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1790 - La sédition populaire de Varaize (17) : récit à l’Assemblée Nationale

lundi 4 février 2008, par Pierre, 1491 visites.

La Révolution en Charente-Inférieure a connu peu d’évènements marquants. L’affaire de Varaize, soulèvement populaire contre l’administration révolutionnaire, constitue une exception.

Le récit de ce brutal accès de violence, présenté à l’Assemblée Nationale.

La municipalité de Saint-Jean-d’Angély, élue dans des circonstances douteuses, et en mauvais termes avec l’administration du département, accusée de complaisance envers les meneurs de la sédition de Varaize, fera les frais de cette affaire trouble.

Source : La Gazette Nationale du Jeudi 2 décembre 1790 - Books Google

En complément : d’autres versions des évènements de Varaize

Sur cette sédition de Varaize, voir aussi :
- La sédition de Varaize (17) : le récit des événements
- La sédition de Varaize (17) dans les sessions du Conseil général de la Charente-Inférieure
- La sédition de Varaize (17) : débat à l’Assemblée entre l’Abbé Maury et Regnaud de Saint-Jean d’Angély

 Assemblée Nationale - Séance du 30 novembre 1790

Affaire de Saint-Jean-d’Angely

M. VIEILLARD : Votre comité des rapports, chargé de l’examen des pièces qui constatent les malheureux évènements arrivés le 22 octobre dernier à Saint-Jean-d’Angély, me charge de vous en rendre compte. Le récit que je vais faire est puisé dans les procès-verbaux dressés par les administrateurs du directoire du département de la Charente Inférieure, par les officiers municipaux de Saint-Jean-d’Angély, par les membres du directoire du district de cette dernière ville, et par les commissaires envoyés par le directoire du département.

Au mois de septembre dernier, le directoire du département de la Charente Inférieure fut informé que plusieurs municipalités et gardes nationales s’opposaient à la libre circulation des grains, que dans certains endroits on voulait les faire taxer à un prix uniforme et arbitraire et qu’on cherchait par des insinuations perfides à tromper le peuple. Sur cet avis, dont la vérité n’était que trop reconnue, le directoire, pour dissiper l’erreur dans laquelle on entretenait le peuple, fit imprimer et publier de nouveau les décrets de l’Assemblée nationale sur cet objet, et fit en même temps afficher une proclamation dans laquelle il rappelait aux citoyens leurs devoirs et leurs obligations, et leur montrait les dangers qui menaçaient celles des communautés qui chercheraient à se soustraire à l’exécution des lois. Cette proclamation produisit l’effet attendu dans la majeure partie des municipalités.

Cependant M. Arnault, commandant de la garde nationale d’Angeau [1], excitait le peuple en lui persuadant qu’il ne fallait point payer la dîme, qu’il avait vu un décret de l’Assemblée nationale qui défendait de la payer après le 1er octobre prochain. Le directoire du district de Saint-Jean-d’Angely manda M. Arnault ; celui-ci se rendit dans la ville pour satisfaire à la réquisition.

Le directoire du département de la Charente-Inférieure, qui rend compte de ce fait, assure que M. Arnault ayant passé devant la chambre d’assemblée de la municipalité de Saint-Jean-d’Angély, on lui demanda où il allait ; que sur ce qu’il dit qu’il allait au district, on lui dit « N’y allez pas ; cela ne regarde point le directoire ; mais répondez-lui par écrit. » Alors M. Valentin, maire de Saint-Jean-d’Angély, lui dicta cette lettre... « On vient de me remettre une lettre, ou pour mieux dire, un mandement qui parait signé de vous. J’ai l’honneur de vous en adresser copie afin que vous la vérifiez. Si ce n est pas une erreur de votre part, je la communiquerai à mes camarades commandant les gardes nationales du district, pour voir le parti que je dois prendre… ». Sur une nouvelle lettre du syndic du district, M. Valentin, maire, conjointement avec un autre officier municipal, engagèrent M. Arnault à ne rien répondre aux questions qui lui seraient faites, ce qu’il exécuta ponctuellement. On voit par cette circonstance que l’harmonie et la bonne intelligence n’existaient pas entre la municipalité de Saint-Jean et le district du même lieu.

M. Arnault, plus entreprenant que jamais, se rendit avec sa troupe armée chez le curé d’Angeau, pour visiter ses greniers et établit une sentinelle à sa porte pour qu’il ne pût faire sortir son blé. Cette visite fut faite en présence du maire d’Angeau, que M. Arnault s’était associé pour cette expédition. Sur la plainte du curé, le directoire du département chargea celui du district de Saint-Jean d’envoyer deux commissaires sur les lieux pour constater les faits, ramener le peuple à l’exécution des lois, et dénoncer au tribunal le maire et le commandant de la garde nationale comme perturbateurs du repos public. M. Arnault parut en armes au milieu de l’assemblée et tint les propos les plus séditieux. Les commissaires furent obligés de se retirer. Bientôt le mal se propagea ; plus de dix paroisses arrêtèrent de ne plus payer de droits, soit de dîme, soit de champarts, agriers ou cens non supprimés. Un notaire de la paroisse de Migron se faisait à chaque instant des partisans. On prêchait ce système d insubordination dans les foires et marchés ; on disait que l’Assemblée nationale l’avait ainsi décidé. Enfin, le dimanche 3 octobre, les différents orateurs cherchèrent à faire approuver leurs systèmes. A Migron, M. Girault, notaire, lut une requête qu’il avait faite et par laquelle il déclarait qu’on ne devait payer aucun droit jusqu’à ce que les ci-devant seigneurs eussent présenté leurs titres primitifs. On força les habitants honnêtes de signer cette requête en menaçant de pendre ceux qui ne la signeraient pas. Le procureur de la commune requit l’exécution des demandes portées par la requête, les officiers municipaux l’ordonnèrent. Le directoire du département rendit, le 7 octobre, une ordonnance par laquelle il cassa la décision de la municipalité comme séditieuse et contraire aux décrets de l’Assemblée nationale, chargea le procureur-syndic de dénoncer M. Girault et ses complices, les officiers municipaux et le procureur de la commune ; suspendit ceux-ci provisoirement de leurs fonctions qu’il confia aux trois premiers notables ; enjoignit aux habitants de payer les droits jusqu’au rachat ; ordonna de nouveau l’impression et la publication des décrets ; enfin chargea deux membres du district de faire exécuter à Migron l’ordonnance actuelle.

Les commissaires se transportèrent le 10 octobre à Migron, à la tète de douze cavaliers de la maréchaussée. Girault était à la tête des habitants, armés de fusils, faux, fourches et de bâtons. Jamais les commissaires ne purent faire revenir le peuple de son égarement. Ils se retirèrent.

Le même esprit se manifestait dans les villes voisines. Un M. Laplanche jouait, le 3 octobre, au bourg de Varaise, le même rôle que M. Girault à Migron. M. Latierce, maire de Varaise, et ses collègues officiers municipaux essayèrent de dissiper l’ivresse dans laquelle on cherchait a entraîner les habitants. La raison et la modération ne purent prévaloir contre le tumulte et l’agitation des esprits ; le maire fut obligé de se retirer. Laplanche prit sa place, lut avec véhémence un écrit incendiaire contre la personne et les droits de M. Amelot, excita divers excès… Sur la réquisition du procureur-syndic du district, le procureur du roi rendit plainte et fit informer. Pendant ce temps les paroisses se coalisaient, au nombre de sept, pour aller au secours de Migron, dont les officiers municipaux avaient été suspendus de leurs fonctions.

Un nommé Bouhier, huissier, chargé de l’exécution d’un décret de prise de corps contre M. Laplanche et deux autres particuliers, trouvés chargés par l’information, partit la nuit du 20 au 21 octobre pour faire son expédition, suivi de vingt-cinq chasseurs bretons et de deux brigades de maréchaussée. Laplanche fut saisi dans sa maison de très grand matin, le 21 ; mais la garde qu’on avait établie à la porte de l église fut forcée par le peuple. On sonna le tocsin. L’huissier renonça alors au projet d’arrêter les autres particuliers décrétés. Il partit pour Saint-Jean ; mais à un quart de lieue du bourg il fut assailli par une quantité très considérable d’habitants armés de fusils, faux, cognées, couteaux de chasse, fourches de fer, serpes, leviers. Ils demandaient à grands cris qu’on leur rendit l’honnête homme qui leur avait donné de si bons conseils, ajoutant que si l’on ne le faisait pas ils couperaient la troupe par morceaux. Alors ils firent feu sur l’huissier et sur son escorte. Plusieurs chasseurs furent blessés. Les assaillants se précipitèrent avec tant de violence que l’huissier, pour sauver sa vie, tira deux coups de pistolet et commanda à la troupe de faire feu. La maréchaussée certifie dans son procès-verbal que cette mesure était devenue nécessaire. Quatre personnes furent tuées sur la place, et trois autres blessés. L’huissier et la troupe arrivèrent à Saint-Jean-d’Angely avec M Laplanche, qui à la suite d’un premier interrogatoire déclara choisir pour son conseil M. Valentin, maire, dont il fit le plus bel éloge… Les habitants de la paroisse de Varaise, furieux, sonnèrent le tocsin, écrivirent aux paroisses voisines des lettres circulaires signées des officiers municipaux pour les engager à s’armer et à venir les aider à se venger de leurs communs oppresseurs.

La municipalité de Saint-Jean-d’Angély, requise par le district de prendre des mesures pour défendre la ville contre l’insurrection dont elle était menacée de la part des campagnes, se borna à ordonner que quelques soldats se promèneraient sans affectation et sans uniformes aux environs de la ville, examineraient s’il y avait des attroupements et en rendraient compte. On prévint l’état-major de faire tenir la troupe prête à marcher ; on arrêta enfin que, s’il était nécessaire, la municipalité irait au devant d’assaillants pour les exhorter à la paix, à la fraternité et à rejoindre leurs foyers… A onze heures du matin, trois officiers municipaux de Varaise viennent à l’hôtel-de-ville de Saint-Jean pour se plaindre de la capture de M. Laplanche et prévenir que cent paroisses s’assemblent pour venir à la ville. La municipalité paraît ne s’être occupée d’aucune mesure… A quatre heures du soir les deux fils de M. Latierce, maire de Varaise, arrivent à l’hôtel commun de Saint-Jean, et prient les officiers municipaux de prendre en considération l’état dangereux dans lequel se trouvait alors leur père, qui était à la discrétion d’une troupe considérable de séditieux. Sur leur prière les officiers municipaux députèrent trois d’entre eux à Varaise, sans armes et sans escorte ; ceux-ci ont manqué d’être détenus en otages… De retour à Saint-Jean-d’Angely à huit heures du soir, ils annoncent qu’on les a menacés que si le lendemain, a six heures du matin, M. Laplanche n’était pas élargi, dix mille hommes viendraient assiéger la ville…

Dans une assemblée générale de la commune et de l’état-major on se décide à suivre le parti de la conciliation, parce que, disait-on, la ville était ouverte de toutes parts. On arrête que les chasseurs bretons rentreront sous les armes dans le quartier, et que la garde nationale restera dans le bureau municipal… Le 22, à neuf heures du matin, le bruit du tambour se fait entendre. Les officiers municipaux décorés de leurs écharpes se portent près de Saint-Julien, où la troupe des révoltés s’était assemblée au nombre de quinze à seize cents hommes, ayant à leur tête les commandants, les officiers municipaux, les curés, les drapeaux. On députe trois officiers municipaux et un détachement de toutes les paroisses révoltées auprès de M Blancard, juge criminel qui avait refusé la veille l’élargissement de M. Laplanche ; on lui donne des assesseurs ; l’assistance prononce l’élargissement, et à midi le détenu est mis en liberté, conduit vers la troupe par ses libérateurs et porté en triomphe…

L’échange de M. Laplanche devait se faire contre la personne de M. Latierce, maire de Varaise ; mais les forcenés ne tinrent aucun compte de la promesse qu’ils avaient faite de rendre ce dernier. En vain les officiers municipaux de Saint-Jean-d’Angely employèrent les voies de la douceur et de la persuasion ; en vain M. Isambard, curé de Taillant, se jeta seul au milieu des séditieux, le leur arracha, le porta sur son dos dans une maison voisine, où, faisant de son corps un rempart à ce malheureux, il parait les coups qu’on lui portait. Le maire de Varaise ne put trouver d’issue pour s’échapper ; la porte de la maison fut brisée, le courage du brave curé de Taillant devint inutile, et M. Latierce, repris par les brigands, reçut le coup de la mort… M. Bouhier, huissier, M. Pelluchon, procureur du roi à Saint-Jean-d’Angély, et les membres du directoire de district étaient menacés ; mais sur les invitations de la municipalité, la troupe se retira, sans avoir causé de nouveaux malheurs. Le lendemain 23 octobre, la municipalité de Saint-Jean, instruite par les gardes nationale des paroisses de La Vergue, Loizai et Sandes, que M Bouhier huissier, avait été arrêté sur le territoire de ces paroisses, répondit qu’il fallait le conduire à La Rochelle pour que la justice prononçât sur son sort.

Elle arrêta :
- 1° la convocation du conseil général de la commune et sa formation en bureau permanent ;
- 2° le concert avec les membres du directoire du district ;
- 3° la réquisition de toutes les troupes pour être prêtes à marcher ;
- 4° une députation au directoire du département ;
- 5° elle fit payer par le fermier de l’abbaye 600 livres pour frais de députations et autres…
Les officiers municipaux de Varaise vinrent aussi consulter ceux de Saint-Jean sur la capture de M. Bouhier : on leur fit la même réponse de le conduire à La Rochelle et on leur offrit le secours de la maréchaussée : ils le refusèrent… Une partie des habitants des différentes paroisses qui volaient au secours de ceux qui avaient capturé M. Bouhier furent arrêtés par la garde établie près le moulin à poudre. Enfin, par les exhortations, les menaces de la municipalité de Saint-Jean, M. Bouhier fut rendu et conduit à la municipalité, où il prêta interrogatoire. On le constitua ensuite prisonnier.

Les officiers municipaux, interrogés par les administrateurs du district du département sur la conduite tenue par la municipalité, répondirent qu’ils avaient été trop occupés pour prévenir le directoire ; qu’ils n’avaient pas requis la force publique parce qu’ils avaient craint des malheurs et qu’ils savaient que les séditieux en voulaient aux chasseurs bretons ; que les membres du directoire du district avaient été obligés de s’enfuir parce que le peuple criait hautement qu’il en voulait au district et aux juges. D’après ces détails, les administrateurs du département donnèrent ordre aux députes de la municipalité de se retirer sur le champ à Saint-Jean-d’Angély, à l’effet d’y préparer le logement de six cents hommes qu’ils allaient faire partir. Le procès-verbal du directoire du département constate que cet ordre, qui aurait dû rassurer les députés municipaux, leur donna de l’inquiétude et qu’ils répondirent que la précaution était inutile. Ceci ne fit qu’affermir le directoire dans sa résolution. Il requit cent vingt hommes du régiment d’Agénois, cent cinquante hommes de la garde nationale et cent trente gendarmes de partir sur le champ pour Saint-Jean-d’Angely ; il instruisit M. Mailly, commandant à La Rochelle, de ses dispositions, en le priant de faire passer à Saint-Jean-d’Angely un bataillon d’infanterie et d’envoyer à Saintes quatre canons de campagne, afin d’imprimer au peuple égaré une salutaire terreur jusqu’à ce qu’il fût désabusé. MM. Bréard et Jouneau, membres du directoire du département, furent nommés commissaires pour se rendre avec la troupe, afin de s’occuper au rétablissement de la paix publique, de faire respecter l’autorité des magistrats et des administrateurs du district, désarmer les séditieux et emprisonner les coupables.

Les mesures prises par le directoire à cet égard annoncent autant de prévoyance que de sagesse et de patriotisme… Des avis affligeants peut-être exagérés déterminèrent les commissaires à demander un supplément de troupes. M. Mailly y envoya cinquante hommes du régiment de Royal-Lorraine cavalerie et quatre pièces d’artillerie trois cents hommes vinrent également de Rochefort… Les membres du directoire du district, dont le vice-président avait été forcé par les séditieux à donner sa démission, furent réintégrés et reprirent leurs fonctions. La municipalité regarda cette réintégration comme injurieuse à la garde nationale, en ce qu’elle supposait que des violences avaient déterminé sa démission ou l’absence des membres du directoire du district, et arrêta de ne pouvoir prendre part à tout ce qui se ferait à cet égard, en se réservant de justifier sa conduite aux yeux de la France entière.

Le premier acte qui fut fait fut la capture de M. Laplanche et du nommé Lebrouë, décrété comme lui, et de plusieurs complices de l’assassinat de M. Latierce Cette capture fit sonner le tocsin dans les paroisses ; mais l’un des commissaires, celui qui s’était chargé des opérations extérieures, commença ses expéditions ; il fit investir le bourg de Varaise, descendre la fatale cloche qui avait donné le signal de l’attroupement et de la révolte, et arrêter ceux des habitants qui avaient été dénoncés comme les plus coupables ; il fit ôter aux autres les armes qu’ils avaient souillées par le meurtre de leur maire, citoyen vertueux, devenu victime de sa soumission aux lois. Une expédition semblable fut faite au bourg de Fontems [2]. Les remords, la terreur, la honte avaient fait rentrer en eux-mêmes ces malheureux qu’on avait égarés. On expliqua les décrets, on en fit remarquer les avantages ; la nécessité de les observer fut démontrée ; enfin la vérité parut dans tout son jour… Des larmes de douleur coulèrent des yeux de ces infortunés ; ils manifestèrent le repentir le plus vif, abjurèrent leurs erreurs, livrèrent les meurtriers à la justice, et renouvelèrent le serment civique.

Les commissaires ont agi de même dans chacune des autres paroisses qui avaient pris part à la révolte. Onze à douze jours ont été par eux employés à rétablir le calme, à recevoir les témoignages de repentir, les nouveaux serments de fidélité à la nation, à la loi et au roi… Vingt-six personnes, dénoncées comme auteurs ou complices de l’assassinat de M. Latierce, ont été saisies et constituées prisonnières. La liberté a été rendue à l’huissier Bouhier par les soins des commissaires… Depuis l’exécution de l’ordonnance de suspension contre les officiers municipaux de Migron, ces officiers municipaux et les habitants de la paroisse, profitant des conseils d’un pasteur éclairé et bon citoyen, avaient constamment résisté aux sollicitations de se réunir aux séditieux de Varaise. Le département a cru devoir rétablir ces officiers municipaux dans leurs fonctions, après leur avoir fait prêter le serment civique. La tranquillité la plus durable était rétablie dans les campagnes ; mais tous les efforts avaient été inutiles à l’égard des habitants de Saint-Jean-d’Angély…

La première impression qu’opère le récit de la catastrophe cruelle dont j’ai eu l’honneur de vous donner les détails est sans doute celle de l’indignation. L’indulgence envers les auteurs de l’assassinat de M. Latierce serait un délit ; l’impunité ferait renaître les excès. Il faut un grand exemple ; l’intérêt public l’exige impérieusement ; sans cela les propriétés cesseraient d’être respectées, la sûreté individuelle ne serait plus qu’une chimère.

Le peuple, qu’on cherche à égarer par toutes sortes de moyens, devenant l’instrument des passions et de l’intérêt de nos ennemis, se livrerait sans mesure et sans remords à tous les excès qui pourraient faire écrouler l’édifice que vous venez d’élever… Votre comité a donc pensé à cet égard qu’il était urgent et indispensable d’accélérer l’information, et de faire subir à ceux qui seront convaincus le châtiment dû à leurs crimes… Les prisonniers ne sont plus à Saint-Jean-d’Angely ; et puisque des raisons fortes s’opposent à ce que l’information se continue dans cette ville, il a paru prudent à votre comité qu’elle fût achevée par un autre tribunal.

Mais, en vous proposant son avis sur cet objet, votre comité a pensé que vous deviez porter vos regards sur la conduite tenue dans cette occurrence par les divers corps administratifs… Quant aux membres du directoire du département, votre comité s’est convaincu qu’ils ont rempli leurs devoirs avec autant de patriotisme que d’intelligence ; ils ont même montré un courage héroïque qui doit leur assurer des témoignages de satisfaction de votre part, et la reconnaissance de tous les bons citoyens. Les gardes nationales et les troupes de ligne qui ont marché sur leur réquisition ont reçu de la part des administrateurs assemblés des félicitations et des remerciements du courage et de la sagesse qu’elles ont su allier dans cette fâcheuse circonstance… Mais si vous n’avez que des éloges à donner aux membres qui composent le département de la Charente-Inférieure, n’aurez vous pas la douleur de ne pouvoir témoigner les mêmes sentiments aux officiers municipaux de Saint-Jean-d’Angely et aux administrateurs du district de cette ville ? Votre comité a examiné séparément la conduite des uns et des autres ; il semble que la municipalité ne voit pas d’un bon œil dans le sein de la ville une administration dont l’autorité est supérieure à la sienne… Déjà vous avez été forcés de prononcer sur les contestations qui ont existé à Saint-Jean-d’Angely : l’élection des officiers municipaux n’avait pas été libre ; la violence avait présidé à leur nomination ; le sang de leurs concitoyens avait coulé à cette occasion.

Sur un rapport de votre comité de constitution vous avez cru devoir casser cette nomination et en ordonner une nouvelle ; mais l’ascendant que ces officiers municipaux illégalement élus avaient pris sur le peuple a assuré leur réélection. Tous les membres du district, au contraire, choisis par les électeurs de la campagne et de la ville, ont été pris dans le parti opposé ; de là peut-être l’animosité qu’on a cherché à exciter contre eux… La garde nationale de Saint-Jean-d’Angely n’est pas formée comme elle devrait l’être ; les officiers municipaux ont fait désarmer des citoyens qui ont réclamé depuis longtemps, et au mois de juin dernier vous décrétâtes qu’il leur serait rendu justice par une nouvelle formation de la garde nationale ; décret qui est resté sans exécution… En examinant la conduite des membres du directoire du district on ne peut s’empêcher, au premier coup d’œil, de la blâmer. Si, lorsqu’ils ont été prévenus, le 21 octobre, des attroupements des campagnes, ils eussent requis les troupes de ligne et la garde nationale, au lieu d’aller consulter la municipalité ; s’ils eussent forcé cette municipalité de proclamer la loi martiale, on ne déplorerait peut être pas aujourd’hui le malheureux événement qui est arrivé. Mais cette réflexion ne doit pas vous être présentée isolément. Les actes remis à votre comité et le témoignage même des administrateurs du département se réunissent pour constater qu’ils avaient toujours été attachés aux vrais principes, et qu’ils ont donné des preuves multipliées de leur patriotisme. On peut leur reprocher de Ia faiblesse ; mais il a paru à votre comité que les circonstances dans lesquelles ils se sont trouvés méritent d’être approfondies. Le directoire du département présume lui-même que cette faiblesse trouvera son excuse dans la procédure qu’il instruit contre les séditieux. Je ne vous proposerai donc point de prononcer à cet égard.

Quant à la municipalité, votre comité n’a pu se défendre de l’indignation qu’inspire la conduite qu’elle a tenue ; il a remarqué que se torts sont aussi nombreux qu’ils sont inexcusables. Les officiers municipaux, avertis le 21 par le procureur-syndic du district, refusent de demander au département des secours… Comment ne trouverait-on pas révoltant qu’ils soient allés à Varaise faire avec les séditieux un traité dont le prix était une violation des lois, la délivrance d’un prisonnier détenu en vertu d’une accusation légale ? Requis de nouveau par le directoire du district, à quatre heures et demie, de mettre la ville en état de défense, ils se bornent à annexer cette réquisition au procès-verbal. Ils font plus, ils enchaînent le courage des troupes de ligne sur les plus frivoles prétextes, tandis que ces troupes étaient plus que suffisantes pour dissiper les attroupements qui, dans le principe, étaient peu nombreux… On remarque même ici une contradiction bien choquante dans les relations des officiers municipaux. Dans le principe ils n’avaient pas assez de forces pour les employer, et ce motif les détermine quand l’assassinat est commis ; alors le prétexte cesse, et ils disent qu’ils vont publier la loi martiale ; menace qui opère son effet. Qu’on réfléchisse sur l’utilité de cette mesure si elle eût d’abord été mise en usage. Ils conviennent qu’il y avait parmi Ies attroupés de bons citoyens, des officiers municipaux ; mais ces bons citoyens, que la force avait contraints, seraient-ils restés parmi les assistants ? Ne se seraient-ils pas rangés du côté des amis de l’ordre et de la paix ?

Il a paru certain aux administrateurs du département que si les officiers municipaux de Saint-Jean-d’Angely avaient exécuté à cet égard ce que vos décrets, ce que l’humanité leur dictaient, ils n’auraient pas sacrifié le repos de leurs concitoyens, et ils auraient sauvé la vie du maire de Varaise. Ils ont fait trembler les membres du directoire du district sous le prétexte de la fureur du peuple, quand ils auraient dû les protéger de toute la force publique.

Votre comité, sans vouloir pousser trop loin ses recherches, n’a pu se défendre du soupçon que la municipalité partageait le vœu des insurgents à l’égard du district, et que l’expulsion ou la retraite des membres du directoire semblait être une fête pour elle. Nous avons donc pensé que la conduite de cette municipalité devait être scrupuleusement examinée, et qu’il devait être fait information dans un tribunal de tous les faits consignés dans les procès-verbaux du directoire du département. Dans cet état il a paru à votre comité qu’il serait inconvenant et peut être dangereux de maintenir les officiers municipaux dans l’exercice de leurs fonctions.

Avant de finir, permettez-moi de vous représenter que les événements dont je vous ai rendu compte, quelque affligeants qu’ils soient, n’ont jamais dû servir de prétexte à ce qu’on répandît dans le public et à ce qu’on osât même dire dans cette tribune, qu’une grande quantité de paroisses de la Saintonge avaient déclaré qu’elles ne paieraient plus d’impôts. La cause des malheurs qui ont eu lieu, toute injuste qu’elle était relativement au paiement des droits seigneuriaux et de dîmes, n’a jamais eu trait au paiement des impôts payés par la nation. Les paroisses qui ont pris part à l’insurrection sont assez coupables sans qu’on puisse se permettre de leur supposer de nouveaux crimes. Les larmes de repentir que ces malheureux, trompés par des séditieux, ont versées, doivent leur faire obtenir d’autant plus facilement grâce que les auteurs de la sédition seront punis avec sévérité. Voici le projet de décret de votre comité des rapports :

L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports sur les évènements arrivés à Saint-Jean-d’Angely et lieux circonvoisins décrète ce qui suit :

- Art I. Le roi sera prié de donner les ordre nécessaires pour que l’information commencée à Saint-Jean-d’Angély, tant contre le nommé Laplanche et consorts que contre les prévenus de l’assassinat du maire de Varaise et leurs complices, soit continuée avec célérité, et leur procès fait et parfait devant le juges du tribunal établi en la ville de La Rochelle, à la diligence de l’officier chargé de l’accusation publique auprès dudit tribunal, et pour qu’à cet effet les prisonniers y soient incessamment transférés.
- II. Sa Majesté sera également priée de donner des ordres pour que, devant les mêmes juges et à la même diligence il soit informé de la conduite des officiers municipaux et notables de la ville de Saint-Jean-d’Angely dans les journées des 21 et 22 octobre dernier, ainsi que de celle par eux tenue antérieurement et postérieurement auxdites époques, qui pourrait avoir trait auxdits évènements, ensemble des faits consignés tant dans les procès-verbaux des administrateurs du département de la Charente-Inférieure et de son directoire que dans ceux des administrateur du directoire du district de Saint-Jean, et dans ceux même desdits officiers municipaux et notables de ladite ville, en circonstances et dépendances ; à l’effet de quoi lesdits procès-verbaux et autres pièces déposées à l’appui au comité des rapport seront incessamment adressés à l’officier de La Rochelle chargé de l’accusation publique.

- III. Ceux desdits officiers municipaux et notables de Saint-Jean-d’Angely qui, à l’époque du 21 octobre dernier, faisaient partie du corps municipal ou du conseil de la commune, et se trouveraient encore officiers municipaux ou notables, soit parce que le sort les auraient maintenus, soit parce qu’ils auraient été de nouveau élus pour remplir quelques fonctions dans le corps municipal ou dans le conseil général de la commune, demeureront provisoirement suspendus de ces mêmes fonctions au moment de la notification qui leur sera faite du présent décret par deux commissaires du directoire du département de la Charente-Inférieure.

- IV. Les officiers municipaux qui ne faisaient point partie du corps municipal ou du conseil-général de la commune à l’époque désignée en l’article précédent, et ont été élus dans le présent mois, exerceront provisoirement les fonctions municipales. Le premier élu exercera celles de maire.

- V. Les notables élus à la même époque, en tant que de ceux qui n’exerçaient avant la dernière nomination aucunes fonctions dans le corps ou conseil municipal de la commune, formeront provisoirement le conseil de la commune.

- VI. Si, par l’évènement des dispositions du présent décret et des dernières nominations faites à Saint-Jean-d’Angély, le nombre des administrateurs se trouvait tellement réduit que le service public et l’intérêt de la commune pussent en souffrir, le directoire du département de la Charente-Inférieure y pourvoira en nommant un nombre de commissaires suffisant pour exercer les fonctions municipales conjointement avec les nouveaux officiers municipaux ou notables dernièrement élus.

- VII. Ceux qui se trouveront composer le corps municipal et le conseil général de la commune se réuniront pour nommer au scrutin, a la pluralité absolue, celui d’entre eux qui remplira provisoirement les fonctions de procureur de la commune.

- VIII. L’Assemblée nationale est satisfaite de la conduite ferme et généreuse qu’ont tenue les membres du directoire du département de la Charente-Inférieure, les gardes nationales de Saintes, Rochefort, Charente et Matha, les détachements des régiments des chasseurs bretons, d’Agénois et de Royal-Lorraine, la maréchaussée, M. Blancard, qui a rempli les fonctions de juge, et M. Isambard, curé de Ternant.

- IX. L’Assemblée nationale décrète qu’en conformité de son décret du 24 juin dernier les anciennes compagnies de milice bourgeoise de Saint-Jean-d’Angely seront incorporées et feront provisoirement le service avec la garde nationale actuellement existante, et que, cette incorporation faite, les armes seront rendues aux citoyens auxquels elles ont été enlevées.

M. Menou propose d’ajouter une dernière disposition conçue en ces termes

- X. L’Assemblée nationale décrète qu’elle prend sous sa protection immédiate la femme et les enfants de M. Latierce, maire de Varaise, qui a sacrifié sa vie à ses devoirs, et que, sur le compte qui sera rendu à l’Assemblée par le département de la Charente-Inférieure, il sera pourvu, s’il est nécessaire, à la subsistance et aux besoins de la famille de ce généreux citoyen.

Le projet de décret présenté par le comité est adopté avec cette addition.


 D’autres versions des évènements de Varaize

Dans La Feuille Villageoise du jeudi 11 novembre 1790

VARESE. Département de la Charente inférieure

Tous les amis de la liberté ont appris avec horreur qu’elle a servi de prétexte à une abominable insurrection. Elle commença par le refus du paiement des droits féodaux. La municipalité fit arrêter le principal auteur de l’insurrection. Des séditieux assaillirent à coups de pierre la garde. Elle fit feu et parvint à exécuter l’ordre dont elle étoit chargée. Les brigands, rassemblés le lendemain, se rendent à Varèse, et demandent à main armée la sortie du prisonnier. La municipalité cède à la force et rend le coupable. Les brigands, peu satisfaits de leur crime, s’emparent de M. Latierce, maire de Varèse, l’accablent d’outrages, et le massacrent avec une furie digne des temps barbares et des peuples antropophages. Les armes contre les lois ! Les prisons forcées ! Un magistrat assassiné par ceux qui l’ont élu ! C’est le cœur navré de douleur que nous racontons ce cruel évènement. Tous les bons villageois en seroient indignés et affligés autant que nous.


Dans un livre contre-révolutionnaire publié en 1797 : Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution – Paris 1797 – Books Google

MEURTRE du Maire de Varaize et de six autres individus, les 22 et 23 octobre 1790.

Deux perturbateurs, Laplanche et Labru, en passant par Varaize, insinuent aux paysans que les nouvelles lois leur ordonnent de ne plus payer les terrages et autres droits féodaux. Les juges de Saint-Jean-d’Angely lancent une prise de corps contre Laplanche.

L’huissier qui s’en charge se fait escorter de trente chasseurs bretons ; on enlève le décrété.

Des femmes, armées de fourches et de bâtons, s’avancent pour délivrer cet honnête homme qui leur donnait de si bons conseils, selon les expressions de la multitude révoltée ; on jette du sable dans les yeux des chasseurs. Un coup de fusil tiré par un paysan sur eux, les excite à la vengeance. Une balle atteint l’agresseur ; il est mort. Les femmes redoublent de fureur. Une voix ordonne de faire feu. Trois d’entr’elles tombent mortes, et deux hommes sont blessés.

A la vue des cadavres, les habitans de Varaize sonnent le tocsin, et se répandent dans les campagnes voisines, en criant : Point de Directoire ! point de District ! tout cela achève de ruiner le pays. Leur ressenti¬ment est dirigé principalement sur leur Maire, nommé Latierce. Cependant il était connu par trente ans de probité. On l’arrête ; on l’attache un moment sur les cadavres ; puis on le traîne vers un moulin, dans l’intention de le pendre à une des ailes ; un motif sanguinaire suspendit l’exécution, afin d’en faire partager le spectacle à l’une des paroisses voisines ; le fils de Latierce échappe par un bonheur inoui. On voulait l’associer aux tourmens de son père. L’infortuné demande comme une grâce la mort qu’on lui refuse, pour épuiser auparavant ses forces par une torture continuelle. Il passe la nuit dans les plus douloureuses angoisses. Le lendemain on le mène à Saint-Jean-d’Angely, pour aggraver son supplice. Près de deux mille paysans des paroisses de Varaize, d’Ajeac, Fontenet, Aumagne, Argenteuil-les-Eglises, Saint-Julien de l’escap, Vilpouse, Lepin, etc., s’avancent tumultueusement le 22 octobre, avec leur proie enchaînée. Les chasseurs bretons sont consignés dans leurs casernes. Ces deux mille forcenés demandent l’élargissement de Laplanche ; on le leur accorde, sous la condition de mettre en liberté le Maire de Varaize ; l’échange est accepté. Mais à peine Laplanche leur est-il rendu, qu’ils se préparent à massacrer Latierce. Ils firent expirer leur victime dans une longue et cruelle agonie ; et le cadavre resta un jour entier exposé à la curiosité barbare.

Les lois, dès le surlendemain, reprirent leur empire, et ce meurtre atroce fut poursuivi en vertu d’un long décret rendu après avoir entendu le comité des rapports.

Le rapporteur releva une imputation fausse de l’abbé Mauri. Ce député prétendait que plusieurs paroisses de ces contrées méridionales avaient fait le serment de ne plus payer d’impôts. Le fait fut reconnu peu exact. Les habitans se plaignaient seulement de la multiplicité des administrateurs qu’on leur donnait et, en cela, ils n’avaient pas tout à fait tort, L’Assemblée constituante et celles qui lui succédèrent ne s’opposèrent point assez à la création de quantité de nouvelles places au profit des révolutionnaires intrigans, et au détriment des administrés qui ne s’en trouvèrent pas mieux.


[1NDLR : je n’ai pu trouver, dans les environs de Varaize, aucune commune (il y a un maire et un curé) portant ce nom. Je pense qu’il pourrait s’agir d’Aujac, dont le nom aurait été mal transcrit. La commune d’Aujac est citée (avec un orthographe approximative) dans un des documents annexés à cette page.

[2NDLR : Il pourrait s’agir de Fontenet, commune proche de Varaize

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