Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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1783 - Description de la Saintonge, de l’Angoumois & du Pays d’Aunis par les cosmographes du 16ème siècle

samedi 23 février 2008, par Pierre, 2071 visites.

Tableau de la France au seizième siècle, tiré des Cosmographes qui ont écrit en François avant l’an 1600

tiré « des livres de Géographie & d’Histoire imprimés en François au seizième siècle ».

Il nous livre une description des trois provinces riche en détails, et soumet à la critique des certitudes historiques séculaires.

Source : Mélanges tirés d’une grande bibliothèque - Tome IV - De Marc Antoine René de Voyer Argenson, André Guillaume Contant d’Orville - A Paris, chez Moutard, Imprimeur Libraire de la Reine, de Madame & de Madame, Comtesse d’Artois ; rue des Mathurins, Hôtel de Cluni - 1783 - Books Google.

I - Saintonge II - Angoumois III - Aunis

La Saintonge a environ vingt-cinq lieues de long sur douze de large, entre la Guienne propre, le Périgord, l’Angoumois, le Poitou, le pays d’Aunis, & la mer ; elle a pour capitale la ville de Saintes, qui tire son nom des anciens Peuples Santones, qui habitoient autrefois dans ses environs. D’ailleurs leur capitale avoit un nom particulier ; elle s’appeloit Mediolanum, mais il lui est arrivé, comme à la plupart des capitales du pays des Gaules, de quitter son ancien nom pour prendre celui des Peuples des environs. On lit dans Strabon, que la ville de Milan en Lombardie étoit une Colonie de la ville de Milan des Saintongeois. Quoi qu’il en soit, cette ville étoit une des plus considérables de la Gaule Aquitanique, & le pays passoit pour si bon & si fertile, que César dit dans ses Commentaires, que les Helvétiens, ancêtres des Suisses d’aujourd’hui , se trouvant trop resserrés dans leurs montagnes, voulant aller habiter un pays plus agréable, & ayant entendu parler de la Saintonge, prirent la résolution de s’y transporter. César les arrêta en chemin, les combattit, les défit entièrement, & obligea le peu qui resta de retourner sur ses pas. Il dit qu’il eut été dangereux de laisser des Peuples aussi belliqueux que les Suisses, s’établir dans un aussi beau pays que la Saintonge. Lui-même y conduisit ses légions ; mais au lieu de dévaster ce beau pays, il fit alliance avec les habitans, qui lui furent d’une ressource infinie. Ils fournirent aux Romains des vivres, des commodités de toute espèce, des troupes même & des vaisseaux pour aller porter la guerre dans l’Armorique, ou la Petite-Bretagne. César s’embarqua dans un port de ce pays, qui étoit fameux, & qui n’est connu que sous le nom de Portus Santonum. On a beaucoup disputé & on dispute encore sur le lieu où étoit ce port. Les uns ont prétendu que c’étoit la Rochelle, d’autres Brouage. Les vieux Annalistes, qui veulent absolument faire venir les François des Troyens, disent que ceux-ci arrivèrent dans ce port de Saintonge, &, étant entrés dans la Charente, trouvercnt qu’elle leur rappeloit le fleuve le plus considérable de leur patrie, le Xante, & qu’ils lui donnèrent ce nom, d’où est venu celui de Saintonge, que tous nos vieux Auteurs écrivent par un X, Xaintonge. Je ne répéterois pas cette ridicule étymologie, si elle ne paroissoit pas avoir été adoptée par Ammien Marcellin, Historien estimé, qui avoit été Secrétaire de Julien l’Apostat ; par Ausone, Sidonius Apollinaris & autres , qui font descendre les Saintongeois des Troyens. Lorsque les Francs se furent emparés de l’Aquitaine sur les Romains & sur les Goths, ils établirent des Comtes particuliers sur la Saintonge, & les Saintongeois mettent au nombre de ces Comtes le fameux Huon de Bordeaux, fils, disent-ils, de Seguin, Comte de Bordeaux, & même Ogier le Danois. A ces Comtes particuliers, succéderent des Ducs d’Aquitaine, tels que Hunaut & Gaifre son fils, qui voulurent résister à nos Rois de la seconde Race ; mais Pépin & Charlemagne les vainquirent. Enfin la Saintonge fit partie des pays soumis à ces Ducs de Guienne, qui, comme je l’ai dit, avoient tous adopté le nom de Guillaume. Guillaume tête d’étoupes posséda la Saintonge aussi bien que le Poitou. Son petit-fils voulut la céder aux Comtes d’Anjou ; mais cette cession ne fit qu’occasionner des guerres entre les Maisons d’Anjou & d’Aquitaine, Elles se terminèrent à l’avantage des Ducs, qui rentrèrent si bien en possession de la Saintonge, qu’elle fit partie de l’héritage d’Eléonore de Guienne, & passa aux Rois d’Angleterre. Elle fut tantôt au pouvoir des Anglois, tantôt à celui des François, jusqu’au règne de Charles VII. Depuis cette époque, elle n’a jamais cessé d’être à la France, & n’a eu aucuns Comtes particuliers.

Pendant le seizième siècle, elle a été plus qu’aucune autre province du royaume, agitée par les troubles de Religion cependant le commerce s’y est toujours soutenu assez florissant, parce qu’effectivement elle est si abondante en denrées & en marchandises de toute espèce, & a tant de facilité pour en trafiquer, qu’il est presque impossible qu’elle n’en profite pas. La Charente traverse la Saintonge dans toute sa longueur, & la partage, pour ainsi dire, en deux. Les eaux en sont bourbeuses & épaisses ; mais il en résulte, disent nos anciens Auteurs, que ses débordemens, comme ceux du Nil, rendent les terres plus fertiles. Le poisson y est en abondance & excellent. Thevet prétend que l’on y pêche des moules dans lesquelles on trouve quelquefois des perles aussi grosses & aussi belles que celles d’Orient. L’absynthe de Saintonge étoit en réputation dès le temps des Romains ; ils la regardèrent comme un spécifique contre les maux & : les foiblesses d’estomac ; l’angélique & le romarin, qu’on y trouve encore en grande abondance, ont les mêmes vertus. On y connoît aussi une certaine herbe ou mousse que les Botanistes appellent crista-marina, & le vulgaire perce-pierre. Elle est agréable à manger en salade quand elle est fraîche ; on la transporte, confite & vinaigrée, dans des pays assez éloignés, où on lui attribue des vertus. Le vin n’y est pas par-tout également bon, une partie ne sert qu’à faire de l’excellente eau-de-vie ; mais il y a une espèce de raisin qui produit un vin recherché ; il est noir, & s’appelle chauchet. D’ailleurs l’objet du plus grand commerce de la province est le sel ; de tout temps on y en fabrique beaucoup. Depuis le dix-septième siècle, le pays étant plus tranquille, on a multiplié les marais salans à Marennes, à Brouage, &c.

La province entière est de l’évêché de Saintes, qui est très-ancien & très-étendu, & l’étoit encore bien davantage avant la.création de celui de la Rochelle, qui n’est que du dix-septième siècle ; car il ne contient plus que cinq cents paroisses, & on en comptoit alors plus de sept cents. On regarde comme son Fondateur, Saint Eutrope, qui y fut envoyé de Rome, dit-on, par Saint Clément, un des premiers successeurs de Saint Pierre. Dans un des fauxbourgs de la ville, est une très-belle & riche abbaye de filles de l’Ordre de Saint Benoît. Elle fut fondée, au onzième siècle, par Geoffroi, Comte d’Anjou, & Agnès sa femme, pendant le peu de temps que les Comtes d’Anjou furent maîtres de la Saintonge, qui leur avoit été cédée par les Ducs de Guienne.

Les antiquités que l’on voit à Saintes, sont pour la plupart hors de la ville, parce que l’ancienne capitale des Saintongeois n’étoit pas précisément où est celle d’aujourd’hui. Auprès de l’église de Saint Eutrope, dans un fauxbourg, sont les restes d’un amphithéâtre antique qui, au seizième siècle, conservoit encore sa figure ovale : on y voyoit même très-bien marquées, non seulement les marches sur lesquelles s’asseyoient les spectateurs, mais des arcades élevées les unes sur les autres, qui faisoient juger de la hauteur des étages ; aussi appelle-t-on ce monument les arcs. Le pont qui traverse la Charente, est d’une construction antique, & on voit dessus les ruines d’un arc de triomphe, sur lequel on lisoit encore au seizième siècle, une inscription qui prouvoit qu’il avoit été élevé en l’honneur d’un petit neveu de Jules César, qui est, à ce que l’on croit, Tibère. A quelque distance de la ville sont les restes d’un bel aqueduc, & ceux de quelques tours de l’ancienne ville. La plus considérable de ces tours fut abattue lorsque la ville fut prise par les Anglois, mais le plus superbe morceau étoit les restes d’un magnifique temple, que l’on appeloit le Capitole ; il fut abattu par ordre d’Henri IV, en 1609, pour la construction d’une citadelle dont on creusa les fondemens, dans lesquels on trouva nombre d’instrumens propres aux sacrifices, ce temple étant dédié à Jupiter Capitolin. Saintes étoit la quatrième ville des Gaules qui avoir l’honneur d’avoir un Capitole ; les trois autres étaient Toulouse, Nîmes & Autun. La Cathédrale de Saintes est dédiée à Saint Pierre : on prétend qu’elle a été bâtie par Charlemagne, mais réparée &, pour ainsi dire, reconstruite au douzième siècle par un de ses Evêques. Cet édifice, à l’exception de la tour qui sert de clocher, a été ruiné par les Calvinistes au seizième siècle ; ils n’ont pas pu ou voulu en user de même pour l’église de Saint Eutrope, hors la ville. Elle est antique, & partagée en deux bâtimens l’un sur l’autre. Dans l’église souterraine ou crypte, est le tombeau de Saint Eutrope, Martyr, premier évêque de Saintes. Ce monument fut élevé par un de ses premiers successeurs, Saint Palais. Du temps des troubles de Religion, les reliques du Saint ont été dispersées ; Cependant les habitans de Saintes continuent à. gratter la pierre de sa tombe, en ramassent les raclures, & sont persuadés qu’en en buvant pendant neuf jours dans du vin blanc, on est guéri des fièvres les plus obstinées.

La seconde ville de la Saintonge est Saint-Jean-d’Angély, sur la rivière de Boutone. Son ancien nom étoit Angeria ou Angeriacum, dont on a fait Angery, & puis Angély. Les Ducs de Guienne y avoient un château magnifique pour leur temps, situé au milieu d’une belle forêt. Ce qui a rendu cette ville plus illustre & plus considérable, c’est l’abbaye de Bénédictins que Pépin y fonda au huitième sîecle ; elle a toujours été dédiée à Saint Jean-Baptiste ; mais ce n’est que l’an 1015 que l’Abbé Hilduin, revenant de l’Orient, en rapporta un chef qu’il présenta au Duc Guillaume d’Aquitaine, surnommé le Grand, & l’assura que c’étoit la tête du grand Saint Jean-Baptiste. Le bon Duc Guillaume en fut si persuadé qu’il invita le Roi Robert de France & la Reine Constance, le Roi de Navarre & les plus grands Princes & Seigneurs de France à l’exaltation de cette relique, qui se fit avec les : plus grandes cérémonies dans l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély. On fit de grands dons au monastère ; les Pèlerins y accoururent en foule, les, habitans se multiplièrent, & la ville s’agrandit & prit le nom de son Patron. Elle passa, avec le reste de l’Aquitaine, aux Rois d’Angleterre, fut confisquée par Philippe Auguste sur Jean Sans-Terre, plusieurs fois prise & reprise sur les Anglois : enfin, au commencement du seizième siècle, elle étoit sous la dépendance immédiate du Roi, quoique l’Abbé fût Seigneur particulier de la ville. Vers 1560, les habitans adoptèrent les nouvelles erreurs, pendant le reste de ce siècle, elle fut plusieurs fois assiégée, prise & reprise par les Catholiques sur les Huguenots. C’étoit un des plus forts boulevards de ce parti, & les Religionnaires en furent les maîtres jusqu’à ce que le Roi Louis XIII, l’ayant assiégée en 1611, & l’ayant prise, en fit démolir les fortifications, & la réduisit dans un triste état, au lieu qu’elle étoit auparavant très-florissante. Heureusement pour les habitans, l’abbaye subsiste ; elle est riche , & les Religieux sont charitables. Les Huguenots l’ont pillée & dévastée à plusieurs reprises ; mais ils n’ont ni enlevé ni brûlé le chef de Saint Jean-Baptiste. C’est de celui-là qu’un savant Critique disoit, en le baisant, que c’étoit la troisième tête de ce grand Précurseur de Jésus-Christ qu’il avoir le bonheur de révérer.

La ville de Pons doit être regardée comme la troisième de la Saintonge. Elle est à quatre lieues de Saintes, sur la rivière de Seigne, qui partage la ville en haute & basse. La première est sur une colline, & la seconde au pied ; dans celle-ci, la Seigne se divise en plusieurs bras, sur lesquels il y a des ponts, dont la multiplicité, dit-on, a donné à la ville le nom qu’elle porte. Quoiqu’elle soit petite, elle contient trois paroisses, trois couvents, trois hôpitaux, & une belle commanderie de l’Ordre de Malte. Au seizième siècle, elle avoit de fortes murailles, indépendamment d’un bon château, dont le fond étoit ancien, mais augmenté de fortifications nouvelles. Les Huguenots s’étant emparés de cette ville, l’avoient encore rendue plus forte, & en avoient fait une de leurs places de sûreté : mais Louis XIII l’ayant assujettie au dix-septième siècle, l’a fait entièrement démanteler. Ce qui rend cette ville plus intéressante, c’est qu’elle est le chef-lieu d’une Terre qui a eu longtemps ses Seigneurs particuliers, que l’on appeloit les Sires de Pons. Il y a cinquante-deux paroisses qui en dépendent, & plus de deux cent cinquante fiefs nobles qui relèvent de son château. Le revenu est proportionné à l’étendue & à la mouvance de cette belle Terre. Le nom des Seigneurs de Pons est si illustre, que l’on n’a pas besoin de leur supposer des chimères ; disons pourtant en passant, que nos vieux Chroniqueurs remarquent que la ville de Pons a été fondée par Aelius Pontius, neveu ou petit-fils du grand Pompée ; un tombeau trouvé près de la ville, & quelques inscriptions semblent justifier cette opinion ; mais il est difficile de croire que les Seigneurs de Pons descendent, ainsi du rival de César. Il n’est pas même certain qu’ils viennent de la première Maison des Comtes d’Angoulême ; mais on sait qu’ils étoient connus dès le douzième siècle pour de grands & riches Seigneurs. On prétend qu’ils n’ont jamais rendu hommage aux Ducs de Guienne ni aux premiers Comtes de Poitou, mais seulement au Roi, encore étoit ce d’une façon très-digne & très-noble, car ils ne se mettoient point à genoux : le Sire de Pons, armé de toutes pièces, la visière de son casque baissée, s’approchant du Roi, lui disoit simplement : « Sire, je viens vous faire hommage de ma Terre de Pons & vous supplier de me maintenir dans mes privilèges ». Le Roi le recevoit en lui tendant la main, & devoit lui donner, par gratification, l’épée qu’il avoit à son côté. Les premiers Sires de Pons s’appeloient Roald ou Rudel ; ils faisoient les plus grandes alliances. L’un épousa Blanche de Lancastre, descendante des Plantagenets, Rois d’Angleterre ; un autre, Garimanie de Bourgogne, un troisieme, Elisabeth de Rodez & disputa le Rouergue aux Comtes d’Armagnac ; un quatrième, une héritière des Vicomtes de Turenne, & prétendit à ce Vicomté ou Principauté. Il y eut à ce sujet procès au Parlement, entre Renaud Sire de Pons, & Bernard Comte de Comminges. C’étoit sous le règne de Philippe de Valois. Le procès fut jugé suivant l’usage du temps, c’est-à-dire, que l’Arrêt de Janvier 1328 porte, que le gage de bataille est accordé à Renaud de Pons, & qu’il lui est permis, de la part du Roi, de faire ce que l’on appeloit alors le plaid de l’épée, c’est-à-dire, de se battre contre son Adversaire. Apparemment que Bernard de Comminges fut le plus heureux, car la Vicomté de Turenne lui demeura. La Maison de Pons a eu d’ailleurs de grandes & de fréquentes alliances avec celle de Lusignan. En 1461, Jacques Sire de Pons fut déclaré criminel de leze-Majesté, & ses Terres confisquées ; mais Guy, fils du condamné, ayant épousé Isabelle de Foix, obtint de rentrer dans les biens de son père. Au seizième siècle, la branche aînée de la Maison de Pons étoit encore en possession de ces magnifiques Terres ; Antoine Sire de Pons, Comte de Marennes, fut compris dans la première promotion des Chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, en 1578 ; mais il ne laissa que des filles. L’aînée d’entre elles épousa Henri d’Albret, de la branche de Miossens, qui hérita de la Sirerie de Pons. Cette branche d’Albret-Miossens a fini par une fille, mariée, à la fin du dernier siècle, à un Prince de la Maison de Lorraine, à qui elle donna tous ses biens, quoiqu’elle mourût sans enfans. Ainsi ce Prince en hérita, & les fit passer aux enfans qu’il eut d’un second mariage. Cependant la Maison de Pons n’a point été éteinte alors ; elle a subsisté en plusieurs branches, telles que celles de Mirambeau, de la Case,& de Rochefort. Cette dernière s’est éteinte que de nos jours. MM. de Pons-Saint-Maurice portent les mêmes armes, & ont probablement la même origine ; mais ils sont séparés depuis des temps fort reculés.

Taillebourg, sur la Charente, à deux lieues de Saintes, est encore le chef-lieu d’une belle Terre qui s’étend sur plus de quarante paroisses relevant du château qui est au milieu de la ville. Elle est fameuse par la bataille que Saint Louis gagna, en 1242, sur Hugues, Comte .de la Marche, & les autres Seigneurs mécontens qui s’étoient joints contre lui au Roi d’Angleterre Henri III. Depuis ce temps, cette ville fut unie au domaine, mais, au quinzième siecle, Charles VII en fit présent à l’Amiral de Coétivi, Breton, dont l’héritière épousa Charles de la Trémouille. Depuis cette époque, elle n’est point sortie de cette dernière Maison.

Brouage est une ville assez moderne, assise sur un fond marécageux que la marée couvre deux fois par jour, &, en se retirant, y dépose du sel qui passe pour un des meilleurs de la France & même de l’Europe. Le port étoit autrefois assez praticable pour que les bâtimens vinssent charger le sel jusque dans la ville même ; mais depuis longtems ils ne peuvent plus en approcher de si près. Des Savans ont prétendu que l’ancien port des Saintongeois, du temps des Romains, étoit à Brouage. En tout cas, ce ne seroit pas le premier port qui auroit été fameux & fréquenté dans ce temps-là, & qui seroit aujourd’hui impraticable. La ville, ainsi entourée de marais salans, est malsaine, mais imprenable, et on a encore ajouté à ses fortifications du temps de Louis XIII & du Cardinal de Richelieu, qui se fit donner, par son Maître, le principal revenu de ces salines. Au seizième siècle, Brouage appartenoit encore aux Marquis de Mirambeau, cadets des Sires de Pons. Leurs aînés l’avoient fondé autrefois ; l’un d’eux lui avoit même donné son nom : elle s’appeloit Jacque-Ville. Entre Brouage & l’embouchure de la Seudre, étoit Marennes, Comté dépendant de la Sirerie de Pons, elle est actuellement fameuse par les belles huîtres vertes que l’on fait engraisser & parquer dans les prairies voisines, arrosées journellement par l’eau de la mer ; mais cette délicatesse n’étoit pas encore connue au seizième siècle. L’embouchure de la Seudre, qui est au midi de Marennes, est fort large, & forme un port naturel qui est assez bon & sûr, quoiqu’il ne soit pas bien profond. Il est défendu des vents d’ouest par l’isle d’Oleron ; aussi sert-il d’asile à un grand nombre de barques qui font un commerce considérable & entreprennent même des navigations assez éloignées. D’un autre côté de la Seudre, se trouve la Tranblade & Saugeon, lieu à présent peu intéressant, dont le Cardinal de Richelieu vouloit faire un port important, en conduisant un canal de la Seudre à la Gironde. Sur le bord de la mer & sur la rive septentrionale de Gironde, vis-à-vis le Médoc, l’on trouve Royan, qui étoit une ville assez considérable avant que Louis XIII la ruinât, parce quelle étoit fortifiée & occupée par les Huguenots ; & n’est plus renommée que parce que c’est là que l’on prend les meilleures sardines de toute la côte. Plus haut, sur la même rive de la Gironde, est : la petite ville de Tallemond. On prétend que le nom qu’elle porte vient de ce qu’elle est placée dans un coude qui .présente à peu près la forme d’un talon [1]. Un peu plus haut, est Mortagne, qui a aussi le titre de Principauté, & dépend de la Sirerie de Pons, quoiqu’elle en soit assez éloignée. En rentrant dans l’intérieur des terres de la province, on trouve la petite ville de Jonsac, qui a près de trois mille habitans. On lit dans un ancien Auteur, nommé Aymoin, une anecdote remarquable sur cette Terre. Charlemagne la donna à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés de Paris, & quelque temps après un Abbé, trouvant sans doute cette Terre trop éloignée de son monastère, l’inféoda à un de ses neveux, à condition que les Seigneurs de Jonsac la tiendroient à perpétuité à foi & hommage de l’abbaye de Saint Germain, &, à chaque mutation, payeroient à l’abbaye une redevance consistant en douze couteaux de table & une peau de cerf bien préparée pour couvrir les livres d’église. Je ne sais s’il reste encore quelques traces de cette ancienne sujétion. La Terre a été longtemps dans la Maison de Saint-Maure, & a passé par héritage à M. le Comte de Jonsac d’aujourd’hui, qui est de celle d’Esparbés-d’Aubeterre.

Barbezieux est à neuf lieues de Saintes, sur les confins de l’Angoumois ; elle a le titre de ville, parce qu’elle a été autrefois enceinte de murailles dont on voit encore les traces. Cest le chef-lieu d’une belle & grande Terre, qui a porté, dit-on, autrefois le titre de Principauté, mais depuis longtemps les Seigneurs ne prennent plus que le titre de Barons ou de Marquis de Barbezieux, Il y a deux paroisses dans la vîlle, dont l’une est dédiée à Saint Mathias, parce qu’on prétend y posséder le chef de ce Saint, qui y fut apporté par un Seigneur de Barbezieux, revenant de la Terre Sainte au douzième siècle. La seconde est dédiée à un Saint de la ville même, que l’on appelle Saint Imas, & dont on raconte beaucoup de merveilles. Le couvent des Cordeliers de Barbezieux est peut-être le plus ancien de France, ayant été fondé au treizième siècle, par un Seigneur de Barbezieux qui revenoît d’Italie, où il avoit connu personnellement St. François d’Assise, & d’où il ramena quelques-uns de ses disciples. Au quatorzième siècle, une héritière du nom & des biens de la Maison de Barbezieux, fit passer cette Terre dans celle de la Rochefoucault, où elle est restée longtemps. Enfin, sous le règne de Louis XIV, le Marquis de Louvois l’acheta, & son fils, qui lui succéda dans le ministere de la guerre, en portoit le nom. Tout à l’extrémité de la Saintonge, sur la Drome, qui la sépare du Périgord, est la Roche-Chalais, chef-lieu d’une belle Terre qui porte depuis longtemps le titre de Principauté, parce qu’elle est en franc-aleu ; d’ailleurs elle a de beaux privilèges, & ses habitans ne payent pas même de taille au Roi. Ces distinctions & le nom de Talleyrand que portent les Seigneurs qui la possèdent, ne laissent pas lieu de douter qu’ils ne descendent des anciens Comtes de Périgord, qui portoient aussi le nom de Talleyrand, & que Chalais ne soit un partage de cadet de ces Souverains.

Tonnay-Charente est un gros bourg situé sur la rivière de ce nom. Il y a un port, où les vaisseaux du Roi se retiroient quelquefois avant l’établissement de celui de Rochefort. On y payoit de gros droits, sur-tout pour les bateaux de sel qui remontoient jusque-là, moyennant quoi cette Terre étoit d’un gros revenu pour ses Seigneurs ; il y en a eu autrefois qui portoient le nom de la Terre même ; mais elle est, depuis le treizième siecle, dans la Maison de Rochechouart. Un Seigneur de ce nom en rendit, en 1365, hommage a Edouard Prince de Galles & Duc de Guienne. Comme elle a de grands droits & de beaux privilèges, MM. de Mortemar, qui la possèdent aujourd’hui, s’intitulent quelquefois Princes de Tonnay-Charente. En descendant cette même rivière, un peu au dessous de Rochefort, mais sur la rive méridionale, par conséquent en Saintonge, est Soubise, chef-lieu d’une Principauté qui est jointe à présent à la seigneurie de Frontenay l’Abatu, & qui s’étend jusque sur les côtes de la mer. Soubise étoit le domaine des anciens Seigneurs de Parthenay. Par une singularité généalogique bien remarquable, les aînés de cette Maison s’appeloient toujours l’Archevêque, mais les cadets & les filles ne portoient que le nom de Parthenay. Frontenay étoit déjà dans la Maison de Rohan, après avoir été possédé par celles de Thouars & d’Amboise, lorsque René de Rohan épousa, au seizième siècle, Catherine de Parthenay, héritière de Soubise ; leurs descendans portent encore le titre de Princes de Soubise ; mais c’est Frontenay qui a été érigé en Duché-Pairie sous le nom de Rohan-Rohan, pour le distinguer de ceux de Rohan, qui est dans la Maison de Chabot, & de Montbazon, qui appartient à la branche de Rohan-Guémené.

Il me reste, avant de quitter la Saintonge, à parler de l’Isle d’Oleron qui est située en face des côtes de cette province, comme celle de Ré vis-à-vis de celles de l’Aunis ; elle contenoit, au seizième siècle, environ dix à douze mille habitans ; elle a cinq lieues de long, deux de large, douze de circuit ; un seul bourg, de tout temps entouré de quelques fortifications qui ont été augmentées depuis, six paroisses placées dans autant de villages, & quelques hameaux. Le terroir y est très-fertile & bien cultivé ; les habitans sont grands travailleurs, bons navigateurs & fort expérimentés au fait de la mer. Ils avoient cette réputation dès le douzième siècle, car ce fut alors que la Reine Eléonore, héritière de Guienne, fit rédiger ces fameuses loix maritimes que l’on appela Jugemens d’Oléron, parce qu’elles etoient composées des décisions rendues par les Navigateurs d’Oleron, conformément à leurs anciens usages. Ces loix ont été regardées comme des oracles par les Marins de tous les pays & de tous les siècles depuis le douzième, & ont été comparées à celles des Rhodiens, qui avoient été adoptées par les Romains & par tous les Peuples navigateurs de l’antiquité. A l’extrémité de l’isle d’Oléron, vis-à-vis celle de , est une tour que l’on appelle tour de Chassiron, où est un fanal fait pour éclairer les vaisseaux qui passent pendant la nuit dans ce que l’on appelle le pertuis d’Antioche, bras de mer par lequel il faut passer pour entrer tant dans le port de la Rochelle que dans la rivière de la Charente.

I - Saintonge II - Angoumois III - Aunis

Avant que de parler du pays d’Aunis, il faut dire quelque chose de l’Angoumois qui est au milieu des terres entre la Saintonge , le Périgord , le Limousin, la Marche & le Poitou, d’autant plus qu’il ne forme qu’un même gouvernement avec la Saintonge. La principale rivière de cette province est la Charente ; mais il y en a deux autres remarquables ; l’une est la Tardoire, qui passe à la Rochefoucault : c’est un torrent qui quelquefois inonde tout le pays des environs, mais le fertilise, parce que ses eaux sont fort grasses, très-bonnes pour les tanneries & les papeteries ; aussi fait-on dans l’Angoumois le meilleur papier de France. La seconde de ces rivières est la Touvre, qui n’a qu’une lieue & demie de cours , mais qui, dès sa source, est si large & si profonde, qu’elle porte de gros bateaux, & que ses eaux grossissent prodigieusement la Charente, dans laquelle elle se jette à peu de distance d’Angoulême [2]. Le terroir de l’Angoumois est très-mêlé, & propre à toutes sortes de récoltes. Il y a des collines, des fonds des cantons secs, d’autres marécageux & humides, de bonnes terres, du sable, & une seule montagne, sur laquelle Angoulême est située. On y recueille des grains de toute espèce, du safran, du vin, & toutes sortes de fruits. Quoique le vin soit de bonne qualité, il est cependant plus propre à faire de l’eau-de-vie qu’à être bu sans être distillé. Celui de Cognac sur-tout est d’une espece particulière, qui fait que l’eau-de-vie de ce canton passe pour la meilleure de toute l’Europe. Les mines de fer y sont abondantes, & les forges en très-grand nombre & très-occupées. On y fabrique particulièrement des canons, des bombes & des boulets pour la marine. Il n’y a dans tout l’Angoumois qu’une grande & belle Sénéchaussée, & un Présidial établi par le Roi Henri II en 1551. On y juge conformément à une coutume particulière à l’Angoumois. D’ailleurs le Maire & les Echevins d’Angoulême ont la justice criminelle & celle de police dans la ville & dans la banlieue. Les Angoumoisins passent en général pour être aimables & spirituels ; mais ils ont le défaut des Gascons, d’être un peu vantars & légers. La ville d’Angoulême, qui donne à présent son nom au pays, n’étoit, du temps d’Ausone, qu’un château nommé Engolisma ou Angolisma : les habitans des environs ne portoient point de nom qui ressemblât à celui-là ; aussi n’étoit-elle ni cité ni capitale de province, Honorius la céda aux Goths. Ceux ci ayant été vaincus par Clovis, nos Rois de la première Race en furent les maîtres. Ils y placèrent des Comtes à vie, qui tantôt dépendirent des Ducs d’Aquitaine, & quelquefois furent indépendans & se formèrent un district aux environs d’Angoulême, qui étoit alors une ville & avoit un Evêque. Les Goths, qui étoient Ariens, en avoient placé un qui professoit les erreurs de cette Secte ; mais Clovis en substitua un Catholique. Le premier de tous ces Evêques fut Saint Ausone, que l’on croit, dans le pays, y avoir été placé de la main de Saint Martial de Limoges. S’il étoit vrai que Saint Martial eût été Disciple de Jésus-Christ, ces Eyêques seroient du premier siècle de l’Eglise ; mais c’est tout au plus s’ils sont du troisième. Pour revenir aux Comtes d’Angoulême, il est certain qu’un de ceux-ci, nommé Ulgrin, rendit son Comté héréditaire sous le règne de Charles le Chauve, vers 870. Il joignit beaucoup de Terres, entre autres le Périgord, à l’Angoumois ; elles furent partagées entre ses enfans. Alduin, fils d’Ulgrin, mourut, disent nos Chroniqueurs du seizième siècle, par punition divine, pour avoir gardé un reliquaire que les Moines de Charroux avoient mis en dépôt à Angoulême, dans l’espoir de le sauver de la fureur des Normands. Le Comte ne voulut pas le rendre, & il fut attaqué d’une maladie qui devint même contagieuse dans son pays ; c’étoit la fringalle ou faim canine. La récolte, le gibier, les bestiaux ne pouvant suffire à l’appétit d’un Peuple qui en étoit aussi vivement-tourmenté, les Angoumoisins se mangeoient les uns les autres. Le Comte fit enfin cesser cette désolation en renvoyant le reliquaire. On ne sait pas bien ce qu’il contenoit ; mais c’étoit Charlemagne qui l’avoit donné, & on l’appeloit la Sainte Vertu, tant il opéroit de prodiges [3]. Ce fut le fils de ce Comte qui mérita que l’on ajoutât à son nom de Guillaume le surnom de Taille fer, fondé sur ce que, combattant contre un Capitaine Normand, il le fendit depuis le haut de la tête jusqu’au ventre, ce qui ne pouvoit se faire qu’en coupant l’armure de fer dont le Normand étoit revêtu. Quoique les successeurs de Guillaume Taille-fer n’aient pas tous fait de si grands exploits, ils ont pourtant continué à porter le même nom pendant trois cents ans. Au treizième siècle, Isabelle ou Elisabeth, fille uniquc d’Aymar IV Taille-fer, étant devenue, héritière du Comté d’Angoulême, épousa d’abord malgré elle le Roi d’Angleterre Jean Sans-Terre, dont elle eut le Roi Henri III, & en secondes noces , Hugues de Lusignan, qu’elle aimoit. Le fils qu’elle eut de celui-ci forma une seconde branche des Comtes de la Maison de Lusignan, qui réunirent les Comtés d’Angoulême & de la Marche. Ceux-ci ne se surnommèrent plus Taille-fer, mais ils portèrent le nom de Lebrun ; apparemment que celui d’entre eux qui épousa l’héritière d’Angoulême, étoit un beau brun, & quoique les autres fussent peut-être blonds, il n’en conservèrent pas moins le nom. En 1307, le Roi Philippe le Bel dépouilla de ces Comtés Guy de Lusignan, dit le Brun & les réunit à la Couronne [4]. Cependant Louis X, fils de Philippe le Bel, n’ayant eu qu’une fille qui devint héritière de la Couronne de Navarre, mais non pas de celle de France, on lui fit épouser Philippe Comte d’Evreux, Prince du Sang ; on lui donna en dot le Comté d’Angoulême, dont son fils Charles hérita, aussi bien que de la Navarre. Celui-ci fut surnommé Charles le Mauvais, & mérita bien, par ses trahisons & ses noirceurs, l’indignation du Roi Jean, & d’être dépouillé des biens qu’il possedoit en France dans la mouvance de cette Couronne. Le Roi Jean donna le Comté d’Angoulême à Charles d’Espagne, Connétable de France. Le Roi de Navarre le fit assassiner ; mais la postérité de ce mauvais Roi ne conserva pas pour cela ce Comté. Il fut cédé aux Anglois par le traité de Brétigny, & suivit le sort du reste de la Guienne sous le règne de Charles V. Sous celui de Charles VI, il fit partie de l’apanage du Duc d’Orléans, frère de ce Monarque , & fut le partage de Jean, second fils de Louis, Duc d’Orléans. François, petit fils de Jean, monta sur le trône tous le nom de François 1, & réunit ainsi encore une fois l’Angoumois à la Couronne, pour n’en être plus séparé.

Cependant la simple seigneurie passa, au dix-septième siècle, entre les mains de plusieurs enfans naturels des Rois Henri II. & Charles IX. Enfin Angoulême, qui avoit été érigé en Duché pour Marie de Savoie, mère de François I, a fait partie de l’apanage du Duc de Berri, petit-fils de Louis XIV, & est entré dans celui de Monseigneur Comte d’Artois, frère du Roi.

Nous ne manquons point de détails sur la ville d’Angoulême ; elle avoit déjà, au seizième siècle , nombre d’Historiens, tels qu’Aymar de Chabanois, Moine de Saint Cybard, François Corlieu, d’Angoulême, mort en 1575, & qui a écrit exprès l’Histoire de son pays ; enfin, André Thevet un des Cosmographes que j’extrais, a fait honneur à sa Patrie ; il a même employé jusques aux fables pour l’illustrer ; en voici la preuve tirée de sa Cosmographie imprimée en 1563. Il prétend que Tarquin le Fier, c’est-à-dire le Superbe, Roi de Rome, envoya un Consul, c’est-à-dire un Général Romain, avec six Légions dans les Gaules, que ces troupes pénétrèrent dans le Limousin, y bâtirent d’abord la ville de Tulle, en l’honneur de Tullie femme de Tarquin, & que, s’étant avancés plus loin, ils jetèrent les fondemens de la ville d’Angoulême. Cette prétendue, anecdote fait plus d’honneur au zèle de Thevet pour sa Patrie qu’à son érudition. Au reste, Angoulême avoit déjà produit, au seizième siècle, des gens d’une doctrine plus éclairée ; tels étoient les deux frères du Tillet, dont l’un fut Evêque de Meaux, & l’autre, Greffier en chef du Parlement de Paris. Les Livres que nous avons d’eux justifient la réputation & la grande considération dont ils jouissoient sous le règne de François I.

On comptoit, à la fin du seizième siècle, huit ou dix mille habitans dans Angoulême ; le Corps de Ville étoit composé d’un Maire, de douze Echevins , d’autant de Conseillers , & de soixante-quinze Bourgeois que l’on appeloit Pairs, qui composoient en tout un Conseil de Ville de cent personnes. Le Roi Charles V leur accorda de beaux privilèges, lorsqu’ils se soumirent à lui, en se soustrayant à la domination des Anglois ; il assura la noblesse au Maire & ; aux Echevins. Lorsque François l monta sur le trône, non seulement il confirma ces privilèges aux habitans de son ancien apanage, mais il leur en accorda encore de nouveaux, entre autres, pour tous les Bourgeois, l’exemption du ban & arrière ban, celle du droit de franc-fief, & deux foires franches par an. Ce n’est qu’au milieu du dix-septième siècle que ces Magistrats municipaux ont perdu cet avantage. En 1568, les Huguenots, sous la conduite de l’Amiral de Coligny, s’étant emparés d’Angoulême, y commirent de grands désordres. Ils ruinèrent, entre autres, la cathédrale, les deux abbayes dont je vais parler, & tous, les couvens de la ville. L’Evêque fut quelque temps expulsé de son siège. Louis XIII ayant enfin dompté les Protestans de son royaume, on commença à rebâtir la cathédrale, & les Religieux & Religieuses rentrèrent dans leurs cloîtres. L’ancienne abbaye d’hommes, qui est dans un des fauxbourgs d’Angoulême, sur le bord de la Charente, s’appelle Saint Cybard. Sa fondation remonte à l’année 876, sous le règne de Charles le Chauve. Le Saint à qui elle est dédiée, étoit fils d’un Comte de Périgueux, qui vivoit sous la première Race de nos Rois ; au sixième siècle. Les Angoumoisins l’appellent Saint Chipart. S’étant converti au Christianisme, il se retira dans un hermitage, au pied de la montagne sur laquelle est bâtie Angoulême. Il y vécut pendant quarante quatre ans, n’étant occupé que de prières & de bonnes œuvres.. Il y fit grand nombre de miracles même de son vivant. Un des plus singuliers est la résurrection d’un pendu, dont les circonstances sont racontées par Grégoire de Tours, qui l’avoit appris de la bouche même du Comte d’Angoulême. Saint Cybard, étant très-charitable, s’intéressoit toujours pour les gens condamnés à mort, & venoit demander leur grâce au Comte d’Angoulême. Ce Seigneur en accorda plusieurs au saint Hermite ; mais enfin, voulant que justice fut faite, il en envoya un au supplice malgré ses intercessions. Le Saint se retira doucement, laissant pendre son protégé ; mais il savoit bien le moyen de le tirer d’affaire. Il envoya un de ses disciples assister à l’exécution. Dès qu’elle fut faite & que le peuple se fut retiré, le frère rappela le criminel à la vie par l’ordre de son supérieur, & le mena au Saint, qui le présenta au Comte, en lui disant que Dieu avoit été plus indulgent que lui, & avoit accordé la grâce qu’il avoit refusée. Après la mort de Saint Cybard, il se fit de grands miracles à son tombeau. Les saints Evêques, Germain de Paris & Grégoire de Tours, dont je viens de parler, furent chargés de les constater sur les lieux ; ils s’y rendirent, & ne laissèrent à ce sujet aucun doute. Leur procès-verbal fut regardé comme une canonisation complette, d’après laquelle le tombeau du Saint fut honoré : on bâtit dessus une église, qui fut dans la suite changée, comme je l’ai dit, en une riche abbaye. Les Comtes d’Angoulême choisirent leur sépulture dans cette église, & on y voyoit les tombeaux de plusieurs des Taille –fer & des Lebrun-Lusignan ; mais dans les guerres de Religion, les reliques du Saint & les cendres des Comtes ont été également-dispersées. L’abbaye de filles d’Angoulême est dédiée à Saint Ausone, premier Evêque de cette ville. On en rapporte la fondation à un miracle opéré par ce Prélat en la personne de Caliaga, sœur de Garullus, Gouverneur d’Angoulême. Cette Demoiselle étoit possédée du Démon ; Saint Ausone l’exorcisa & la guérit. Elle voulut vivre en retraite avec d’autres pieuses filles ; elles formèrent ainsi un monastère, & cinq cents ans après, Charlemagne en fit une belle & riche abbaye Les Comtes & Comtesses d’Angoulême, les Rois & les Reines de France s’empressèrent de la doter, & la firent rebâtir toutes les fois que les .Normands, les Anglois & les Hérétiques y causèrent quelques dommages. La destruction qu’elle éprouva en 1568, fut la plus complette de toutes ; cependant Louis XIII donna ordre que l’on rebâtît l’église & le couvent.

La seconde ville de l’Angoumois est Cognac, fameuse par ses eaux-de-vie ; la situation en est charmante, & le paysage des environs très-agréable. Les Comtes d’Angoulême de la branche d’Orléans, y avoient fait commencer un superbe château dans lequel naquit le Roi François I : le bâtiment n’a point été achevé ; mais. le parc passoit pour un des plus beaux de la France ; il étoit orné de belles eaux, de bassins, d’étangs & de canaux. Marguerite de Valois, Reine de Navarre, sœur de François I, continua de l’occuper quelquefois depuis que son frère fut monté sur le trône. Cognac est du diocèse de Saintes, & faisoit autrefois partie de la Saintonge. Il n’a été joint à l’Angoumois que sous le règne de Jean Sans-Terre, Roi d’Angleterre, premier mari d’isabelle Taillefer, héritière d’Angoulême.

En remontant la Charente, deux lieues au dessus de Cognac, est le bourg de Jarnac fameux par la bataille qui se donna dans son voisinage en 1569, entre les Huguenots, & les Catholiques commandés parle Duc d’Anjou, depuis Henri III. C’est le chef-lieu d’une belle Terre qui a autrefois appartenu à la Maison de Craon, qui prétendoit descendre de Charlemagne, au moins par les femmes, & du côté paternel, des anciens Rois d’Arles & de Bourgogne. Guillaume Sire de Craon n’eut que deux filles, qui partagèrent les -grandes Terres qu’il possédoit dans plusieurs provinces, entre autres, en Angoumois. L’aînée épousa Guy de la Rochefoucaulty & eut Marsillac ; la cadette fut mariée à Louis de Chabot, & eut Jarnac, qui est encore possédé par ses descendans, dont les aînés ont hérité du Duché de Rohan.

Il y a dans l’Angoumois trois Terres qui ont été érigées en Duchés-Pairies au dix-septième siècle. Actuellement ces trois Duchés sont éteints ; un seul a été rétabli en faveur d’une autre branche de la même Maison ; c’est celui de la Rochefoucault : le chef-lieu est une petite ville qui contient environ deux mille habitans, dont la plupart sont Tanneurs, les eaux de la petite rivière qui y passe étant très-propres pour cette sorte de manufacture. Cette Terre est la plus ancienne baronnie de l’Angoumois ; elle fut érigée en Comté par François I en 1515 ; & environ cent ans après en Duché, en faveur de François de la Rochefoucauld cinquième du nom. Il y a un vieux château qui étoit autrefois très-beau ; on y remarquoit un superbe perron ou escalier découvert. Mais ce n’est pas la plus belle habitation qu’aient eue au seizième siècle les Comtes de la Rochefoucault ; c’est Verteuil .ou, pour mieux dire, le château de Vaugay, situé dans la petite ville de Verteuil, .où l’on compte mille à douze cents habitans. Elle est dans une situation très agréable, sur la rivière de la Charente ; le château domine sur la ville & sur le cours du. fleuve qui serpente dans cet endroit. L’Empereur Charles-Quint, traversant la France, passa par Verteuil, y séjourna, & fut, disent nos vieux Auteurs, émerveillé de la beauté du château de Vaugay. La Haute-Justice du Comté de la Rochefoucault s’étendoit déjà alors sur treize paroisses, & il y avoit plus de soixante Terres nobles qui en relevoient. Quelques-uns de nos vieux Cosmographes & Annalistes font venir les Seigneurs de la Rochefoucault de Hugues I de Lusignan, qui, à la fin du dixième siècle, donna la Terre de la Roche à un de ses fils : celui-ci s’appeloit Foucault & ce nom fut joint à celui de la Roche, pour distinguer cette Terre de quelques autres qui se nommoient de même. Ce qui confirme cette origine, est non seulement la tradition presque immémoriale ; mais l’usage constant où est la Maison de la Rochefoucault de porter les mêmes armes que celle de Lusignan, chargées de quelques chevrons que l’on peut regarder comme une brisure, & de placer pour cimier au dessus de ses armes, la Mélusine, encore plus fameuse dans les Romans que dans l’Histoire, & qui appartient sûrement de préférence sur toute autre Maison à celle de Lusignan. On sait que la Maison de la Rochefoucault est partagée en un grand nombre de branches, la plupart très-illustrées. Alexandre, Duc de la Rochefoucault, descendant au cinquième degré de François V, premier Duc de la Rochefoucault, étant mort en 1752 sans enfans mâles & la Pairie s’étant éteinte en sa personne, elle a été rétablie pour son petit-fils, descendant, du côté paternel, de la branche de la Rochefoucault-Roucy-Roie, sortie d’un oncle du premier Duc.

La Terre de Villebois, située à quatre lieues d’Angoulême, fut érigée en en Duché Pairie, sous le nom de la Valette, pour le fameux Duc d’Epernon qui avoit été favori d’Henri III. Cette Pairie s’est éteinte avec la postérité de ce grand & arrogant Seigneur.

Montausier est à huit lieues d’Angoulême. C’étoit une ancienne baronnie qui passa dans la Maison de Sainte Maure au commencement du quatorzième siècle ; elle fut érigée au dix septième, d’abord en Marquisat, puis en Duché-Pairie en faveur du fameux Duc de Montausier, Gouverneur du Dauphin, fils unique de Louis XIV- Cette Pairie s’est éteinte à sa mort, & a passé par héritage dans la Maison de Crussol d’Uzès. Cependant la Maison de Sainte Maure subsiste en d’autres branches.

La Terre de Ruffec est une des plus belles de l’Angoumois ; le chef-lieu est une petite ville qui a près de deux mille habitans ; il y a une très-belle forêt qui en dépend : elle a appartenu dabord à des Seigneurs de son nom, & a passé au quatorzième siècle dans la Maison de Volvire ; elle en est sortie au dix septième : mais cette Maison n’a pas été éteinte alors, & si elle l’est, c’est depuis peu.

Chabanois est une si belle Terre & qui a de si grands privilèges, que ses Seigneurs étoient en possesion de prendre le titre de Princes. Une branche de la famille Colbert la possède par héritage de la Maison d’Escoubleau de Sourdis. Le chef-lieu est une petite ville où l’on compte environ quinze cents habitants.

Le Comté de Confolans a appartenu autrefois aux mêmes Seigneurs, & ces deux Terres réunies formoient un superbe domaine ; mais elles étoient séparées dès le seizième siècle.

La Roche-Beaucourt est sur les confins du Périgord, & possédée depuis longtemps par les Seigneurs de Gallard de Brassac. La Maison de Gallard prétend, avec grande apparence de fondement, descendre des anciens Comtes du Condomois. Au quatorzième siècle, il y avoit de ce nom un Grand - Maître des Arbalétriers de France, dont les frères ont formé plusieurs branches qui subsistent encore ; les principales sont celles de Terraube & de Brassac. Sous les règnes de Charles VII & de Louis XI, Hector de Gallard avoit la plus : grande réputation parmi les Militaires de France ; c’est lui que l’on prétend avoir été représenté dans les jeux de cartes sous le nom d’Hector.

I - Saintonge II - Angoumois III - Aunis

Je viens au pays d’Aunis, dont l’étendue n’est pas grande, mais qui est intéressant par son grand commerce, les ports & les places maritimes & militaires qu’il contient. Il a à l’occident la mer, à l’orient le Poitou, il est au septentrion séparé de cette même province par la rivière de Sevre, & au midi, de la Saintonge, par la Charente. Cette province a sept à huit grandes lieues, tant dans sa plus grande longueur que dans sa largeur. L’étymologie du nom d’Aunis a donné lieu à plusieurs savantes dissertations. Il paroit bien plus simple de la faire venir du Latin Alnisium, qui veut dire une Aulnaie, parce qu’il y avoit beaucoup d’aulnes dans les forêts, sur les côtes & le long des rivières de cette province naturellement humide & marécageuse. Quoi qu’il en soit, c’est. sous ce nom d’Alnisium que l’Aunis est connu dans les plus anciens titres. On ne voit point qu’aucun Peuple ait porté, du temps des Romains, un nom semblable ; selon toute apparence, ceux qui habitoient l’Aunis faisoient partie des Santones : aussi a-t-on cru que la Rochelle étoit l’ancien Portus Santonum ; c’étoit l’opinion de Belleforêt & de nos Cosmographes du seizième siècle ; mais les Modernes les plus éclairés croyent qu’ils se sont trompés. On voit que, sous la seconde Race de nos Rois, l’Aunis avoit ses Seigneurs particuliers ; tnais il paroit qu’ils étoient toujours dépendans des Ducs d’Aquitaine & de Guienne, ou des Comtes de Poitou, que jamais l’Aunis n’a formé un comté séparé, & qu’on le distinguoit seulement sous le titre de pays d’Aunis. Ainsi toute cette suite de Ducs d’Aquitaine qui portèrent le nom dé Guillaume eurent l’Aunis dans leur mouvance, jusqu’à ce que la Reine Eléonore, leur héritière, le porta aux deux époux qu’elle eut successivement, l’un Roi de France, & l’autre Roi d’Angleterre. Il .resta à ces. derniers aussi long-temps que le Poitou & la Saintonge. Ils le perdirent, le reprirent, & le disputèrent de même à nos Rois pendant les treizième & quatorzième siècles : : enfin, au quinzième, sous Charles’ VII, il devint sans retour province de France, & totalement séparée du Poitou & de la Saintonge. En 1514, on rédigea une coutume particulière pour le pays d’Aunis, qui y est encore exactement observée. En 1551, Henri II ayant, pour la première fois, commencé à établir les Sièges Présidiaux dans son royaume, il en mit un à la Rochelle, qui eut tout le pays d’Aunis dans son ressort. Quant à la Rochelle, puisqu’elle n’est point l’ancien Portus Santonum, on ne peut pas lui accorder une grande antiquité ; il faut convenir qu’elle ne fut fondée que sous le dernier Duc d’Aquitaine ou de Guienne, père de la Reine Eléonore. C’était un petit château, comme l’indique son nom, Rupecula, & une petite bourgade dépendante de Chastel-Aillon ; ils parurent assez avantageusement situés pour faire un port de commerce & une place de sûreté sur la côte. Guillaume VIII s’en empara, y attira des habitans auxquels il accorda des privilèges. Cet établissement prospéra, & bientôt on ne douta plus qu’il ne devînt considérable. Eléonore voyoit ses fils assis sur le trône d’Angleterre ; mais elle continuoit de gouverner par elle-même l’héritage de ses pères. Les anciens Seigneurs, sur le territoire desquels on avoit bâti la Rochelle, lui remontrèrent que le Duc Guillaume ; leur avoit fait tort en leur enlevant leur fief : elle se crut obligée de réparer les injustices de son père, du moins elle voulut les dédommager, & leur accorda la seigneurie de Benon, & aux Rochelois, de nouveaux privilèges, qui furent toujours confirmés par nos Rois lorsqu’ils furent maîtres de la Rochelle. C’étoient les Mauléon, dont la famille possédoit les seigneuries de Chastel-Aillon, de Rochefort, de Tallemont, & l’Isle de Ré, à l’exception des terres qui appartenoient dans cette Isle aux monastères. La belle Terre de Benon augmenta encore la considération de ces Seigneurs : s’il y a encore en France des Gentilshommes qui en descendent, ils peuvent se vanter d’avoir la plus belle origine, car ils faisoient remonter la leur jusqu’à Arnold, frère d’Ebles, Comte de Poitou & Duc d’Aquitaine. Arnold eut la Vicomté de Thouars, & fit-bâtir le château de Mauléon, dont sa postérité prit le nom. Savary de Mauléon, qui demanda la restitution & obtint du-moins des dommagemens pour la Rochelle, étoit aussi illustre par ses talens que par ses exploits guerriers. Il est cité parmi les anciens & les meilleurs Poètes François du douzième siècle. On sait qu’il y en avoit autant de Poitevins que de Provençaux. Il nous reste quelques fragmcns de ses vers & de ses chansons. L’on voit qu’il étoit le Virgile & : le Mécène de son temps, assez voisin de celui du fameux Comte de Champagne, Roi .de Navarre. Peut-être que les talens de Mauléon contribuèrent à lui concilier les bontés de la Reine Eléonore, qui, quoiqu’elle ait vécu fort vieille, s’est toujours ressouvenue d’avoir été galante dans sa jeunesse. Revenons à la Rochelle : la chartre d’Eléonore, accordée, en 1199, à la Commune de cette ville, a toujours fait depuis la base de. ses privilèges. Cette Commune étoit composée d’un Maire (Major), de vingt-quatre Echevins de soixante-quinze ; en tout cent Magistratç Pairs Bourgeois, ou Conseillers, en tout cent Magistrats municipaux. Le Maire jugeoit en première instance toutes les causes civiles & criminelles de la ville ; il en étoit le Gouverneur né, & faisoit serment au Sénéchal du Roi de la garder fidèlement pour le Monarque, à condition que celui-ci feroit également serment de çonserver ses privilèges.

En 1371, le Roi de France Charles V, s’occupant de faire rentrer sous son obéissance les provinces que son père avoit été obligé de céder aux Anglois par le traité deBrétigny, s’étoit déjà emparé de Poitiers & d’Angoulême ; il parvint enfin à enlever la Rochelle à ses ennemis. Ce fut à la faveur d’une ruse assez singulière qu’employa Jean Cordier ou selon d’autres Auteurs, Boudré, Maire de la Rochelle. La ville étoit alors commandée par une espèce de citadelle dont la base étoit l’ancien château qui lui avojt donné son nom. Les Anglois y tenoient une garnison assez considérable ; heureusement que le Commandant, que l’on appeloit le Capitaine Manceau, étoit également bête & ignorant. Le Maire l’invita à dîner, en lui disant qu’il avoit reçu d’Angleterre des lettres & de l’argent pour payer les montres c’est à- dire, la solde, tant des troupes bourgeoises de la ville que de celles Angloises de la garnison ; que pour cet effet il assembleroit le lendemain les siennes sur la grande place, & que si les Anglois vouloient aussi sortjr & se joindre à eux, ils seroient tous payés. Le sot Commandant ajouta d’autant plus de foi à ces promesses, que, d’un côté, on lui montra un grand-coffre plein d’argent, & de l’autre, on fit semblant de lui faire lecture d’un parchemin écrit qui traitoit de toute autre chose. Comme il ne savoit ni lire ni écrire, il crut que c’étoit l’ordre du Roi d’Angleterre, Il s’empressa de sortit avec tous les gens, car il ne s’en trouva aucun qui ne voulut être payé, & le château ne fut pas plus tôt vuide que les Rochelois s’en emparèrent, & se trouvèrent encore assez forts pour chasser la garnison Angloise hors de la ville. Cependant le Maire étant libre, ne voulut se soumettre au Roi qu’à des conditions très-honorables. La première fut, qu’on démolirait le château, avec promesse de ne jamais le rebâtir, pour que la ville ne fût point bridée ; la seconde, que la ville & le district de la Rochelle seroient réunis au domaine, sans pouvoir jamais en être séparés (même à titre d’apanage) ; la troisième, que les Rochelois pourraient frapper de la monnoie d’or & d’argent, mais aux coins & armes de France. Ces trois points furent accordés par Charles V, qui y ajouta même, que le Maire & les vingt-quatre Echevins jouiraient des droits & privilèges de noblesse, avec pouvoir de parvenir aux grades de Chevalerie, tout ainsi que s’ils eussent été nobles de race. A ces conditions, le Connétable du Guesclin prit possession de la ville au nom du Roi. Ce ne fut qu’au milieu du seizième siècle que le Calvinisme s’étant introduit dans la Rochelle, cette ville se révolta & refusa d’ouvrir ses portes aux troupes du Roi. Elle ne voulut plus souffrir l’exercice de la Religion Catholique, &, abusant de ses privilèges, s’érigea en République, qui n’étoit jamais en paix que lorsque les Huguenots étoient contens & tranquilles, mais au contraire toujours en guerre contre le Roi, aussitôt que ceux-ci se soulevoient. En 1578, le Duc d’Anjou, depuis Henri III, fut obligé d’en former le siège ; il dura plus de six mois. Ce Prince se hâta de le terminer, ayant appris son élection à la couronne de Pologne. La capitulation fut mal observée, & la ville resta aussi & plus Huguenote qu’avant le siège. Elle causa encore bien de l’embarras à nos Rois, jusqu’à ce que Louis XIII, ou plutôt le Cardinal de Richelieu, commença, en 1627, ce fameux siége qui ne se termina qu’à la fin de 1628. Depuis ce moment, la Rochelle est soumise, & la Religion Catholique y est tout-à-fait dominante & même unique depuis la révocation de l’Edit de Nantes. Elle s’est fort embellie, & son commerce a prospéré & s’est étendu en Europe, en Afrique & en Amérique. ; c’est l’abord le plus facile & le plus ordinaire des vaisseaux venant des Isles Antilles. Cependant nous devons observer que les restes de cette fameuse digue que le Cardinal de Richelieu fit construire en 1628 pour brider le port de la Rochelle, quoiqu’elle n’ait jamais été achevée, lui a fait tort, parce qu’ils contribuent à le combler de vase & de sable. On a été obligé depuis cent ans de le curer deux fois avec beaucoup de difficultés. L’érection d’un évêché à la Rochelle est postérieure au siècle dans lequel écrivoient les Auteurs que j’extrais ; car ce ne fut qu’en 1649 que le Pape Innocent X y transféra l’évêché de Maillezais, érigé en 1317 par le Pape Jean XXII, au lieu d’une abbaye fondée beaucoup plus anciennement par les premiers Ducs d’Aquitaine, Comtes de Poitou. Quoique Maillezais soit en Poitou, c’est ici le lieu d’en parler. On n’y. voit plus que des ruines & des masures. Ce fut en 990 que Guillaume II, Duc d’Aquitaine, fils de Guillaume Tête d’Etoupes, poursuivant des sangliers dans ce canton .couvert de bois fangeux, en apperçut un qui s’enfonçoit sous la voûte d’une vieille église ruinée : il ne voulut point l’y forcer, par respect pour cette retraite. Ayant rendu compte de cette aventure à sa femme, cette Princesse & lui pensèrent que c’étoit un avertissement du Ciel pour relever cette église : ils s’y employèrent, y firent bâtir un monastère, & y établirent des religieux ; ils y transportèrent beaucoup de reliques, & firent à ce pieux établissement des dons considérables, entre autres celui du château, qui étoit la maison de chasse des Comtes de Poitou, Ducs d’Aquitaine. On prétend même que Guillaume II y passa ses derniers jours en habit de Moine. L’abbaye, pendant les siecles suivans, continua de s’embellir & de s’enrichir ; elle figure dans l’Histoire du Poitou & de l’Aunis, & a eu un de ses Moines pour Historien ; il se nommoit Pierre de Maillezais ; son Ouvrage a été imprimé en latin, par les soins du Père Labbe, au dix-septième siècle. Lorsque l’abbaye fut érigée en évêché, les Moines conservèrent leurs règles & leur habit, quoiqu’ils servissent de Chapitre à la cathédrale ; ils n’ont été sécularisés qu’après que l’évêché a été transféré à la Rochelle.

Rochefort, qui est actuellement un port important & considérable, n’étoit, au seizième siècle qu’un village & un château qui avoient appartenu aux Seigneurs de Mauléon dont j’ai déjà parlé. Ils passèrent ensuite, ou par vente ou par héritage, dans différentes Maisons ; enfin, cette seigneurie étoit dans la possession d’un simple Gentilhomme, lorsque Louis XIV, en 1666, y forma le grand établissement de marine qui subsiste encore aujourd’hui. Comme il est bien postérieur au seizième siècle, je n’entrerai à ce sujet dans aucun détail ; je me contenterai de remarquer que les premières idées de Louis XIV ne se portèrent pas sur cet endroit, & qu’il pensa à la petite ville de Soubise, placée un peu plus bas, sur la même rivière, ou à Tonnay-Charente, qui est plus haut ; mais Messieurs de Rohan Soubise & de Mortemar, possesseurs de deux belles seigneuries, titrées l’une & l’autre de Principautés, ne voulurent pas renoncer à leurs droits, & Louis XIV, prétendant être unique Seigneur dans l’établissement qu’il projetoit, se détermina pour Rochefort : malheureusement on ne trouve pas dans ce lieu la salubrité d’air qui y seroit convenable ; car dès le seizième siècle on convenoit que pendant les mois d’Août, Septembre & Octobre, le séjour en est dangereux.

Le lieu de Chastel-Aillon, dont j’ai déjà parlé, & dont les Seigneurs avoient des droits sur le château & le terrein de la Rochelle, s’appeloit anciennement, selon les uns Castrum Allionis, selon d’autres Castrum Aquilœ, parce que les Légions Romaines s’y étoient établies & y avoient élevé leurs aigles. En conséquence, les Seigneurs du lieu prirent pour armes un château d’or surmonté d’un aigle, & l’on croit qu’il doit se nommer Chastel-Aiglon. J’ai dit qu’il avoit eu autrefois ses Seigneurs ; ceux ci, après avoir renoncé à leur jurisdiction dans la ville de la Rochelle, ont prétendu en retenir une qui s’étendoit jusqu’aux portes de la ville : mais tous ces droits sont éteints. On a inséré dans la Coutume d’Aunis, que nul n’avoit droit que le Roi dans la ville de la Rochelle & dans la banlieue. Chastel-Aillon a été abandonné & détruit, au point que du temps de Thevet il n’en restoit déjà plus qu’une vieille tour qui a tout-à-fait été abattue par la mer dans ce siècle-ci. Cependant ce fief, qui s’étoit arrogé, comme beaucoup d’autres du pays, le beau titre de Principauté, avoit passé de la Maison de Mauléon dans celle de Parthenay-l’Archevêque. Il fut confisqué par le Roi, donné au Comte de Dunois ; il demeura quelque temps dans la Maison de Longueville, fut vendu, au dix-septième siècle, à un Gentilhomme nommé Grain de Saint-Marceau, qui prétend que sa famille est originaire d’Ecosse, & que son vrai nom est Gréen ; enfin, en dernier lieu, il a été échangé contre une autre Terre du pays d’Aunis, nommée Dompierre.

La Terre de Benon, que les Sires de Mauléon eurent en échange de celle de la Rochelle, est une magnifique seigneurie dont relèvent quatre baronnies, l’une desquelles est Surgères. Benon a passé, par les Maisons de Thouars & d’Amboise, dans celle de la Trimouille. Surgères a pour chef-lieu un bourg assez riche, à cause des foires qui s’y tiennent. Il y a un château & une église paroissiale ; ces édifices sont antiques, mais beaux ; la Terre a passé dans une branche de la Maison de la Rochefoucault ; mais il existe encore une ancienne Maison descendante des Seigneurs de Surgères, d’où étoit apparemment issue Hélène de Surgères, fille d’honneur de la Reine Catherine de Médicis, Dame des pensées du célèbre Poëte Ronsard, dont il a célébré les perfections par un grand nombre de vers, & qu’il a cru rendre immortelle, en lui composant une belle épitaphe.

La petite ville ou bourg de Marans est riche & peuplée, parce qu’on y fait un grand commerce de bled ; cependant l’air y est malsain, étant entouré de marécages. Le bourg de Siré est assez considérable ; il entra au quatorzième siècle dans la Maison de Culant, qui étoit déjà regardée au treizième, sous le règne de Philippe Auguste, comme illustre & ancienne. Pendant le cours du quinzième, cette Maison a eu un Grand Maître de la Maison du Roi, un Gouverneur de Paris, un Amiral & deux Maréchaux de France ; mais depuis ce temps, elle a cessé d’être illustrée. Cependant, on assure qu’elle subsiste encore, même en plusieurs branches. Ces Seigneurs sont originaires de Berri, & ont pour armes d’azur au lion d’or, l’écu semé d’étoiles de même.

L’lsle de Ré est une partie des plus importantes du pays d’Aunis, distante de trois lieues en mer de la Rochelle, mais beaucoup plus près de la côte, vis-à-vis de la pointe de Semblanceau ; son ancien nom est Ratis ou Radis , que l’on fait venir de ses rades, ou plutôt de Reta ou Retia , parce que les habitans sont tous Pêcheurs, & se servent de filets. Il y avoit très-anciennement un monastère de l’Ordre de Cîteaux, qui fut détruit au seizième siècle par les Protestans : les bâtimens n’ont pu être rétablis, & une partie des biens a été donnée par Louis XIV aux Pères de l’Oratoire de Paris ; une autre partie des terres de cette Isle est dépendante de celles de l’abbaye de Saint-Michel en l’Herm (hermitage), sur . la côte de Poitou ; le reste a toujours eu des Seigneurs particuliers, des Maisons d’Amboise, de la Trimouille & de Beuil-Sancerre. Elle n’a que quatre à cinq lieues de long & une demie seulement de large ; mais elle est très-peuplée, quoiqu’elle ne produise ni bled, ni foin , ni presque aucun arbre, mais seulement un peu de vin, qui a un goût tout-à-fait particulier, car il est salé & sent le fenouil. On en fait de l’eau-de-vie agréable, connue sous le nom de fenouillette. L’Isle est divisée en cinq paroisses ; le principal lieu s’appelle Saint-Martin ; il a été fortifié de tout temps, & dans le siècle dernier on y a ajouté une citadelle. On y trouve encore une petite place que l’on nomme le fort de la Prée, & deux forts ou redoutes, dont l’un s’appelle Seblanceau, & l’autre le Martrai. A l’extrémité de l’isle, au septentrion, sont deux petites Isles, mais à peine détachées de la grande ; l’une s’appelle l’Isle de l’Oie parce qu’elle semble avoir la forme de cet oiseau ; l’autre contient le fief d’Ars, qui a donné son nom à une ancienne Maison de Saintonge. Tout le côté de l’Isle qui est bordé par la grande mer, est si rempli d’écueils, qu’il est impossible d’en approcher ; aussi l’appelle-t-on la mer sauvage. A la pointe septentrionale, est une tour que l’on nomme des Baleines, avec un gros fanal destiné à empêcher les vaisseaux de se perdre sur cette côte.

Il me reste seulement à remarquer qu’à l’embouchure de la Charente, du côté de l’Aunis, est la petite Isle d’Aix dans laquelle étoit autrefois un couvent de Moines, qui a été détruit pendant les guerres de Religion. Cette Isle a été déserte pendant quelque temps ; mais à la fin du dix-septième siècle on a commencé à la fortifier, ce qui étoit d’autant plus nécessaire, que sa rade est excellente & sert au port de Rochefort.


[1Jean Boucher, dans les Annales d’Aquitaine, nous apprend que c’est à Tallemond qu’est enterré Tristan de Léonnois, Chevalier de la Table Ronde, si fameux par ses exploits & par son amour pour la belle Iseulte.

[2C’est de la Touvre dont nos vieux Auteurs disent qu’elle est, dans tout son cours, pavée de truites, lardée d’anguilles, bordée d’écrevisses, & couverte de cignes.

[3Je trouve dans un de nos anciens Cosmographes, que ce reliquaire contenoit un petit morceau de chair rouge & encore sanglante de Jésus-Christ, d’où l’abbaye avait pris le nom de Charroux, caro rubra ( chair rouge).

[4Il y a encore dans le royaume, des Gentilshommes du nom de Taille-fer, qui ont la prétention, peut-être bien fondée, de descendre de la première Maison des Comtes d’Angoulême.

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