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La Rochelle (17), par Louis-Etienne Arcère (1698-1782)

mercredi 4 février 2009, par Jean-Claude, Pierre, 2611 visites.

De nombreux auteurs ont créé de toutes pièces une origine ancienne pour la ville de La Rochelle. Arcère les réfute un par un, et explique pourquoi il ne faut pas essayer de remonter avant le 10e siècle.

Voir : Carte satellite des lieux décrits par Louis-Etienne Arcère

Source : Histoire de la ville de la Rochelle et du Pays d’Aulnis - Louis-Etienne Arcère - La Rochelle - 1756 - Books Google

La Rochelle
Dessin de Jean-Claude Chambrelent

La Rochelle

L’Origine des Villes se perd presque toujours dans l’obscurité des temps. Elles n’ont eu que des commencemens bien foibles : c’étaient d’abord des ruisseaux sans nom, cachés sous les herbes, &c coulant sans bruit. Dans la suite ces ruisseaux devenus fleuves, ont parcouru l’univers : on a suivi leur marche bruyante, mais leur source bien souvent, n’a pas été moins ignorée.

Telle est la Ville de la Rochelle, Ville qui n’est pas d’une haute antiquité, & qui est devenue célèbre par les grands événemens des derniers siecles. On ne trouve rien qui puisse constater la date de sa naissance. Les sentimens sont partagés au sujet de la fondation de la Rochelle.

Quelques Auteurs la placent au nombre des Villes de l’Empire Romain. Les uns prétendent qu’elle étoit connue du temps de Charles Martel. D’autres croyent qu’elle subsistoit au moins, sous le règne de Charlemagne. Je crois qu’il faut reculer jusqu’au X. siecle la date de son établissement, opinion qu’on tâchera d’étayer par des preuves, après avoir discuté les sentimens contraires.

Antoine Pinet fait mention de la Rochelle, dans sa traduction de l’Histoire naturelle de Pline in-8°. « Du temps de l’Empereur Tibère (fait-il dire à son Auteur) ez côtes de Bretagne, la mer se retirant laissa sur la grève en une certaine Isle plus de trois cent bêtes marines, & en trouva-t-on quasi autant, aux côtes de Saintonge sur la Rochelle. » Cette dernière expression qui ne se trouve pas dans le texte, étoit vraisemblablement une supercherie, ou une bévue du Traducteur. Elle passa dans plusieurs éditions de son ouvrage ; mais elle fut enfin corrigée dans l’édition in-folio, où cette faute ne se trouve pas.

Quelques-uns ont prétendu que la Rochelle étoit le Portus Santonum du Géographe Ptolemée. [1] « Le Port des Xaintongeois, dit Morisot, que les uns estiment être la Rochelle, les autres Blaye, aucuns Malvason ». Le docte Elie Vinet s’élève contre cette prétention, qui trouve des partisans parmi les modernes, tels que Maichin, Baudrand, M. Langlet du Fresnoy & Bruzen de la Martiniere. Mais ces Auteurs n’ayant pas établi leur sentiment sur des preuves, ne doivent être regardés que comme les échos d’une ancienne & fausse tradition.

Le Port des Saintongeois, selon Ptolemée, étoit plus méridional que le Promontoire de même nom. [2] La distance que ce Géographe indique d’un lieu à un autre est de trente minutes, ou demi-degré. Mais si la Rochelle eût été ce Port, dès-lors le Promontoire devoit être exclus du pays des Saintongeois. En effet la différence d’un demi-degré donne douze lieues & demie : or depuis la Rochelle jusqu’aux bords de la Sévre, anciennes bornes de la Saintonge & du Poitou, on ne compte que quatre lieues ; il auroit donc fallu chercher bien loin le Promontoire des Saintongeois sur les côtes de Poitou, & le confondre avec le Promontoire des Pictons, ce qui est absurde.

Ptolemée place le Port des Saintongeois entre la Garonne & le Canentelos, ou la Charente. La Rochelle n’étant pas située dans l’espace compris entre ces deux fleuves, ne peut être ce Port dont on cherche la position. D’ailleurs, nul Ecrivain de l’antiquité n’a dit que le Portus Santonum ait paru sous une nouvelle dénomination. Aucun d’eux ne nous a appris comment la Rochelle, connue d’abord, à ce gu’on prétend, sous le nom de Promontorium Santonum, s’est dépouillée de ce nom pour prendre celui qu’elle porte. Dans ce silence général, quelle voix s’élèvera pour nous apprendre ce que nous ignorons ?

À ces raisonnemens j’ajoute une observation importante. Ptolemée donne au Mediolanum (Saintes) & au Portus Santonum le même degré de latitude (46 d. 45 m.) Or si du Mediolanum, Saintes, on suit la trace d’une parallèle de l’équateur, on verra cette ligne aboutir à la côte d’Arvert [3]. Ce sera donc sur cette côte qu’il faudra chercher le Portus Santonum, & non à la Rochelle, dont la position est bien plus Septentrionale que celle de Saintes & d’Arvert.

Souvent au défaut de témoignages historiques, le local & le sit des lieux sont des témoins muets, mais certains, qui décèlent la vérité cachée. Ici rien ne parle en faveur de la Rochelle, & tout dépose contr’elle. Le local nous représente l’avant-Port, le Port ancien & le Port actuel.

Le premier n’est que l’enfoncement où se termine notre baie, enfoncement qui ne s’est élargi que bien tard par la ruine des falaises. Comme il a peu de profondeur, & qu’il est toujours exposé aux tempêtes & à toute la fureur des vents, il n’a jamais pu être un Port : les Navires loin d’y trouver un asyle, y auroient péri souvent. L’ancien Port, comblé aujourd’hui, n’étoit qu’un petit canal formé par l’Océan, qui s’élançoit sur les terres du côté de la Porte-Neuve, & jusqu’à l’extrêmité de la Place du Château. Ce canal ne pouvoit être bien ancien, puisqu’il étoit si étroit & si peu profond, qu’il fallut y faire travailler pour favoriser la navigation ; & ce fut alors qu’on lui donna le nom de Parthenai, à cause de l’Archevêque Parthenai, Seigneur de Chatel-aillon. Enfin, le Port actuel, postérieur à l’ancien, est l’ouvrage tardif des flots & de l’industrie humaine. Il n’étoit, il y a cinq à six siecles, qu’un très-petit enfoncement que la mer commençoit à creuser, & que les Rochellois agrandirent, à mesure que l’ancien Port se combloit. Rien de tout cela ne peut mériter le titre de Portus Santonum.

L’opinion de ceux qui prétendent que la Rochelle étoit connue du temps de Charles Martel, n’est pas mieux fondée que celle qu’on vient de combattre. En 1380 [4] les Curés de la Rochelle & du pays d’Aulnis demandèrent le payement des dîmes. Les habitans opposerent à cette
prétention, un privilège accordé par Grégoire III. à la prière de Charles Martel. Selon eux, le fondement de cette exemption étoit le grand service que leurs ancêtres avoient rendu à l’Etat, en se rangeant sous les drapeaux de Charles contre les Sarrasins, & en faisant des prodiges de valeur à cette fameuse journée, où les Infidèles qui venoient chercher un établissement en France, n’y trouvèrent que leur tombeau.

S’il fout ajouter foi au mémoire que les habitans de l’Aulnis présenterent le 6 Février 1673, cet événement qui fait tant d’honneur à la mémoire de leurs ayeux, & le privilège qui en fut la récompense, sont constatés « par une Ordonnance de Charles V. par une Bulle de Clement VII. & par les plus glorieux monumens de l’Histoire »
.
Où sont donc ces monumens qu’on a tant fait valoir, & quel Ecrivain a transmis à la postérité les exploits des habitans de l’Aulnis contre les Sarrasins ? On a puisé ces faits, dit-on, dans les actes originaux conservés jusqu’au temps du procès intenté par les Curés. Alors on envoya à Rome un député chargé d’instructions & du privilège qui devoit servir de décision à cette grande affaire. Des brigands massacrerent le député, & les papiers furent enlevés ou perdus.

Quel fond peut-on faire sur un rapport qui fait intervenir un privilège dont personne n’a vu l’original, privilège trop important pour le confier à un député, ou du moins pour n’en pas conserver une copie vidimée, privilège que par un incident mal amené on suppose perdu, lorsqu’il est question du dénouement du procès, privilège qu’on envoye mal-à-propos à Rome pour être présenté à Clément VÏI. résidant alors à Avignon, ce qui ne pouvoit être ignoré, privilège enfin qui auroit dû être accordé à la valeur des troupes nationales qui composoient l’armée de Charles Martel, comme il fut le prix, à ce qu’on dit, de la bravoure des habitans de l’Aulnis : car on ne doit pas présumer que ceux-ci furent les seuls qui se distinguerent sur le champ de bataille, & que le courage fut pour eux un mérite exclusif.

On pourroit assurer que les habitans de l’Aulnis ne se trouvèrent pas à cette mémorable journée. En effet, l’Auteur contemporain de la vie de Saint Eucher, Evêque d’Orléans, parlant de l’irruption des Sarrasins, dit que Charles Martel en ayant été averti, assembla promptement une armée de François & de Bourguignons pour aller à la rencontre de l’ennemi, audiens hac Carolus Princeps collectis gentibus Burgundionum Francorumque obviam illis [5]. On voit par ce passage que l’armée de Charles n’étoit composée que de soldats des deux nations, sans aucun mélange d’Aquitains, tels qu’étoient alors les habitans de l’Aulnis.

Ces peuples se trouvèrent vraisemblablement à la bataille qu’Eudes leur Souverain, livra au-delà de la Dordogne. L’armée de ce Prince ayant été entièrement défaite & taillée en pièces, comment les Aunisiens purent-ils se rallier en assez grand nombre pour aller grossir l’armée de Charles Martel, & faire briller leur valeur au combat de Poitiers ? Nul Historien n’en parle : il n’est pas même certain qu’Eudes se soit trouvé en personne à ce combat [6]. D’ailleurs ce Souverain après la perte de la bataille, au-delà de la Dordogne, ne dût pas laisser sans défense les frontières & les passages : ainsi en supposant, comme il est naturel de le faire, des troupes occupées à garder & à couvrir les frontières, les Saintongeois & les Aunisiens n’auront pu se trouver à la journée où le sort des armes se déclara pour Charles Martel, & la base sur laquelle on appuyé le privilège, s’écroulera.

En vain réclame-t-on en faveur de ce privilège, l’autorité du Pape & du Roi. Ni l’un ni l’autre ne l’ont vu, puisqu’il a été perdu. Clément VII. & Charles V. supposent la vérité d’une pièce qu’ils n’ont pas examinée. Dans leurs diplômes il n’est question que de l’énonciation d’un fait, & une simple énonciation ne fait pas un titre ni une attribution de droit.

Dans le Roman de Garnier, qui vivoit sous Louis le Gros, on lit que le Pape donna tout l’or & l’argent des clercs & les dîmes pendant sept ans, à Charles Martel, pour aller combattre les Sarrasins. Mais que pourroit-on conclure du témoignage de ce Romancier ? qu’en 1380 on ne pouvoit faire valoir une exemption qui n’avoit duré que sept ans, & qui étoit éteinte depuis V. siecles, ou qui devoit l’être.

Les anciens Auteurs qui rapportent que Charles Martel distribua à ses Capitaines les revenus des Eglises, & qu’il leur donna des Abbayes & des Evêchés, ne disent pas que ce Prince ait exempté de la dîme, des Provinces entières : fait remarquable qui n’auroit pu être omis. Je sais que les laïques dans l’Aulnis, ont joui de certaines dîmes inféodées ou enlevées à l’Eglise ; mais cette jouissance particulière à quelques-uns ne doit pas être confondue avec une exemption générale de la dîme, dont il etoit question entre les Curés & les habitans de l’Aulnis. Ainsi tout démontre la fausseté du privilège. Ainsi l’antiquité de la Rochelle tombe mal étayée sur ce fondement ruineux.

Il ne paroît pas même que cette Ville existât du temps de Charlemagne, petit-fils de Charles Martel. Bouchet dans ses annales [7] prétend « qu’en 809 grand nombre de Navires de Dacie chargés de Pirates & larrons de mer jusqu’au nombre de trente mille descendirent impétueusement en Aquitaine par les Sables-d’OIonne, la Rochelle & autres Ports. Les Pirates Normands [8], dit le Comte de Boulainvilliers, couroient les côtes de France ; & l’on dit : que Charlemagne en ayant vu une flotte, ne put retenir ses larmes, prévoyant les malheurs qu’ils causeroient à ses enfans. Mezerai dit qu’il étoit alors en Provence. J’ai lu ailleurs qu’il étoit sur les côtes du Poitou, & à la Rochelle. »

Selon le ministre Lambert Daneau [9] il est certain qu’après que les Pirates de Danemarck & de Saxe eurent pris la route accoutumée de roder les côtes, de Poitou & de Saintonge, les Rochellois dès-lors commencèrent à montrer leur vertu grande & inestimable pour défendre toute cette côte contre ces écumeurs de mer. »

Le premier de ces Auteurs a parsemé ses Annales de tant de contes & de fables, qu’il ne mérite pas d’être cru sur sa parole. Il tombe dans une bévue grossière, immédiatement après le passage qu’on vient de citer. Les Normands selon lui ruinèrent le Monastere de S. Philbert, en l’lsle de Ré. Comment cet Auteur a-t-il ignoré que le Monastere de S. Philbert étoit dans l’Isle Herio, Noirmoutiers, &c que l’lsle de Ré n’a jamais, porté le nom de Herio ? Le nom du Comte de Boulainvilliers, destitué d’autorité, ne doit pas non plus en imposer. L’ancienneté que le Ministre Daneau attribue à la Rochelle, est le pur ouvrage de son imagination. Il paroît qu’il use du droit qu’ont les Auteurs, d’arranger dans une préface, des mensonges & de flatteuses faussetés pour plaire à leurs Mécènes.

Eghinard, Secrétaire de Charlemagne devoit être instruit des actions de ce grand Prince & des moindres circonstances de sa vie : cependant il ne parle, ni de la Rochelle, ni de ce spetacle attendrissant qui fit verser des larmes au Héros de la France. L’Anonime, Moine de S. Gal, [10] désigne le lieu, mais il place la scene dans une Ville Maritime de la Gaule Narbonnoise. Ici l’antiquité de la Rochelle disparoit encore.

Rien ne prouve mieux la non-existence de cette Ville, dans les temps dont nous parlons, que ce qui arriva durant les troubles de l’Aquitaine, au VIII. siecle. On sait que les Maires du Palais , Charles Martel , Pépin, & après eux Charlemagne n’oublièrent rien pour soumettre les Ducs d’Aquitaine, trop independans pour des vassaux. Les Domaines des Princes Aquitains étoient souvent livrés à la fureur des armes. Les Historiens nous ont laissé un grand détail des Villes, Bourgs, Villages & Hameaux saccagés & ruinés. La Ville de Saintes, voisine de la Rochelle, subit ce funeste sort. Comment, dans ce bouleversement général, la Rochelle seroit-elle demeurée toute seule immobil ? Comment dans un incendie qui embrasoit tout, le feu n’auroit-il pas été porté de proche en proche, dans le sein de cette cité ? Car il faut remarquer avec les Historiens que ces guerres étoient des ravages, qu’il y dominoit de la part des chefs, un vif ressentiment, & de la part des troupes à demi-barbares, une envie de nuire, & sur-tout un amour excessif du butin. Comment dans cette disposition des esprits, la Rochelle & son territoire auroient-ils été épargnés ?

Une autre réflexion me frappe. Si la Rochelle eut alors existé comme Ville maritime, elle eût été un poste important. « Sa Situation, dit le célébre la Noue [11], dans ses discours militaires & politiques, est une yoie & une porte par où toutes provisions viennent en abondance ». Les Ducs d’Aquitaine, éclairés sur leurs intérêts, n’auroient pas manqué de fortifier ce poste & de s’y cantonner, quand ils n’auroient pu tenir la campagne. Là, ils auraient opposé des remparts à l’ennemi ; & lorsqu’il eût fallu céder, ils auroient mis entr’eux & le vainqueur l’espace des mers. L’Océan leur eût frayé un chemin pour se dérober à ses poursuites : privés de cette ressource, ils fuyoient dans les Provinces voisines, lorsqu’ils étoient battus, & tomboient dans des pieges inévitables, pour devenir ensuite l’objet de la clémence ou de la sévérité du vainqueur. Qu’on ajoute à ce que l’on vient d’observer, le silence général des Ecrivains, & cette réflexion acquerra un nouveau degré de probabilité.

Vers le milieu du IX. siecle, les Normands ayant fait une descente suries côtes de Saintonge, en saccagerent la Capitale. La Rochelle plus exposée que Saintes, aux irruptions de ces brigands maritimes, auroit dû essuyer leurs fureurs. Pourquoi les anciens Auteurs n’en parlent-ils pas ? Durant le cours de ces funestes irruptions, on compte parmi les Cités désolées, les Villes de l’Aquitaine, Poitiers, Angoulême, Limoges, Perigueux & Bourges. Notre Ville se présentant d’elle-même à l’ennemi qui rangeoit les côtes, n’a pas dû se sauver des malheurs publics. Le souvenir de tous les lieux désolés reste encore. Comment entroit-il dans la destinée de la Rochelle, d’être toujours oubliée dans nos Annales ?

Duchesne [12] dit « qu’il ne trouve point de marque de l’antiquité de la Rochelle, que depuis mille ans ». Colomiés corrigea cette erreur dans l’exemplaire qui lui appartenoit, & mit à la marge l’an mille au lieu de mille ans. Mais ce Savant en relevant une faute, en a fait une autre. Si Duchesne donnoit à notre Ville, trop d’antiquité, Colomiés ne lui en donnoit pas assez.

La Popeliniere, Ecrivain résidant à la Rochelle, lequel avoit fait une étude particulière de l’Histoire de cette Ville, nous apprend « qu’en plusieurs lettres, titres & vieux enseignemens qu’il a vus de quatre à cinq cent ans, ès quels nombre de lieux de ce Pays sont mentionnés, il n’a vu un seul mot de la Ville ». Ainsi en remontant vers les siecles antérieurs, depuis 1581, temps auquel la Popeliniere écrivoit, on pourroit conclure avec lui, que la Rochelle n’existoit pas même vers la fin du XI. siecle ; mais cette conséquencs seroit fausse, les conclusions des argumens négatifs n’étant pas toujours sûres. Malgré ses laborieuses recherches, la Popeliniere n’avoit pas tout vu. Il vivoit dans un siecle, où les monumens historiques ensevelis dans les Archives des Monasteres étoient absolument ignorés.

Je ne rapporterai ici, ni le sentiment de Belleforet, ni celui d’André Thevet ou d’autres Auteurs, tous échos les uns des autres, & qui se copiant tous sans rien examiner, perpétuent les erreurs que les premiers d’entr’eux ont fait naître.

S’il est aisé de détruire, ce n’est pas toujours avec le même succès qu’on éleve un édifice. Les préjugés qu’on renverse, sont quelquefois remplacés par d’autres encore moins recevables. Quoiqu’il en soit, le plus ancien monument qui nous découvre la Rochelle est une Charte de la restauration de l’Abbaye de Saint-Michel. Guillaume susnommé Tête-d’Etoupe, Duc d’Aquitaine, fait mention dans cet acte d’échange d’un Fief nommé Santonum Vigueria. [13] Un des principaux droits de ce Fief concernoit l’ancrage & le lestage des Navires, dans tous les Ports de Saintonge, depuis la Rochelle, jusqu’à Blaye, à Blavia ad Rupellam usque. Ainsi la Rochelle se montre pour la première fois un peu après le milieu du dixième siècle ; mais au-delà ce sont des ténèbres répandues. Tout est obscurité pour l’œil de l’Historien qui recherche les commencemens de cette Ville. Méritoit-elle alors le nom de Cité ? ou n’étoit-elle qu’un simple Hameau, ou un Bourg peu remarquable ? c’est ce qu’il faut discuter ici.

La Rochelle qui semble sortir du néant en 961, s’y replonge tout-à-coup. Il faut franchir l’intervalle des temps écoulés depuis 961 jusqu’en 1139, pour la voir reparoître. Eh ! sous quelle forme ? Il n’est question que de ses moulins donnés aux Templiers par Eléonor. Allons plus loin. Il se présente un Bref du Pape Eugène, dont la date est de l’an 1152. Ce Bref est adressé à Bernard, Evêque de Saintes, pour l’engager à ne plus mettre d’obstacle à l’érection d’une nouvelle Paroisse à la Rochelle. Le plan de cet établislement formé par les Rochellois, avoit déjà été approuvé par Eble de Mauleon & Geofroi de Rochefort qui prétendoient être leurs Seigneurs.

Les motifs sur lesquels on appuyoit l’utilité de ce projet, sont déduits dans un titre de l’Eglise Paroissiale de S. Barthelemi. Il est dit que la distance entre la Ville & l’ancienne Paroisse de Notre-Dame de Cougnes, est extrêmement incommode quand il s’agit d’aller remplir les devoirs de religion ; qu’il est venu à la Rochelle, une si grande foule d’étrangers, que cette Eglise ne pouvoit les contenir tous. Il suit de-là que la Rochelle n’avoit que peu d’habitans, avant que cette peuplade lui donnât de nouveaux citoyens. Il s’ensuit encore que ce lieu étoit extrêmement petit, puisqu’il falloit franchir une grande distance pour aller à l’Eglise de Notre-Dame de Cougnes.

La Rochelle n’étoit pas alors murée [14], & ses maisons destinées à loger des habitans d’une vile condition, étoient moins des maisons que des huttes nommées Escrenes [15]. Tous ces traits rassemblés, ne nous présentent pas une Ville. Il paroit qu’elle n’étoit guère qu’un hameau maritime, ou s’il faut l’ennoblir un peu, un simple Bourg, auquel la vraisemblance historique peut donner un demi-siecle, ou tout au plus, un siecle d’ancienneté, à rétrograder de l’an 961, jusques vers la fin du neuvième siecle.

Si l’origine de la Rochelle est si obscure, l’accroissement de cette Ville est mieux connu. « Tant que Chatel-aillon a subsisté, dit Amos Barbot, le fonds & lieu auquel dans son commencement la Rochelle a été bâtie, n’a été qu’un simple Bourg & Village habité de pauvres Pêcheurs, gens de labeur & commun peuple. Mais la Ville & Forteresse de Châtel-aillon s’étant ruinées avec le temps, ledit Bourg & Village de la Rochelle étant reconnu un lieu de bonne situation, agréable & de facile accès pour y entrer & sortir, commença à se fortifier de maisons, familles & habitans. »

On voit par ce témoignage que la décadence de Chatel-aillon a été l’époque de l’agrandissement de la Rochelle. Cette première Ville autrefois connue, aujourd’hui anéantie, prouve, selon l’expression d’un Poëte [16], que les Cités ainsi que les hommes terminent enfin leur carriere ; cernimus exemplis oppida posse mori. Chatel-aillon fut ruiné par la Mer. Les flots de l’Océan battirent avec tant de violence le rocher sur lequel les édifices étoient élevés que tout fut précipité dans les.eaux [17].

L’ambition des Hommes se réunit à la fureur des élémens contre cette Ville infortunée. Au commencement du douzième siecle, Guillaume IX, Comte de Poitou, vint dans le pays d’Aulnis à main armée, enleva le marais de Mouille-pied à Isambert de Chatel-aillon, saccagea sa Capitale & ses Terres.

Guillaume X. aussi ambitieux que son pere, s’empara inopinément de Chatel-aillon & le garda. Après sa mort arrivée en 1137, Eble de Mauleon & Geofroi de Rochefort, qui prétendoient être les légitimes heritiers d’Isambert portèrent la désolation dans le pays, pour se venger des habitans qui n’avoient pas voulu les reconnoître. Il étoit naturel que ces habitans accablés sous le poids de ces vexations, & voyant d’ailleurs leur commerce ruiné, cherchassent une nouvelle patrie que la Rochelle leur offroit. Et c’est ce qui est assez clairement énoncé dans le titre de l’Eglise Paroissiale de S. Barthelemi : telle est l’origine de l’accroissement de la Rochelle.

Vers ce même temps une Colonie vint par Mer à la Rochelle. C’étoient vraisemblablement les Colliberts du Bas-Poitou. Ces hommes que leur genre de vie invitoit au trafic & au commerce de la Mer, voulurent jouir tout à la fois des avantages qu’une Ville maritime leur présentoit, & des privilèges qu’Eléonor avoit accordé aux Rochelois.

Pierre de Maillezais nous fait connoître ces hommes sauvages qui descendoient des Teïphaliens & des Alairis [18], comme on l’a déjà dit. Ils habitoient les bords de la Sévre à l’extrémité de l’isle de Maillezais : la pêche faisoit toute leur occupation. Les Colliberts étoient main-mortables, & n’étoient ni entièrement serfs, ni tout-à-fait libres ; mais ils tenoient un milieu entre ces deux états : aussi étoient-ils nommés homines-conditionales. La distinction de serfs & de Colliberts est établie dans une Charte de l’an 999, si quis ex meis servis vel Collibertis in meo Burgo manserint simul concedo consuetudinem. Les enfans d’un Collibert ou d’une Colliberte n’appartenoient pas au Patron comme ceux des serfs appartenoient au maître.

Les Colliberts de Maillezais & les Habitans de Chatel-aillon s’étant réunis à la Rochelle, il fallut agrandir la Ville. Le champ de Guillaume de Ciré fournit un vaste emplacement, & ce fut là qu’on bâtit une nouvelle Eglise Paroissiale sous le nom de S. Barthelemi. L’époque de l’accroissement de la Ville nous montre le commerce déjà établi à la Rochelle. C’étoit le seul objet qui pût attirer des étrangers, sur une côte aride & dans un pays peu fertile. Aussi l’on vit bientôt après fleurir le négoce maritime par les soins de ces hommes dont l’industrie éclairée fournit tant de ressources à nos besoins, & qui possedent l’art de délivrer un Etat de l’abondance onéreuse des denrées superflues & de la disette pénible de celles qui lui sont nécessaires.

La Rochelle, Capitale du Pays d’Aulnis, est située sous le 46e. degré, 9 minutes, 21 secondes de latitude, & sous le 3e degré, 29 minutes , 55 secondes de longitude, à compter du Méridien de l’Observatoire de Paris : elle est distante de ce même Observatoire de 203890 toises. Cette Ville n’est pas vis-à-vis des côtes d’Angleterre, comme le dit Davila [19], ni vis-à-vis des Isles des Venetes, côte de Bretagne, près de Vannes, & à l’embouchure de la Charente, comme l’assure Dominicus Marius Niger, Auteur qui montre trop d’ignorance en matière de géographie.

L’Arioste décrivant dans son Poème de Rolland furieux, les avantures de la Reine de Galice, la fait pousser par les vents sur des écueils qui hérissent les côtes de la Rochelle, lieu désert, où l’on ne voyoit, dit-il, qu’une montagne, dont le sommet étoit exposé aux tempêtes. Les Poètes ont toujours eu le droit de feindre ; & l’imagination de l’Auteur Italien dans un noble délire, grossissant ou ennoblissant les objets, a composé une montagne d’une chaîne de falaises hautes de dix-huit à vingt pieds.

Les eaux de l’Océan Aquitanique baignent les murs de la Rochelle. Cette Ville est au fond d’un petit golphe qui lui sert d’avant-Port. Sa position est en partie sur une langue de terre, qui tombe en pente de l’Est à l’Ouest, & qui se trouve placée entre deux marais, dans l’un desquels il s’est formé un grand atterrissement (marais de la Porte-Neuve)

Le Havre, dont l’embouchure est flanquée de deux Tours, est à couvert du vent de Sud par la pointe des Coureilles, terrein qui semble le masquer & former une jettée naturelle, dont les hautes & solides falaises donnent un frein à la violence des vagues. Ce Port qui gît nord-est quart-d’est & sud-ouest quart de sud-ouest, est un Port de barre, dans lequel on n’entre qu’avec le flot, & son établissement est de trois heures & un peu plus de trente minutes, aux jours de la nouvelle & de la pleine lune. Sa figure est bizarre & irréguliere. Autrefois [20], & vers l’an 1580 [21], il recevoit aux grandes marées des Navires de 350 tonneaux. Les Bâtimens aujourd’hui, en attendant leur cargaison ou leur décharge, se tiennent dans les rades voisines, dont le fond est d’une bonne tenue.

La vase poussée par le flux, & les terres amenées par les pluies, nuiroient au Port de la Rochelle, si le canal Maubec, qu’on a refait & qui forme une espece de rivière artificielle, n’enlevoit une partie du limon.

L’ancien Port existoit avant l’établissement de la Ville. Des Pêcheurs & des hommes destinés à la navigation & au commerce, n’auroient pas pris le parti de fixer leur demeure dans un lieu où ils n’auroient trouvé aucune retraite pour leurs Navires. Ce Port, dont l’entrée coupoit cette partie de la grève où l’on éleva dans la suite la Tour de la Lanterne, ne fut d’abord qu’un canal, qui s’élargissoit à mesure qu’il avançoit vers les terres, « & s’égaioit, sslon l’expression de la Popeliniere, sur les prairies voisines du Château ». Pour découvrir la trace de cet ancien Port qui ne subsiste plus, il faut suivre à peu près le cours des fbssés, en remontant vers la Porte-Neuve : c’est dans cet endroit que l’on doit chercher sa véritable position constatée par deux titres.

Selon un ancien document que l’on a déjà cité, le champ de Guillaume de Ciré étoit contigu au Port ; & il est certain que ce champ occupoit l’espace dans lequel on voit actuellement l’Eglise de S. Barthelemi & la vieille Porte-Neuve. Une Charte de Richard I. Roi d’Angleterre, place ce Havre à l’Occident de la Ville, & lui donne le nom de vieux Port.

Amos Barbot nous apprend qu’en 1602, le Maire ayant fait nétoyer les fossés, vers la Tour de la Lanterne, on trouva des bordages, des quilles & des débris de Navires, ensevelis sous le limon ; & un habile Ingénieur-Géographe du Roi ayant fait sonder, jusqu’à la profondeur de trente pieds, le terrein qui est autour de la Porte-Neuve, on ne trouva qu’un massif de limon ferme & d’une vase épaissie, qui décéloit l’ancien lit de la mer.

L’atterrissement du Port dont nous parlons, doit être principalement attribué au flux, qui dirigeoit le cailloutage & le sable vers l’embouchure de ce Port. Le cours des eaux de la Fond étant rallenti par cet obstacle, & les parties limoneuses du marais n’étant plus entraînées, en s’affaissant, elles ont exhaussé le sol du canal. Le courant des eaux de la Fond s’affoiblit encore plus dans la suite, par les saignées que l’on fit, en dérivant une partie de ses eaux, pour les conduire dans les fontaines. Alors le courant des marais de Rompsai & de Périgni étant devenu plus fort, & suivant toujours la direction de son mouvement, entraîna vers l’entrée du Port le limon dont il étoit chargé. Ainsi l’ancien Port fut barré, & l’atterrissement en devint une suite nécessaire. En 1574 [22] la mer n’entroit plus dans le vieux Port, ou plutôt dans le marais de la Fond, que par le moyen d’une écluse placée vers la Tour de la Lanterne.

L’ancien Port, désigné sous ce nom dans la Charte de Richard, veterem Portum, en suppose un nouveau, & c’est le Havre qui subsiste présentement. Il n’etoit alors qu’une petite anse creusée par la mer. D’anciens titres nous apprennent qu’on avoit établi pour le Port de la Rochelle, les droits de baptisage & de baillisiage. Le premier de ces droits, lequel a quelque rapport avec le barillagium du Glossaire de Ducange, étoit un droit d’entrée sur les Bâtimens neufs, lorsqu’ils entroient pour la première fois dans le Havre. Le baillisiage, ballisiagium, étoit tout à la fois un droit & un office. Celui qui en étoit chargé, devoit faire poser depuis l’entrée du Port jusques dans la rade, & à la distance d’une lieue, des balises pour assurer la navigation.

Il est difficile de fixer les premières bornes de la Rochelle. Cette Ville ne fut d’abord qu’un petit Bourg, n’ayant aucun de ces édifices publics, dont la durée qui survit au temps, ou les débris qui en bravent les injures, puissent instruire encore la postérité de ce qui s’est passé dans les siecles reculés. Ce Bourg a existé long-temps sans être muré. Ceux qui l’habitaient, logés dans des ecrenes ou chaumières, & dépourvus de fonds publics, ne furent pas en état d’entreprendre un ouvrage d’une si grande dépense.

Le Bourg étoit entouré d’eaux presque de toutes parts, ce qui lui tenoit lieu de murs en quelque sorte. Je crois qu’il avoit dès-lors une Porte, placée sur le Port & vers cette partie où se trouve le cimetiere de l’Hôpital de S. Barthelemi : cette Porte est désignée sous le nom de Porte du petit Comte. Consenserunt etiam dictus Prior & Capellani quod in platea qua est juxtà Pontem Portae, quae Porta vulgariter dicitur Porta parvi Comitis, quae est propria dicta domus eleemosinaria, fiat cemeterium ad sepeliendos pauperes domus ejusdem [23]. Comme les Ducs d’Aquitaine Comtes de Poitou étoient Seigneurs dominans de l’Aulnis, on aura donné leur nom à la première Porte de la Rochelle.

Mais quel est ce petit Comte, duquel il est fait mention : ce doit être ou le fils de Guillaume IV. du nom, & dont une Charte rapportée par Besli nous montre le seing conçu en ces termes, S. Guilelmi Parvi. Ce Prince étoit encore enfant, étant né en 959 ou 960. On peut aussi attribuer le nom de petit Comte à Guillaume IX. âgé de 15 ans, quand il succéda à son pere en 1086.

Les eaux de l’Océan, comme on l’a déjà dit, réunies aux marais de la Fond, formoient un port vers la vieille Porte-Neuve : il est donc tout naturel de penser que le terrein qui s’étendoit vers cette Porte, fut le premier habité. Le Bourg étoit terminé au Septentrion, par le champ de Guillaume de Ciré, où l’on bâtit dans la suite l’Eglise de S. Barthelemi. Il avoit pour limites au Midi, le Perrot ou Peroc, qui en étoit séparé par la besse de la Reine Eleonor ; c’est-à-dire, par un terrein bas, humide, couvert d’herbages, & coupé par un fossé plein d’eau, qui fut appellé le Canal de la Verdiere. Ce qui prouve que cette besse étoit un lieu humide & fangeux, c’est qu’on y fit une chaussée, calceam de Peroc, comme on lit dans une Charte de la Commanderie du Temple.

Dans une Charte d’Eleonor, il est fait mention d’une Isle à l’Orient du Peroc. Je ne devine pas ce que peut être cette Isle, si ce n’est pas cette grande portion de terrein, qui forme actuellement le centre de la ville, & dont une extrémité s’allongeant vers le Port, confine à la Paroisse de S. Jean du Perrot. Ce grand terrein étoit une espece d’Isle : en effet, il étoit borné au Midi par le nouveau Port, à l’Orient, par ces vastes marais qui occupoient alors la Place Habert & les lieux circonvoisins, au Nord par ses marais de la Fond qui n’étoient pas si reculés qu’ils te sont aujourd’hui ; & au Couchant, par la besse de la Reine & les marais de la Porte-Neuve. En suivant cette conjecture, on verra aisément, comment le vieux Port, aux termes de la Charte, séparoit cette lsle de la terre Poirache, qui devoit être au-delà de ce Port & des marais de la Fond, vers le colombier, ou à peu près, puisque l’Isle ou le centre de la Ville étoit en deçà le long de ces marais.

Cette foule d’étrangers, desquels on a déjà parlé, ayant donné lieu à l’agrandissement de la Ville, la Rochelle fut dans la suite murée. Quelques-uns croyent que la première enceinte, est due à Guillaume Duc d’Aquitaine, dixième du nom. Ce Prince qui avoit enlevé la Rochelle à Isambert, la regardoit, dit-on, comme un poste qui pouvoit devenir important. Il éleva des murs autour de cette Ville, pour la mettre hors d’insulte. Ce sentiment n’est qu’une pure probabilité. Après la mort de Guillaume, Eble de Mauléon & Geofroi de Rochefort s’emparèrent des biens usurpés sur Isambert, prétendant que ses biens leur appartenoient par droit de parenté. Ils firent donc valoir auprès de Louis le jeune, la violence & la voie des insinuations, & le déterminèrent enfin à leur abandonner, moyennant certaines conditions, le Domaine d’lsambert dans lequel la Rochelle étoit enclavée. Ces nouveaux Seigneurs ayant partagé entr’eux, cette riche dépouille, Mauleon jouit de la Rochelle. Comme il avoit à appréhender un coup de surprise de la part du Roi dont la cession étoit forcée. Il songea vraisemblablement à mettre cette Ville en état de défense en la murant. Cette conjecture est autorisée par la dénomination ancienne de la porte de Mauleon, appellée dans la suite, Malvaut par corruption, dit Amos Barbot, & dont le nom véritable étoit Mauleon.

Il est probable que cette première enceinte n’a pas été l’ouvrage d’une opération non interrompue. Des travaux de cette nature, exigent une trop forte dépense, pour n’être pas faits à divers reprises. Quoiqu’il en soit, on peut assurer qu’au moins l’excavation des fossés, & leur entier escarpement furent finis au commencement du treisiéme siecle. On voit dans Nicolas de Braïa [24] que la Rochelle étant menacée d’un siege, qu’elle soutint en 1224, contre Louis VIII. on creusa un fossé autour des murs de la Ville, nec satis est serobibus fossis, tellure rejecta.

On ne trouve pas tant de difficulté à tracer cette première enceinte dont on a cherché la date. La ligne qu’elle décrivoit sera désignée par les noms des rues ou édifices, presque tous moins anciens. Cette espece d’anachronisme est ici comme nécessaire : ce sera une trace de lumière pour les citoyens de la Rochelle qui voudront suivre ce contour sans s’égarer.

L’enceinte commençoit donc à la tour de Malvaut où l’on construisit la Porte de ce nom, traversoit l’espace compris entre les rues de Gargouilleau & du Minage [25], élongeoit les lieux nommés les Ebats ; c’est-à-dire, une partie de la place du Château, & le terrein occupé par les maisons qui bornent le côté Septentrional de cette place : puis le mur alloit s’appuyer sur la Porte-Rambaut, vers le Monastere des Religieuses Hospitalieres : en cet endroit il changeoit de direction, s’avançant vers le Château & vers la vieille Porte-Neuve, jusqu’au Canal de la Verdiere : là il se coudoit, suivoit le cours de ce Canal, & s’étendoit presqu’en ligne droite, iusqu’à la Porte de Chef-de-Ville qui donna son nom à une rue, appellée dans la suite des trois Marchands. Le mur dans son prolongement s’élevoit sur la grande rive, dont les maisons sont assises sur le fondement de ce mur, il alloit aboutir à l’ancienne Porte-Maubec, près de l’Eglise de S. Sauveur : Là changeant encore de direction, il passoit par derrière les maisons de la grande rue : enfin après avoir rasé la tour de la Mailloliere qui ne subsiste plus, il revenoit à la Porte de Malvaut encore subsistante [26] : l’aire de ce contour étoit presque de figure quarrée. L’enceinte de la Ville terminée à l’Orient, par la Porte de Mauleon ou Malvaut, fut dans la suite prolongée depuis cette Porte, le long de la rue du Marteau, jusqu’à cette partie de la même rue qui fait face à celle des Ormeaux, autrefois rue de Mongoyave ; de-là elle tiroit vers le Nord-est, jusqu’au débouché oriental de la rue de la Brèche : elle partoit de ce point, pour monter vers la Porte de Cougnes, & après avoir enveloppé l’Eglise de Notre-Dame, elle descendoit jusqu’à la Porte Rambaut, parallèlement à l’ancienne enceinte. Dans cet agrandissement dont la date ne m’est pas connue, étaient circonscrits les quartiers qui forment actuellement la Paroisse de Notre-Dame, sans y comprendre toutefois le nouvel agrandissement dont il sera parlé.

La Rochelle reçut un nouvel accroissement sous le règne de Jean, Roi d’Angleterre. Ce fut alors que le Fauxbourg de Saint Nicolas devint partie de la Ville. Il faut placer cette époque entre l’an 1199 & l’an 1216. On prétend que les eaux de l’Océan noyoient autrefois ce fauxbourg, du moins on ne sauroit douter que ces eaux ou celles des marais ne couvrissent le terrein qui avoisine le Canal-Maubec En creusant jusqu’à la profondeur de trente pieds en cette partie, on n’a pu trouver un fond solide & ferme ; c’étoit un massif de limon endurci.

L’enceinte qui enveloppa le quartier de S. Nicolas, coupoit les jardins de la rue de la Sardinerie, & venoit aboutir à la Porte de Saint Nicolas, flanquée de deux petites tours. Là, elle reprenoit son cours, le long de la petite rive, couvrant par derrière les maisons de la rue S. Nicolas, & laissant pour entretenir la communication avec le Havre, deux issues appellées aujourd’hui les Portes de Vérité & des Canards ; enfin elle venoit aboutir à l’extrémité ultérieure de l’ancien Pont S. Sauveur [27], sur lequel il y avoit déjà des maisons en 1207, comme il appert par une Charte de la Commanderie du Temple. Comme les fondemens des murs en certains endroits devoient être établis sur un mauvais terrein, on pilota pour empêcher qu’ils ne s’affaissassent, & l’on fit coucher les premières assises de maçonnerie, sur une surface de madriers bien chevillés sur la tête des pilotis. Les sauniers de Tasdon & des lieux d’alentour, commandés pour l’excavation des terres, gagnoient par jour deux [28] poitevins, espece de monnoie faisant 1 quart d’un denier dont l’évaluation, à proportion de son titre, étoit bien différente de celle de nos deniers courans.

Cet ouvrage coûta 6000 écus, & pour le continuer, le Roi Jean assigna 2000 liv. sur les impôts ; toutefois cette grande opération resta imparfaite encore long-temps, puisqu’en 1312 on acheva ou l’on exhaussa les murs de clôture. Plusieurs habitans contribuèrent alors à cette nouvelle dépense, consacrant ainsi une partie de leurs biens à l’amour de la Patrie. Les noms de ces.généreux citoyens ne sont pas connus. Par quelle fatalité l’Histoire conserve-t-elle le souvenir de ces ennemis célèbres du genre humain, & dont la mémoire auroit dû mourir avec tant d’innocentes victimes de leurs fureurs, tandis qu’elle laisse tomber dans l’obscurité les noms de ces hommes bienfaisans & dignes de vivre, pour apprendre aux siecles avenir, l’usage légitime des richesses.

Dans la suite on étendit l’enceinte de S. Nicolas, jusqu’à la tour du même nom, & l’on fit entrer dans la Ville, la Grave ou la petite Rive.

On croit que ce fut en 1200 que le fauxbourg du Perrot ou Peroc fut ajouté à la Ville. Il est certain toutefois que ce quartier ne fut muré que long-temps après, si l’enceinte en avoit déjà été formée. « En la Mairie de sire Pierre de Trieze, est-il dît, dans le ms. de Conain, furent faits en cette année 1352 les murs du Perot ». L’étendue de cette enceinte est désignée par l’écluse de la Verdiere, & la Tour de Merseilles qu’on croit avoir été appellée Tour de Saint-Jean, & dont il reste encore quelques fondemens ensevelis dans cette enfilade de maisons voisines du Canal de la Verdiere. La porte des deux Moulins, les Tours de la Lanterne, de la Chaîne, & la Rive Occidentale du Port, marquent la trace de ce contour.

En 1595 on commença les fondations de six grands Bastions dans le dessein de mettre à couvert le côté de la Place qui étoit le plus accessible & qui avoit présenté au Duc d’Anjou en 1573, le front de l’attaque. Comme il falloit un vaste terrein pour ces nouveaux ouvrages, le projet d’un nouvel agrandissement déjà formé [29] en 1590, fut poussé principalement vers l’Orient de la Rochelle, ce qui fait actuellement la Ville-Neuve. Le 15 Septembre de l’an 1615 on traça les rues & les emplacemens furent assignés à ceux qui voulurent bâtir.

En 1622 les Fortifications furent achevées. Depuis le Bastion de l’Evangile, jusqu’à la Porte des deux Moulins, & de ce même Bastion jusqu’à la Porte de Cougnes, le corps de la Place étoit le même qu’il étoit en 1572. Les autres parties de la Place étoient flanquées par de nouveaux Bastions bien revêtus. Un Fossé profond de dix-huit à vingt pieds, & taillé dans la Banche, régnoit le long des courtines. La Contrescarpe étoit défendue par un bon chemin couvert & des places d’armes. Enfin à l’extrémité du glacis, on avoit pratiqué en certains endroits, des rideaux qui tenoient lieu d’un second chemin couvert. « Pour en faire une très-forte Place, dit un habile Ingénieur, il ne manquoit qu’une demi-lune devant chaque front de fortification. »

Un nouvel accroissement fut donné à la Rochelle en 1689. Cette Ville étoit alors totalement démantelée. Il ne restoit sur pied que le front du côté de la mer. Ce front isolé & autour duquel on ne voyoit que des débris, sembloit ne subsister que pour retracer la triste image d’une faute effacée par la clémence d’un grand Roi, & par le repentir amer des coupables. Sans murs & sans défense, les Habitans avoient à craindre de nouveaux malheurs, exposés aux insultes de l’ennemi qui auroit pu brusquer une irruption. L’Empereur, les Princes Allemands, l’Espagne, la Hollande & l’Angleterre confédérées annonçoient le plus grand orage. Les Puissances maritimes pouvoient en faire tomber les premiers éclats sur le pays d’Aulnis.

Le Gouvernement qui prévit la tempête, n’oublia rien pour la conjurer. M. Ferri, Directeur des Fortifications, fut chargé de cette opération importante. Six mille hommes travaillèrent sous ses ordres, & il pressa si vivement les travaux que l’enceinte de la Place fut formée en quarante jours. Comme il auroit fallu abbatre un très-grand nombre de maisons si l’on avoit suivi la trace des anciennes fortifications sur lesquelles on avoit élevé des édifices, on crut devoir en reculer les bornes & embrasser un plus grand terrein.

M. Ferri [30] homme extrêmement versé dans l’architecture militaire, n’ayant pas eu le temps en 1689 de perfectionner les fortifications, forma dans la suite le projet de faire de la Rochelle une des meilleures Places du Royaume. Il avoit fait entrer dans ce projet le plan d’une Citadelle qui seroit bâtie sur une hauteur, d’où l’on découvre la Ville, & près de la Motte-Saint-Michel, où étoit autrefois le Fort-Louis. Ce dessein n’a pas été exécuté, ainsi M. le Mau de la Jaiffe prend l’idée pour la réalité, quand il dit [31] que « Louis XIV. fit fortifier la Rochelle d’une bonne Citadelle. » La mort qui enleva brusquement M. Ferri, vers le commencement de ce siecle, fit évanouir ses projets. Aux vues de cet habile Ingénieur, on opposa un nouveau plan qui fut exécuté à la Porte de Saint-Nicolas.

L’étymologie d’un nom de Province, de Ville, ou de peuple, exerce ordinairement les esprits [32]. Ils distillent, pour ainsi dire, ces sortes de sujets, & il en résulte bien souvent un étalage de doctes & vaines recherches & de frivoles subtilités. Un habile Jurisconsulte, dans son traité du retrait lignager [33], fait sortir d’un participe hébraïque le nom de la Rochelle, & prétend que ce nom signifie en Hébreu une Marchande, ce qui convient à une Ville célèbre par son commerce. Voilà de l’érudition & sans doute de l’érudition perdue. S’imaginera-t-on que des hommes d’une vile condition, des pêcheurs, premiers habitans de la Rochelle au neuvième ou dixième siécles, voulant donner un nom à leur Colonie, ayent songé à le puiser dans une source savante qu’ils ne connoissoient pas. D’ailleurs le nom donné à la nouvelle Ville a dû précéder son commerce, ce n’est donc pas le commerce qui a occasionné le nom.

Vigier dans sa Préface sur la Coutume de la Rochelle, dit que quelques-uns sont d’avis que cette Ville autrefois habitée par des Marchands Juifs, en reçut le nom de Rochelle, nom qui désigne en Hébreu une Ville de trafic & de négoce. Cette opinion est presque la même que celle de Tiraqueau. On ne finiroit pas s’il falloit réfuter sérieusement tout ce que l’imagination des Auteurs peut produire de frivole & d’absurde.

Les Anglois [34] donnoient autrefois à la Rochelle le nom de Ville Blanche à cause de l’éclat vif & brillant produit par le reflet de la lumière qui tomboit sur le poli des rochers & des falaises, & qui frappoit au loin les regards des Navigateurs, à mesure qu’ils approchoient de l’atterrage de l’Aulnis.

Pour découvrir le nom de la Rochelle, je ne prodiguerai ni de curieuses recherches, ni l’imposant phantôme d’une langue savante : je n’aurai pas même besoin de l’autorité de M. Huet qui nous apprend « que de Rupes s’est fait Roc & que de-là sont venus la Roche & la Rochelle, la Roque & la Roquelle [35]. « Je ne consulterai que le local.

La Rochelle est assise sur un fonds de roches tendres qu’on appelle Banche ; videlicet quidquid comes Pictaviensis habebat in Banchis de Rupella [36]. Ces Roches ont fourni une immense quantité de pierres. En certains endroits la surface de ce fonds est hérissée d’un roc vif & solide. Aussi le Pont Maubec autrefois placé près de l’Eglise de Saint Sauveur, étoit-il appellé le Pont-Rocher. Un vieux titre fait mention de l’estau & roche de la grande rue. [37] On voit encore une rue extrêmement étroite nommée rue de la Rochelle, à cause du rocher sur lequel les maisons sont établies ; de-là vient naturellement le nom de Rocella, Rupella, la Rochelle. L’Abbé de Longuerue étoit donc mal informé quand il dit « que ce nom de Rochelle signifie un petit château ; car il n’y a pas là de rocher. » [38]


[1Orbis Maritimus, pag. 230. Antiq. de Saintes.

[246 d. 45 m. / 47 d. 15 m.

[3Ceux qui connoissent la côte d’Arvert auront de la peine à croire qu’il y ait eu de Port en cet endroit, on n’y voit qu’un amas prodigieux de sables, sur lesquels des lames furieuses viennent se briser. Malgré cela, il est très-possible que la côte d’Arvert ait eu des Havres. On sait que rien n’est si sujet au changement que les côtes de la mer Océane. Elle ruine les falaises, dont les vastes ceintures forment souvent des Ports. L’histoire de la Rochelle nous en fournit une preuve, au sujet de la côte de l’Alleu, où il y avoit autrefois des Ports, & qui n’est couverte aujourd’hui que de galets, sans le moindre asyle pour les Bâtimens.

[4Barbot

[5Bolland ; 20 Febr. pag. 218.

[6Hist. de Lang. tom. 1.

[7Fol. 56, edit. de Marnef.

[8Hist. de Fr. tom. 2. pag 109

[9Préface d’un Livre dédié au Corps-de-Ville de la Rochelle, intit. deux Traités. l’un de la Messe, l’autre de la Transsubstantiation en 1589 à la Rochelle

[10L’Auteur de la Nouvelle Histoire du règne de Charlemagne, 2 Vol. in-12, qui rapporte ce fait tiré du texte du Moine de S. Gal, le met sur le compte d’Eginhard, qui n’en dit rien. Voyez le tome 2 pag. 181, sous l’année 806. On lit à la marge : Eghin in vita Car. Magni.

[11Disc. Milit.

[12Antiq. & recherches des Villes.

[13961. Gall. Christ.

[14Pap. censier de l’Hop. S. Barth.

[15Dans le titre 14 de la loi Salique, on lit : Si qui tres homines puellam de casa aut de Sercona rapuerint. Dom Bouquet, tom. 4, pag. 132. L’Editeur ajoute : Sercona tugurioli species est. Pithœus ad Leg. Sal. ait : Etiam num campanis escrenes dictas fuisse cameras demersas in humum multo insuper fimo oneratas in quibus hieme puella simul convenientes pervigilant.

[16Rutil. in Itiner.

[17Barbot.

[18Bibliot. Labb. Tom 2, pag. 223

[19Long. & lat. de la Rochelle. 20 d. 40 m. longit. 45 d. 40 m. Iatit. Gabrielis Carlonis, Engolismensis, de Sphera mundi. Caesaroduni Turonum. 1593.

[203 h. 45 m. Maraldi, connoiss. des temps.

[21La Popelin. Iiv. 32 , p. 118.

[22la Popelin.

[23Bref de Hugues, Evêque de Saintes 1252.

[24Collect. Duchesne tom. 5

[25Barbot

[26Àncien Plan du Fief de Saint Jean extra muros

[27Ms. de Baudouin.

[28Selon le Glossaire de Ducange, quatorze deniers des Comtes de Poitou, valoient douze petits deniers tournois. Et selon le Blanc, Traité des Monn. le denier sous S. Louis, & même aupatavant, n’étoit plus qu’une monnoie de billon, contenant près de six grains & demi d’argent.

[29Lettres patentes de Henri IV. données à Aubervilliers le 27 Juin 1590, par lesquelles le Roi permet aux Maire & Echevins de faire enclore dans ladite Ville, la prée de Maubec & autres places contigues. … Lettres patentes de Louis XIII. du 12 Avril 1612, confirmatives de cet agrandissement, qui étoit a peine ébauché… . Blanchard, tom. 2

[30M. Ferri, Directeur des Fortifications entre la Loire, le Rhône & les Pyrénées, eut trente mille hommes qui travailloient sous ses ordres dans les années 1688 & 1689.

[31Plan des princip. Villes de guerre

[32Etymol. du nom de la Roch.

[33Tiraqueau, $.17. pag. 198.

[34Barbot

[35Huet, orig. de Caen, pag. 483.

[36Archiv. de la Grace-Dieu

[37Pap. censier de l’Hôp. S. Barthelemi

[38Descrip. de Ia France

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