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Livre de marais et muid de bosse : les mesures des sauniers

Pour émer le sel...

samedi 26 avril 2008, par Freddy Bossy, 1744 visites.

La relativité des mesures saunières est effarante : voici quelques repères.

-  Muid (s.m.), dialectalement meu, mu : le "muid ras" fait approximativement une tonne ; mais le "muid de bosse" vaut 33 sacs de 50 kilos (à Bourcefranc). Car on distingue la quantité de sel produite de la quantité embarquée.

La bosse est la partie surélevée du marais salant ; là était le tasselier, ou tassier, endroit où on apilait [ : mettait en tas] le sel : "an [ : en, sur] deux taslié : 63 muis" ; "an trois taslié : 30 muis" (Nieulle-sur-Seudre, 1810).

Maine de Vaux, 1532 : "Sur tous lesd. maroys peult bien avoir, par comune extimation, trente muitz de sel, oultre un carteron que led. feu bailla a l’eglise de monsieur Sainct Estienne d’Arvert." (cf. Sources, infra.)

Les bosses étaient mises en culture (le plus souvent, rythme triennal : blé/orge/fèves) : "Les bosses sont des terreins qui appartiennent au maître du marais, mais les grains, les potages & tout ce qui s’y recueille appartient au saunier." (Encyclopédie, sub verbo Salines ; 1768. - Potages : légumes ; les haricots, ail, oignon de marais étaient particulièrement réputés.)

-  Boisseau (s.m.), dialectalement : boéssa ; cône (s.m.) : le boisseau est la contenance d’un mannequin, panier tronconique clissé, ou d’un cône en bois cerclé. Il y a 36 boisseaux dans un muid de bosse, et 24 dans un muid ras.

Le boisseau a été maintenu après l’introduction du système métrique, avec la valeur d’un demi-hectolitre, ou 50 kilos.

-  Hectolitre (s.m.), dialectalement : éctolite (a été fém.). Cette unité s’est imposée difficilement ; le saunier gardait en tête les valeurs suivantes : un muid ras fait 10 hectolitres, un muid de bosse, 15. De la même façon, on estimait : 100 litres de sel = 100 kilos.

De 1798 à 1833, Jean Grellier, juré en sel de Nieulle-sur-Seudre, ne s’est servi qu’une fois de l’hectolitre, le 7 septembre 1813, pour le chargement de La Joséphine : "Je certifie avoir mésuré et vercé à bord du navire énoncé la quantité de huit cent vingt-deus demis hectolitres de sel, au nombre desquelles il a été fait quarante-une pésée, le tout en une vacation."

-  Sac (s.m.), dialectalement : sat, sa. Le sac, de chanvre, était utilisé pour le transport du tasselier au bateau. À Nieulle-sur-Seudre, 1 muid = 12 sacs, et 1 sac = 3 boisseaux (soit 150 kilos ou 150 hectolitres).

Jean Grellier, 21 vendémiaire an XIII : "J’ais levé sur lais marais de monsieur Bregerat la quantité de huit muis six sac de sel, prise de Millard, charge de l’Eglise, saunié Grandillon, marchand monsieu Richard, barque de maître Bouret." (Les Grandillon sont encore de nos jours sauniers à Nieulle.)

"Sac à bas !" [satabâ] : ordre donné par le juré-métreur afin d’émer le chargement : "Je me suis transporté à la commune de St-Just, prise de Pelauzeau, pour aimé du sel an deux taslié : 63 muis." (Jean Grellier, 1810. - Émer : doublet de ’estimer’, mesurer.)

On utilisait aussi, sur place, des sacs plus petits, les gagnes (s.f.), contenant 50 kilos (un boisseau).

D’entretien difficile, les sacs de toile et les paniers clissés (dits paniers de sel, ou paniers pr sau) sont remplacés de nos jours par des bacs en plastique.

-  Livre (s.f.), dialectalement : live. Unité de compte et/ou de surface, utilisée par les notaires et les propriétaires, les bourgeois de marais. Le mot livre est fréquent en toponymie littorale. La livre est la surface couverte par 20 aires saunantes et leurs réservoirs et dépendances, soit très approximativement 360 mètres carrés (mais cette équivalence ne signifie pas grand chose). L’aire (s.f.), ou carré (s.m.), est le dernier bassin de cristallisation, celui où le sel est récolté ; sa structure évoque celle de la claire ostréicole.

Maine de Vaux, 1532 : "Item douze livres de maroys non departys [ : indivis] entre Jehan Brethon & Mathuryn Texier, et certaines sartieres avecques leurs apartenances ; item en Coulonge soixante hayres de maroys sallans."

Oleron (Sauzelle), 1761 : "La quantité de huit livres de marais sallans ou environ, avec touttes les conches et les branches necessaires."
Les conches et branches sont des bassins intermédiaires, où l’eau se décante, chauffe, et où le sel se condense.

Nieulle, 1845 : "La moitié dans six livres deux aires de marais salants situés dans la prise de Monchouse, moyennant la somme de 3 000 francs" ; 1869 : "Quatorze aires de marais salant dans un champ, & deux livres neuf aires dans un autre champ, situés dans la prise de Millard."
(Remarquer la tournure dialectale : la moitié dans, et non : de ; remarquer aussi qu’on dit un champ de marais, ou un champ saunant.)

Naturellement ces quelques données ne demandent qu’à être complétées.


Note :
s.m.  : nom masculin ; s.f.  : nom féminin ; vb  : verbe.

Sources  :
- M. Le Terme, Règlement général et notice sur le marais de l’arrondissement de Marennes, Rochefort 1826 ;
- Marcel Delafosse et Claude Laveau, Le Commerce du sel de Brouage aux XVIIe et XVIIIe s., Paris 1960 ;
- F. Bossy, Le Lexique maritime de la Saintonge et de l’Aunis, 1982 (inédit).
- Archives familiales de l’auteur.

Le volumen du Maine de Vaux, constitué de 15 segments de parchemin pour une longueur totale de 9,50 mètres, contient l’inventaire après décès de Jehan Devaulx, du 5 déc. 1532 ; le Maine Devaux est l’actuelle maison de retraite Darcy-Brun à Etaules/Arvert. Ce volumen a été déposé aux Arch. dép., série I ; il fera l’objet d’une étude prochaine sur ce site.

Le cahier de Jean Grellier a été aussi déposé aux Arch. dép. série 16J, avec d’autres pièces relatives à la saliculture provenant du même fonds.

F.B.

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