Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

Accueil > Chronologie de l’histoire locale > Le siècle des Lumières (XVIIIe s) > 1788 - 1789 - Avant les Etats généraux > 1789 - Cahiers de doléances et Etats généraux > Autres cahiers de doléances et Etats généraux > 1790 - Un cahier de doléances de femmes de Charente (Charras)

1790 - Un cahier de doléances de femmes de Charente (Charras)

Le féminisme en 1790

samedi 3 décembre 2016, par Pierre, 632 visites.

Un cahier de doléances insolite. Le terme "cahier de doléances" est probablement impropre, car il s’agirait plus vraisemblablement d’une des innombrables "adresses" destinées à l’Assemblée Constituante. Elle a été écrite par des femmes du canton de Marthon (Charente) après la grande vague des Cahiers de mars 1789. La rédactrice, Madame de Vuignerias [1] a sa maison de campagne à Charras. Le style est daté, mais la lecture révèle des problèmes de société qui agitent encore aujourd’hui le débat politique (l’égalité hommes-femmes, faut-il taxer la fortune ou les dépenses des ménages ?, la justice et les peines de substitution, etc.).
L’introduction rédigée par Léonce Grasilier en 1899 dans la Nouvelle revue rétrospective, et l’article du journal anti-révolutionnaire "Le Gaulois" du 7 décembre 1900 montrent que la question de l’égalité hommes-femmes a encore un long chemin à parcourir.

Sources :
- Nouvelle revue rétrospective - 12/1899 - BNF Gallica
- Journal "Le Gaulois" - 07/12/1900 - BNF Gallica

Cahier des doléances et réclamations des Femmes du département de la Charente.

Il n’a pas été possible d’obtenir le moindre renseignement sur la signataire de ce cahier de doléances des femmes du canton de Marthon. C’est en vain, également, que l’on a cherché le nom de Vuignerias dans les publications sur l’Angoumois. Elle doit être parente, peut-être même la veuve, de Decescaud de Vignerias, député de Charras à l’Assemblée préliminaire du tiers-état au siège présidial d’Angoulème en 1789. Quelle femme était-ce que la veuve de Vuignerias ? Probablement une de ces femmes au cœur ulcéré par quelque injustice, à l’imagination ardente, plus farcies de lectures que dotée d’instruction, comme on en vit tant surgir à l’aurore de la Révolution.

Son style est primesautier ; l’orthographe n’existe, pas pour elle : elle écrit Saint-Bole pour symbole, et étout pour est tout, elle n’en a cure : le principal, c’est de dire ce qu’elle pense et ce qu’elle désire. Or ses pensées, ses désirs, qui ressemblent tant aux élucubrations féministes d’aujourd’hui [NDLR : en 1899], tout cela lui est-il personnel, ou n’est-ce pas plutôt l’écho provincial des publications féministes qui parurent à Paris dès les premiers jours de la Révolution ? Imbue de l’esprit des philosophes, entraînée dans le tourbillon général, n’a-t-elle pas été surexcitée par des publications plus ou moins sérieuses, celles de de Pussy entre autres ?

Le 30 novembre 1789, cet écrivain publiait, en effet, le premier et unique numéro des Etrennes nationales des Dames où l’on trouve exprimées les idées de Mme de Vuignerias :
— "Dans la masse énorme d’opprimés, y lit-on, n’y a-t-il pas au moins la moitié du sexe féminin ? Et cette moitié doit-elle être exclue, à mérite égal, du gouvernement ?... Enfin, est-il dit plus loin, les Prétoriens et les Légions nous verront avec plaisir, non-soldées, partager les gardes laborieuses et fatigantes. Ce n’est pas que la fantaisie de porter des uniformes nous monte à la tête, mais le désir de manier le sabre nous porte au cœur. Eh bien, si les hommes veulent se réserver la garde du Roi, nous serons les amazones de la Reine !. ;. Vous prouverez aux volages et aux ingrats, (écrit l’auteur, à un autre point de vue) que la femme est, à l’homme, égale en droits et égale en plaisirs. »

Les féministes d’aujourd’hui, qui ont agrandi le programme, liront avec intérêt les doléances et les revendications de cette provinciale de 1790.

Léonce Grasilier.

Charras, le 29 juin 1790.

L’aurore luit, les ténèbres se dissipent, l’astre du jour approche, le ciel brille ; son éclat est un présage heureux.

O Puissance suprême, fais que ce symbole enflamme tous les cœurs, ranime notre espoir et couronne nos vœux !

Quelle confiance ne devons-nous pas avoir, depuis que le Monarque a manifesté à son peuple ses sentiments paternels, qu’il a permis à chaque individu de porter ses réclamations, de communiquer ses idées, de traiter, discuter par la voie de la presse, tous les objets qui vont bientôt passer sous les yeux de cette auguste Assemblée. Dans le moment d’une révolution générale, qu’une femme, étonnée du silence de son sexe, lorsqu’il aurait tant de choses à dire, tant d’abus à combattre, tant de doléances à présenter, ose élever sa voix pour défendre la cause commune de son sexe ! C’est au tribunal de la Nation qu’elle va la déférer, et déjà sa justice l’assure de son succès.

Pardonne, ô mon sexe, si j’ai cru légitime le joug sous lequel nous vivons depuis tant de siècles ; j’étais persuadée de ton incapacité et de ta faiblesse, je ne te croyais capable, dans la classe inférieure ou indigente, que de filer, coudre et vaquer aux soins économiques du ménage, etc.

Dans un rang plus distingué, le chant, la danse, la musique et le jeu me semblaient devoir être les occupations essentielles ; je n’avais pas acquis encore assez d’expérience pour discerner que tous ces exercices sont, au contraire, autant d’obstacles au développement du génie. Mais que je suis désabusée, depuis que j’ai vu, avec autant de surprise que d’admiration, dans cette classe où, soit par raison, soit par nécessité, les hommes permettent aux femmes de partager leurs travaux, les unes bêcher la terre, tenir le soc de la charrue, conduire la poste, d’autres entreprendre de longs et pénibles voyages, pour raison de commerce, par les temps les plus rigoureux.

J’ajouterai que, malgré le défaut de notre éducation, on peut citer plusieurs femmes qui ont donné au public des productions utiles et lumineuses. Enfin n’en a-t-on pas vu tenir les rênes du gouvernement avec autant de sagesse, de prévoyance que de majesté ?

Que nous faut-il de plus pour nous prouver que nous avons droit de nous plaindre de l’éducation qu’on nous donne, du préjugé qui nous rend des esclaves, et de l’injustice avec laquelle on nous dépouille, en naissant, au moins dans plusieurs provinces, du bien que la nature et l’équité semblent devoir nous assurer ?

L’on a, dit-on, accordé aux nègres leur affranchissement : le peuple, étant aussi esclave qu’eux, est rentré dans ses droits ; c’est à la philosophie qui éclaire la Nation à qui l’on est redevable de ces bienfaits. Serait-il possible qu’elle fut muette à notre égard, ou bien que., sourds à sa voix et insensibles à sa lumière, les hommes persistassent à vouloir nous rendre victimes de leur orgueil ou de leur injustice ?

O Députés de la Nation, c’est vous que j’invoque ! Puissiez-vous vous pénétrer des mêmes sentiments qui m’animent et de la nécessité d’opérer, par l’influence de vos lumières, la sagesse de vos délibérations, le succès de nos justes doléances ! Vous ne tromperez point nos attentes ; j’en ai pour garant les sufFrages d’une infinité de citoyens éclairés qui ont mis leurs soins, leur destinée dans vos mains, et l’obligation par vous contractée de concourir à la réforme des abus et des préjugés absurdes ou atroces qui déshonorent la Monarchie française. C’est dans cette confiance que j’ose prendre la défense de mon sexe, et que ma plume timide, mais encouragée par la bonté de ma cause, s’exerce pour la première fois. Je conçois que ma réclamation paraîtra d’abord au moins inconsidérée.

La mission des femmes aux Etats-Généraux est, s’écriera-t-on, une prétention d’un ridicule inconcevable : jamais les femmes n’ont été admises dans les conseils de Raison et de République. Mais oserions-nous nous flatter, par cette nouvelle réforme, d’y participer ? Etant douées du savoir et de l’éloquence si digne de notre sexe, n’y a-t-il pas eu des souveraines qui ont gouverné des Etats, depuis Sémiramis jusqu’à nos jours, et n’ont admis que des hommes dans leurs conseils ? La devise des femmes est de travailler, obéir et se taire.

Voilà, certes, un système digne de ces siècles d’ignorance, où les plus forts ont fait des lois et soumis les plus faibles, mais dont, aujourd’hui, la lumière et la raison va être démontrée par vous, Pères d’une patrie à qui vous êtes si chers ; c’est de vous, divines organes, que nous implorons les suffrages et à qui nous confions les soins de notre sort.

Ce n’est point aux honneurs du gouvernement ni aux avantages d’ètre initiées dans les secrets du ministère que nous aspirons ; mais nous croyons qu’il est de toute équité de remettre aux femmes, aux filles possédant des terres ou autres propriétés de porter leurs doléances au pied du trône ; qu’il est également juste de relater leur suffrage, puisqu’elles sont obligées, comme les hommes, de payer des impositions royales et de remplir les engagements de commerce.

L’on alléguera peut-être que tout ce qui est possible leur est accordé : c’est de leur permettre de se faire représenter par procuration à votre auguste Assemblée. On pourrait répondre, démontrer avec raison qu’un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble. De même un homme ne pourrait, avec plus d’équité, représenter une femme, puisque les Représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les représentés. Les femmes ne pourraient donc être représentées que par leur même sexe.

Mais, si elles ne peuvent se faire entendre, si la politique du gouvernement l’emporte sur sa justice, si tout accès auprès des dépositaires de leur destinée leur est interdit, ô citoyens vertueux et sensibles, prenez du moins en considération l’iniquité attachée au préjugé qui les rend victimes et responsables des désordres de ceux-de votre sexe qui, par leur efforts, leurs ruses, leur noire perversité, sont parvenus à les corrompre et à abuser de leur crédulité par leurs promesses, à les subjuguer par leurs serments, à triompher de leur faiblesse, de leur inexpérience, de leur vertu ; préjugé qui imprime, sur leur front, un caractère ineffaçable d’ignominie, tandis que l’infame suborneur s’applaudit de ses succès, se glorifie des pleurs qu’il fait couler, des pièges qu’il a tendus à l’innocence, de la honte et du malheur de son infortunée victime : hommes pervers et injustes, pourquoi exigeriez-vous de nous plus de fermeté que vous n’en avez vous-même, pourquoi nous imposez-vous la loi du déshonneur ? Quand, par vos manœuvres, vous avez su nous rendre sensibles et en obtenir l’aveu, quel droit avez-vous pour prétendre que nous devons résister à vos pressantes importunités, quand vous.n’avez pas le courage de commander au déréglement de vos passions ?

Ah ! sans doute un laid préjugé est indigne d’une bonne constitution, il révolterait une nation moins frivole et plus conséquante dans ses principes. Mais quel moyen pourrait-on employer pour établir l’équilibre entre deux sexes formés du même limon, éprouvant les mêmes sensations, que la main du créateur a fait l’un pour l’autre, qui adorent le même Dieu, qui obéissent au même souverain ? Et pourquoi faut-il que la loi ne soit pas uniforme entr’eux, que l’un ait tout et que l’autre n’ait rien ?

O Nation légère, mais éclairée, reprends ton énergie, saisis d’une main ferme la balance de la
justice et le flambeau de la philosophie, puis arrête tes rigueurs sur ces vices de la législation enfantée dans les ténèbres par l’ignorance et la barbarie, gémis de tous les maux qu’ils ont causés, et hàte-toi de répondre au vœu de ton souverain qui t’a réuni pour suppléer sur les intérêts de son peuple : suprime les abus, régénère la Constitution française par de nouvelles lois. Il est donc en ton pouvoir de les rendre uniformes, il est de ton devoir de redresser les sinuosités qui égarent, chaque jour, les officiers chargés de les faire exécuter ; il est, dis-je, d’une nécessité absolue de détruire toutes les deffectuosités monstrueuses de la loi qui ont avili, corrompu l’esprit de la Nation et gangrené ses mœurs.

Ce n’est donc que par la réforme des lois qu’on peut se flatter d’opérer leur régénération et d’anéantir les préjugés ; mais que ces lois, dictées par la sagesse, soient un rempart contre l’oppression, et nos deux sexes en devenant alors vertueux par principe, jouiront de la paix qu’inspire une concorde et une mutuelle confiance. L’homme, tranquille au sein de sa famille, ne craint plus que son ami séduise sa femme ou sa fille, et déshonore sa maison.

Vous qui allez devenir les arbitres du bien ou du mal, occupez-vous de changer les règles de notre éducation ; ne nous élevez plus comme si nous n’étions destinées qu’à faire les plaisirs du sérail. Que notre félicité ne soit pas uniquement de plaire, puisque nous devons partager, un jour, votre bonne ou mauvaise fortune. Ne nous privez pas des connaissances qui peuvent nous mettre à même de vous aider soit par nos conseils, soit par nos travaux.

Ce n’est point avec les futilités dont on remplit nos tètes que nous pouvons vous remplacer, quand, par une mort naturelle ou prématurée, vous nous laissez chargées du soutien et de l’éducation de vos enfants.

Les gens oisifs ou frivoles ne s’amuseront plus, à la vérité, dans le cercle des femmes, par la puérilité de leurs entretiens, mais aussi les personnes sensées verront avec satisfaction les mères de famille, raisonnables et gaies, s’occuper avec fruit du soin de leurs affaires domestiques, discuter avec connaissance et discernement les intérêts publics ; leur esprit orné, dégagé d’intrigues, de jalousie et colifichets, rendra leur commerce et leur conversation aussi agréables qu’utiles.

Réunissez-vous, filles cauchoises, et vous, citoyennes de provinces régies par des coutumes aussi injustes et aussi ridicules, pénétrez jusqu’aux pieds du monarque, du meilleur des Rois, intéressez tout ce qui l’environne, réclamez, sollicitez l’abolition d’une loi qui vous réduit à la misère dès que vous venez au monde, pour transporter à l’aîné de vos frères presque toute la fortune de vos pères, et qui vous prive absolument de toutes les successions possibles de toutes vos familles, lorsque vous avez des frères. C’est cette coutume qui a fait dire qu’un père pouvait marier sa fille pour un chapeau de roses. C’est elle encore qui.est cause de la mésintelligence qui existe dans les familles.

O augustes Représentants, vous venez donc d’abolir cette coutume, de nous rendre, dit-on, égaux par une juste balance, et chasser cette injustice qui nous opprimait et nous maintenait dans l’état le plus vil, en nous privant de cette répartition juste qui nous ôtait notre nécessaire et les talents dignes de notre naissance et de nos dispositions.

O Pères sensibles, et vous, êtres privilégiés que le choix de la Patrie a illustrés à jamais, appuyez ces réclamations, songez que la haine, la jalousie, la discorde et la désunion régneront parmi vos enfants, toutes les fois que vous n’aurez pas les droits de leur départir également votre fortune. Réunissez-vous donc pour opérer toute proscription contraire à notre liberté, sur nos inclinations et. sur toutes autres parties concernant celle qui est si chère à notre cœur ; que l’amour du bien public soit, votre boussole, et que, pénétrés de la sublimité de vos fonctions, mille considérations ne puissent vous en écarter.

Que la bonté du Monarque et l’esprit de patriotisme, dirigés par vos lumières et par la sagesse de cet homme immortel dont le nom passera à toutes les générations futures et la sagacité assurent à la France le bonheur qu’elle lui présente.

Il sera votre ouvrage, et le moyen de le fixer, c’est de finir de rendre les lois si claires et si précises, que la passion et la cupidité ne puissent s’y cacher sous de fausses interprétations.

L’Europe, attentive et les yeux fixés par vos opérations, commence par regarder la France comme une nouvelle Grèce ; nous voyons nos rivaux le dépit dans le cœur, qui seront forcés de vous admirer.

Je devrais terminer ici la tache que je me suis imposée en prenant la plume. Cependant je me féliciterai d’y avoir ajouté quelques réflexions, si une seule pouvait contribuer au bien général. Je commencerai par celles qui ont rapport à l’objet principal de la sollicitude publique : la Dette nationale.

Nous voyons donc avec plaisir les justes répétitions que vous faites, sur le Clergé et la Noblesse, des arrérages des injustes impositions dont ils s’étaient affranchis sans le consentement de la Nation ; ce n’est point à moi à combattre cette opinion presque générale, mais il me semble que l’Etat pourrait payer, parce moyen, ses dettes.

Serait-il donc possible qu’à la fin du 18e siècle, l’on fut encore esclave du fanatisme et qu’on ne put faire des recherches et des réclamations sans être frappé d’anathème parce que c’étaient des sacrificateurs du Dieu que nous adorons qui ont trompé la crédulité des peuples ?

Ce ne sont point des mains profanes que Ton porterait sur l’arche sacrée, ce serait, au contraire, un acte de justice conforme aux lois qui ne permettent pas qu’un voleur, lorsqu’il est convaincu, jouisse paisiblement du fruit de son crime : ou les effets volés sont restitués à qui ils appartiennent, ou ils sont confisqués au profit de la Nation ; tous biens mal acquis ; je les joindrai donc à ceux des maisons ci-devant religieuses et aujourd’hui nationales (celles des Jésuites, de qui le Roi s’est emparé, et qui ne sont pas fermées) [2] et ferai, de tous ces différents objets, un ensemble et qu’une meme masse pour libérer la Nation et satisfaire à ses besoins.

Si toutes ces ressources étaient insuffisantes, j’établirais un impôt sur l’objet du Luxe, simplement, me gardant bien de frapper sur le comestible ni sur ce qui pourrait gêner la prospérité du commerce et moins encore sur le peuple indigent et laborieux.

Si j’ai passé faiblement sur l’ordre du Clergé, ça n’est pas qu’il n’y aurait bien infiniment davantage à dire, mais il n’appartient pas à une femme de donner à ce sujet l’extension dont il serait susceptible ; je voulais seulement donner l’aperçu des ressources que l’Etat peut trouver dans la confiscation des biens injustement possédés, et qui ne peut blesser le devoir d’un souverain de maintenir les propriétés.

Que vos observations se portent aussi sur les moyens de faire fleurir le commerce en France ; il est le nerf principal d’un Etat ; ne souffrez pas, surtout qu’il soit avili par des banqueroutes frauduleuses. Etablissez que les banqueroutiers qui, n’éprouveront point clairement des pertes réelles, seront flétris d’un B imprimé sur la joue, afin d’annoncer à tout l’univers que les commerçants, en France, sont déshonorés quand ils manquent de probité.

Que les frais de justice soient modérés, qu’un créancier ne soit pas forcé de sacrifier une partie de sa fortune pour faire condamner un faillant.

Qu’on proscrive les arrêts de surséance et les sauf-conduits qui sont un attentat à la propriété, et que, si on laisse subsister les arrêts de défense, ils n’occasionnent pas plus de frais aux créanciers qu’ils ne coûtent aux débiteurs.
Par ces ordres, vous rétablirez la confiance, vos navires seront accueillis dans tous les ports, et les bons Français seront en recommandation chez l’étranger.

Arrêtez aussi qu’on ne pourra condamner à mort que ceux qui seront coupables de meurtre ou de lèse-majesté ; que les autres criminels soient flétris, non sur l’épaule, mais sur la joue, d’une lettre qui annonce au public le genre de crime qu’ils auront commis, et que tous, marqués du sceau de la réprobation, soient employés à des travaux publics si nécessaires en France, soit pour faire des canaux, couper des montagnes, sécher des marais, soit pour nettoyer les villes, adoucir les chemins et les entretenir. Qu’ils soient mis sous la conduite de gens qui en répondront, non dans la crainte qu’ils ne passent en pays étranger (ils porteraient la marque de leur iniquité), mais pour s’assurer de leur personne, et se préserver des nouveaux forfaits qu’ils seraient capables de commettre. On ne doit pas douter qu’il n’y eût moins de criminels, si la mort n’était pas leur punition et ne terminait leur pénible existence.

En m’adressant à vous, ô nos dignes Représentants, je vous dirai : êtres infortunés, voici le moment de réclamer contre la servitude à laquelle vos tyrans vous ont réduits jusqu’à ce jour ; vous n’avez joui qu’en droit d’adoption ; soyez désormais enfants légitimes, devenez tout à fait français.

Renoncez aux prétendues franchises que vos seigneurs suzerains vous font payer trop cher par les droits qu’ils se sont réservés sur vos personnes, ainsi que sur vos propriétés, dont vos enfants et vos héritiers légitimes sont frustrés, si, à l’instant fatal où vous cessez d’ètre, le hasard
ou des affaires les ont éloignés de vous, qui vous privent d’une douce satisfaction. Dévorée (sic) comme vous, je travaille pour mes enfants.

Nous supplions la respectable Assemblée nationale, les soutiens du peuple, les libérateurs de la Monarchie française, d’obtenir, décider et arrêter :
- 1° Que la Nation réunie ne fasse plus qu’une même famille, régie par la même coutume, n’ayant qu’un même poids et une même mesure.
- 2° Que les barrières qui nous séparent et nous interdissent, pour ainsi dire, la faculté de nous secourir mutuellement en nous procurant les produits de nos différentes provinces, soient portées aux frontières.
- 3° Point de marques de distinction, d’être tous frères et plus encore amis.
Défendons courageusement notre patrie, aimons notre Roi et nos Représentants ; soutenons-les courageusement dans leur entreprise. Que la probité et la justice dirigent nos actions, et nous serons heureux.
- 4° Qu’il nous soit permis de former une troupe vigilante ; nous avons assez d’ardeur pour les armes, comme dans tous autres travaux, pour demander d’y être admises.

Messieurs,

Si j’étais assez heureuse pour que mon cahier puisse être trouvé digne de vos regards, je vous solliciterai de vouloir m’en donner avis, comme étant chargée de la procuration de toutes les dames de mon canton, et qu’elles seraient désireuses, si je ne m’étais pas trop hasardée, d’en apprendre la bonne ou mauvaise réussite (croyant mes demandes très légitimes).

Votre justice, Messieurs, couronnera mes entreprises et vous réserve un triomphe glorieux, à jamais immémorable, qui est le vœu qu’a formé, pour vous tous, le sexe du canton de Marthon, et de ceux qu’il adresse journellement au Ciel pour votre conservation, que j’ose vous assurer être aussi sincère que le très profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.

Marie Vve de Vuignerias,
avec procuration.

Mon adresse est : Madame veuve de Vuignerias, en sa maison de campagne de Vuignerias, paroisse de Charras, proche Angoulème.

Messieurs, que vos attentions se portent à adoucir le sort des malheureuses veuves, c’est une grâce que j’ai l’avantage d’implorer.

Journal « Le Gaulois » du 7 décembre 1900

Bloc-Notes Parisien

LE BERCEAU DU FÉMINISME


Il ne peut plus être question de savoir si la victoire du féminisme est un bien ou un mal. Elle est un fait acquis. Nos lois consacrent, peu à peu, son admission, dans les diverses conditions de la vie sociale. Et la prestation de serment de Mme Petit, que suivra la prestation de serment de Mlle Chauvin, mercredi prochain, sont de nouveaux faits, devant lesquels se brisent toutes les résistances opposées à l’égalisation absolue de la femme et de l’homme. Si cette égalisation produit les graves inconvénients qu’on en peut craindre, les événements se chargeront de le démontrer.

Le féminisme est, en tous cas, un legs de la Révolution. Il a ses origines dans les idées qui l’enfantèrent.

La participation du féminisme a toutes les horreurs révolutionnaires est connue de tous par la présence de poissardes mêlées aux émeutiers des 5 et 6 octobre. On trouve des femmes parmi les massacreurs de septembre. On en trouve dans les rangs des sectionnaires du 10 août, à l’assaut des Tuileries. Tout le monde sait le rôle abominable des Tricoteuses et l’infâme célébrité de Théroigne de Méricourt, que les Muscadins, par représailles, fouettèrent publiquement.

Mais cette exaltation sanguinaire des femmes qui collaboraient avec les hommes aux tueries sauvages de la Révolution, ne serait pas, à proprement parler, du féminisme en action, puisque le féminisme est, par sa définition, la participation des femmes aux mêmes droits civiques et légaux que les hommes, aux mêmes fonctions et emplois publics.

Ce ne fut pas faute d’y prétendre, ni de le réclamer que ces femmes n’y furent pas admises. La plupart des revendications du féminisme contemporain se firent jour, déjà, durant la tenue des Etats généraux, et même ta précédèrent.

Dans une étude sur le Féminisme en 1790, publiée par M. Léonce Grasilier, se trouve cité un extrait des Étrennes nationales des dames, publiées par un sieur de Pussy à la date du 30 novembre 1780. Dans cet extrait, les femmes sont comptées pour la moitié, au moins, dans la masse énorme des opprimés. Il y est demandé si cette moitié doit être exclue, à mérite égal, du gouvernement. Il y est exprimé le désir, au nom des femmes, que les « prétoriens et les légions » les voient, « non soldées, partager les gardes laborieuses et fatigantes. Ce n’est pas, ajoute Pussy, dans le discours qu’il prête eux femmes, que la fantaisie de porter des uniformes nous monte a la tête, mais le désir de manier le sabre nous porte au cœur. Eh bien, si les hommes veulent se réserver la garde du Roi, nous serons les amazones de la Reine ».

Le féminisme, à ses débuts, comme l’immense majorité de la nation, ne séparait pas de la monarchie l’usage de la liberté. Et M. Grasilier, en même temps que cet exposé des premières aspirations du féminisme naissant, a eu la bonne fortune de découvrir le Cahier des doléances et réclamations des femmes du département de ta Charente adressé aux législateurs de l’Assemblée Constituante, le 29 juin 1790, par Mme de Vuignerias. Ces doléances, sous le fatras de leur phraséologie, ont au moins le mérite de nous documenter sur la naissance du féminisme et sur sa diffusion, dès le début de la Révolution, dans nos plus lointaines provinces, par les élucubrations publiées à Paris sur cette matière.

Mme de Vuignerias réclame, pour les femmes, 1a personnalité civile, leur admission aux assemblées politiques, leur accès aux fonctions publiques et aux emplois administratifs, et, comme le sieur de Pussy, leur participation au service militaire.

On sait qu’un certain nombre de femmes suivirent des volontaires à l’armée, lors de la levée en masse de 1792. Elles y servirent comme des hommes. Les sœurs Fernig furent de ces femmes. En furent aussi, les canonnières Dulière et Catherine Pochelat, qui se distinguèrent à Jemmapes. Il y en eut d’autres dont le nom n’a pas été conservé. Cependant, les esprits sérieux de la Convention ne se prêtèrent pas longtemps à ces expériences de féminisme guerrier. Ils firent décréter, le 20 avril 1793, l’exclusion de l’armée, de toutes femmes autres que vivandières et blanchisseuses.

Le féminisme politique, durant la Révolution, ne souffrit pas du même ostracisme. Outre qu’il s’est affirmé dans les massacres et les émeutes, il a produit des organisations politiques dont l’action a influé sur les événements. Il y eut la Société des Amies de la Vérité, que la Hollandaise Palm d’Aelders avait fondée. Et il y eut aussi le club des Républicaines révolutionnaires, exclusivement composé de femmes, qui l’emportaient en férocité sur les Jacobins et les Cordeliers.

Aux Républicaines révolutionnaires, où il y eut un peu plus de 170 sociétaires, dominait Rose Lacombe, comédienne sans emploi, qui avait demandé à la Convention d’être envoyée à l’armée, et qui fut honorée d’une couronne civique, pour sa participation à l’assaut des Tuileries, le 10 août 1792. C’est à ce club d’énergumènes que fut faite la proposition d’armer les femmes de 18 à 5o ans, pour les envoyer contre la Vendée. Pauline Léon balança l’influence de Rose Lacombe, dans ce club féministe, de même qu’elle la supplanta dans le cœur d’un jeune comédien lyonnais, nommé Leclerc, qui fut député de Lvon à la Convention. Les motions adoptées au club féministe étaient ensuite portées au club des Jacobins et à la Convention. C’était dans ce club que se recrutaient les aboyeuses salariées, dont les vociférations stimulaient le zèle terroriste des représentants. Ce furent elles qui s’acharnèrent, avec le plus de fureur, à poursuivre la ruine des Girondins.

Le féminisme a réalisé presque toutes les aspirations qu’il eut en naissant, ou il ne tardera plus à les réaliser toutes, sauf ses originelles prétentions militaristes. Il n’en reste pas moins que les premières applications de ses principes furent réalisées par la lie de la plus horrible populace qui ait épouvanté le monde de sa démence meurtrière. Et il est bien permis de se demander si, malgré les bonnes intentions de beaucoup de ses adeptes, son succès final pourra le dégager entièrement des horreurs de ses origines.

Tout-Paris


[1Dans "Notes historiques sur la baronnie de Marthon", l’abbé Mondon écrit "Vignérias".

[2Les revenus des biens des Jésuites n’ont pu, depuis près de 30 ans, acquitter leurs dettes. Les frais de direction absorbent presque tout ; les avocats et les procureurs sont intéressés à les éterniser. C’est un abus auquel il faudrait remédier. (Note du manuscrit.)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Rechercher dans le site

Un conseil : Pour obtenir le meilleur résultat, mettez le mot ou les mots entre guillemets [exemple : "mot"]. Cette méthode vaut également pour tous les moteurs de recherche sur internet.