dupin dit, dans son mémoire, que la tarière perfectionnée économise la moitié de la force motrice.

 4° - Machine à percer dans le Bois les trous cylindrîques

Le percement des trous cylindriques qui, au premier aperçu, semble plus aisé que celui des trous hémisphériques, est cependant réellement plus difficile ou au moins plus embarrassant. La tarière employée pour la première espèce de trous, occupant une grande partie de l’espace dans lequel elle agit, les copeaux qu’elle forme s’accumulent dans la partie cylindrique déjà creusée, augmentent de plus en, plus le frottement de l’outil, et finiraient par en rendre la rotation extrêmement pénible, si on ne retirait de temps en temps et cet outil et les copeaux qu’il vient d’enlever.

La machine à forer de M. Hubert a pour objet principal de faciliter cette manœuvre, sans arrêter la rotation de la machine. La tarière est fixée à l’extrémité d’un cylindre de fer , mis dans une situation horizontale et tournant dans des colliers de cuivre. A ce cylindre est adaptée une poulie sur laquelle s’enroule une corde sans fin, au moyen de laquelle on produit le mouvement de rotation.

Tout cet équipage est sur un bâtis de charpente mobile, porté par deux roulettes h axes fixes, sur lesquelles if peut se mouvoir parallèlement à l’axe de la tarière. La pièce intérieure de ce bâtis, celle qui porte immédiatement sur les roulettes, a son point d’arrière attaché au bas d’un aviron, ou d’une poche verticale fixée par son point supérieur, laquelle, lorsque le système mobile qui porte la tarière est poussé en avant, fait la fonction d’un ressort qui tend à le ramener en arrière ; une corde attachée à un point fixe, près de la roulette antérieure, traverse la pièce posée sur cette roulette, qui sert de base au système mobile, vient ensuite passer, sur une poulie placée vis-à-vis de son extrémité fixe, et enfin a son autre extrémité attachée à fa ceinture d’un homme employé à la manœuvre de la machine. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l’homme dont nous venons de parler se porte en arrière, il tend la corde, fait avancer l’outil sur là pièce qu’on veut percer, et fléchir la perche élastique ; et lorsqu’il se porte en avant, l’élasticité de la perche , dont l’effet n’est plus contrarié par la tension de la corde, fait reculer tout l’équipage qui porte la tarière, laquelle sort de son trou d’où tous les copeaux qui y existent se trouvent expulsés.

Tous ces mouvemens sont absolument indépendans de l’agent employé à faire tourner la tarière, dont le mouvement de rotation s’opère sans discontinuité et toujours dans le même sens.

 5.° Machine à creuser les trous pour incruster les Dés des Roues des Poulies.

Les poulies s’useraient très-promptement, si les essieux qui les traversent frottaient immédiatement contre le bois dont les rouets sont composés ; et, pour prévenir cet inconvénient, on est dans l’usage de garnir d’un dé métallique chaque côté de l’œil ou trou cylindrique qui traverse ces rouets.

Les dés dont nous parlons sont des plaques de cuivre percées, dans leur milieu, d’un trou circulaire pour le passage de l’essieu, mais dont le périmètre extérieur ne peut pas être un cercle concentrique à ce trou, afin d’éviter qu’avec l’usage le rouet ne tourne indépendamment du dé : il faut de plus que le dé soit encastré dans le rouet avec une telle précision, qu’on n’ait jamais à craindre le moindre jeu entre l’un et l’autre.

On remplissait ordinairement ces conditions, soit en garnissant le contour extérieur du dé de tenons saillans sur son périmètre , soit en faisant ce périmètre triangulaire ou carré, et arrondissant les angles ; mars le travail était long, et la précision de l’encastrement difficile à obtenir.

M. Hubert obtient la facilité du travail et la précision de la forme, en donnant à son dé la figure d’un grand cercle sur la circonférence duquel s’élèvent trois lunules, ou portions de petit cercle, ayant leur centre au sommet d’un triangle équilatéral inscrit au grand cercle. II peut ainsi employer, pour creuser les trous d’encastrement dans les rouets, la machine à forer les trous cylindriques dont nous avons parlé à l’article précédent, en se servant de tarières dont les mèches aient la forme convenable.

 6.° Machine à mortaiser les Caisses des poulies.

Une des parties difficiles du travail de la fabrication d’une poulie, est le creusement de la mortaise à pratiquer dans la caisse ou chape destinée à contenir le rouet. La machine que M. Hubert a fait construire pour exécuter ce travail, est une de celles qui, pour être bien conçues, exigent particulièrement qu’on ait les dessins ou modèles sous les yeux. Nous dirons en peu de mots que les ciseaux, d’une forme particulière et nouvelle, destinés à creuser ces mortaises, sont mis dans une situation verticale, suspendus à un levier horizontal et maintenu de manière à se mouvoir verticalement. Le point d’attache de ces ciseaux est placé entre J’axe de rotation du levier et son autre extrémité, à laquelle se trouve suspendue une tige de fer verticale, terminée a sa partie inférieure par deux crémaillères parallèles, réunies à leurs extrémités par des portions de cercles dentés ; cette pièce d’engrenage est menée par un pignon fixe qui produit un mouvement vertical de va et vient. Le moyen d’assurer l’alternation et la fixité de cet engrenage nous a paru nouveau.

Le ciseau ayant ainsi un mouvement périodique de montée et de descente, il ne s’agit plus que de lui présenter les parties successives du bois qu’il doit enlever pour former la mortaise ; et c’est encore le levier qui produit cet effet, par le moyen d’une tige de fer au bas de laquelle se trouve un encliquetage à crochet, qui fait tourner une vis dont la rotation détermine le mouvement progressif d’une espèce de chariot auquel la pièce de bois à mortaiser est attachée. Ainsi, lorsque cette pièce de bois a été préalablement écarrie, percée d’un trou dont le diamètre est égal à la largeur de la mortaise, et mise solidement en place sur son chariot, il ne reste, pour achever le travail, qu’à tourner la roue du va et vient.

 7° Moulin à draguer.

Les eaux de la Charente tiennent continuellement dans leur cours de la vase en suspension, qui se dépose par-tout où la vitesse de ses eaux est ralentie ; c’est le cas où se trouvent, à Rochefort, les avant-cales des vaisseaux, qu’on est obligé de laver chaque jour h marée basse, et quelques canaux communiquant avec le fleuve, qui exigent des curages fréquens.

Mais l’inconvénient de l’envasement se fait sur-tout sentir à l’avant-bassin, dans lequel les cônes de construction ont leur entrée. La Charente y dépose, à chaque marée, une couche d’environ sept millimètres d’épaisseur, et en peu de temps ces couches accumulées s’élèvent à une hauteur telle, que les portes des formes en sont complètement obstruées. On employait autrefois des bœufs pour traîner une drague destinée au curage de ces vases, et ce travail était extrêmement long et dispendieux. M. Dupin dit que sa durée était de plusieurs mois, et évalue sa dépense à vingt ou vingt- cinq mille francs. On n’ouvrait les portes que tous les trois ans, et on se privait ainsi de l’usage journalier d’un établissement très-important pour les opérations de la marine militaire.

M. Hubert a fait construire un moulin h draguer, qui remédie à tous ces inconvéniens. Le prix d’un seul curage, te ! qu’on l’exécutait autrefois, a suffi pour payer les frais de la machine ; et le modique salaire de deux condamnés, chargés de la surveillance du moulin, remplace la dépense que faisaient autrefois cinquante-six bœufs et leurs conducteurs. Voici une idée sommaire du mécanisme.

Sur un gros cylindre horizontal sont enroulés, en sens contraire, deux cordages qui, par des poulies de renvoi convenablement placées, tirent la drague en deux sens directement opposés. Quand un cordage agit, l’autre cède ; et la drague peut ainsi traîner la vase depuis les portes du bassin jusque dans le courant du fleuve, et rétrograder pour recommencer une nouvelle course. Ce va et vient de la drague est déterminé ainsi qu’il suit. Le moteur de tout le système est le vent appliqué à un moulin semblable aux moulins hollandais, quant à sa forme et à sa manière de transmettre le mouvement de l’axe des ailes à un arbre vertical. Le bas de cet arbre porte une lanterne destinée à mener successivement deux roues dentées établies autour du gros cylindre horizontal, et à une distance,’l’une de l’autre, plus grande que le diamètre de la lanterne ; au moyen de quoi, lorsque cette lanterne engrène dans la roue à droite, elle ne touche pas la roue à gauche, et réciproquement ; mais elle fait tourner le cylindre dans un sens ou dans le sens opposé, suivant qu’elle engrène l’une ou l’autre des deux roues dentées, et détermine par conséquent les marches contraires de la drague.

Pour opérer cette alternation d’engrenage, M. Hubert a fait supporter l’arbre de son moulin par une traverse horizontale mobile. Un balancier mu à main d’homme peut agir sur cette traverse, tantôt à droite, tantôt à gauche, et fournit ainsi le moyen de changer l’engrenage à volonté.

Une heureuse circonstance facilite ce mouvement alternatif, et amortit le choc que la lanterne tend à exercer contre la roue dentée qu’elle va rencontrer. Le cordage qui tirait la drague dans l’engrenage près de cesser, étant extrêmement tendu, aussitôt que la lanterne n’agit plus pour le faire tirer, se détend et donne au cylindre un mouvement rétrograde, qui est précisément celui que le changement d’engrenage doit lui communiquer. Les dents de la seconde roue se trouvent donc animées du même mouvement que les fuseaux de la lanterne, et leur emboîtage réciproque est extrêmement facilité.

II faut voir sur les plans les moyens imaginés pour faire enrouler et dérouler uniformément les deux cordages qui déterminent le va et vient de la drague, pour faire dévier latéralement cette drague, afin qu’elle creuse successivement des sillons parallèles sur toute l’étendue de la surface à curer, &c. La forme de cette drague est aussi digne d’attention : les dessins en sont sous les yeux de la classe.
Machines diverses, mues par le moulin à draguer.

Le curage de l’avant-bassin des formes n’est pas la seule fonction du moulin à draguer, qui en remplit d’autres encore, d’autant plus importantes qu’elles se rapportent à des objets de fabrication dont on a un besoin continuel dans les ports de marine militaire. C’est pour ces objets de fabrication que M. Hubert a adapté à son moulin d’autres machines, qui emploient très-utilement la force du vent pendant les intermittences du dragage,

La première de ces machines, placée au rez-de-chaussée, est un laminoir d’une parfaite exécution, et dont la composition, quoique ne présentant pas d’idées absolument nouvelles, n’en offre pas moins plusieurs détails ingénieux. Un accident qui a un jour arrêté la rotation des cylindres, a donné lieu à une observation curieuse sur la force du moteur et sur la solidité de la machine. Un manchon de fer gros comme la cuisse, servant à communiquer le mouvement au laminoir, s’est tordu d’un quart de circonférence sur la longueur d’environ un mètre, et se serait infailliblement brisé si l’action qui le tordait ainsi se fût continuée.

Un second mécanisme, établi au troisième étage du moulin, fait mouvoir des meules à broyer les couleurs dont on se sert pour peindre l’intérieur et l’extérieur des vaisseaux. Quatre jeux de meules accouplées deux à deux sont ainsi mis en mouvement ; l’intérieur de chaque couple est fixe, et la supérieure tourne autour d’un axe vertical.

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