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En Arvert, "homme" & "randeau" ; en Aunis, "quartier" & "casseron" : les unités de mesure de la vigne

mardi 6 mai 2008, par Freddy Bossy, 1853 visites.

Pour l’homme d’aujourd’hui, les unités de surface s’appliquent partout, quelle que soit la nature ou l’usage de la surface considérée. Tel n’était pas le cas autrefois, et nos ancêtres utilisaient des unités de mesure dont les noms variaient selon le mode de culture ou le produit. Ici des exemples pris en presqu’île d’Arvert et en Aunis.

À vos lexiques et à vos calculatrices !

La notion moderne de superficie s’oppose aux anciennes mesures qui expriment soit la terre travaillée (type journal, ouvrée), soit la terre mise en œuvre (type sillons, rangs), soit la terre selon son produit (type boisselée, minée).


1. Homme et... demi homme

Dans les titres de propriété de la région de Royan-La Tremblade, les vignes étaient parfois estimées en hommes, ou journées d’homme, qui est l’équivalent de journal pour la terre labourée.

Ce système a valu aussi dans d’autres régions, mais il semble, en Saintonge, limité à la presqu’île d’Arvert où il était encore utilisé au début du XIXe siècle.

5 déc. 1532, inventaire (volumen du Maine de Vaux) :
« Terres de Arvert :
- item la journée à douze hommes de vigne ou env. assis près chez Jehan Robyn, tenent d’ung bout au vergier de Sauvaiget, et d’ung cousté à Estienne Devaulx ;
- item la journée à six hommes de vigne, assis près les Deux Moullyns ;
- item huict randeaulx de vigne, assis à l’Ousme Guymas, tenent d’ung bout contre le moulyn de Mathurin Texier, d’un costé au long Mesnaiget ;
- item la journée à six hommes de vigne assis près Avallon, tenent d’ung bout au chemyn, d’ung cousté à la vigne de Roussignoulx ;
- item un desert de vigne, assis en Rocheffort ;
- item deux loppins de vigne, assis en fief du Mesne Symon. »

(Un « désert » est une vigne laissée inculte ; Furetière : « On appelle des vignes en desert quand elles ne sont point labourées, fumées, ni eschalassées » ; Godefroy et Musset appliquent aussi ce mot à une terre. On dit aussi une gâtine [ci-après].
Le « fief » n’a pas ici d’acception seigneuriale ; c’est un endroit planté en vigne [voir la carte n° 180 de l’Atlas Linguistique de l’Ouest].
Dans ce même inventaire, la terre labourée est, quant à elle, évaluée soit en « journaulx », soit en « seillons » - qui est la forme dialectale du mot sillon.)

24 mars 1761 : Elie Roufinaud, du Margarin (Breuillet), achète « la journée à quatre hommes de vigne sittué au fief de la Champagne de Mornac en les six-uns paroisse de Breuillet, aterage du seigneur prieur de Mornac ».

1er févr. 1810 : Pierre Robert achète « une pièce de vigne, située à la Grave commune de Breuillet, contenant onze ares cinquante-six centiares, ou trente-quatre carreaux ancienne mesure, ce qui fait de travail la journée à deux hommes ».

Un homme de vigne est donc une ouvrée (mot aussi oublié, mais qui est encore chez Littré) ; ainsi, logiquement, on va trouver cet oxymore : « un demi homme », comme on dit « un demi journal »... Ce mot est très peu présent dans les dictionnaires, alors que hommée, qui a le même sens, est bien représenté :

Musset (qui cite Cassagneaud) : « Homme : mesure de superficie pour les vignes dans quelques communes de l’arrondissement de Marennes (Chaillevette, Les Mathes). »

Godefroy : « Homme : certaine mesure de terre plantée en vigne, autant qu’un homme peut en cultiver en un jour à la bêche ou au croc ; 1511 : “vigne contenant journal de demy homme” ; 1592 : “plus un homme de vigne au costeau de Combes” (Ste-Croix, arch. de la Vienne). »

Et Godefroy signale, au XVIIIe s., une « Discussion sur l’homme ou œuvre d’homme comme mesure de contenance (1762-85, arch. municipales d’Avallon) ; dans la Bourgogne, on appelle homme, houme une ouvrée, ce qu’un homme peut piocher, cultiver en une journée ».

Mistral : « Ome : homme ; mesure de vigne usitée en Dauphiné, contenant cinq cents ceps plantés à un mètre (environ cinq ares), ainsi nommée parce qu’un homme peut la cultiver en un jour. »

Furetière : « Hommée : portion de terre mesurée par le travail que peut faire un vigneron. Il faut environ huit hommées pour faire un arpent de Paris. On trouve dans les vieux titres hominata terra. »

Indépendamment de (l’)Houme qui désigne l’orme (cf. L’Ousme Guymas, ci-dessus, dans le texte de 1532), la mesure Homme existe aussi en toponymie, comme journaux, quartiers, sillons, etc. :

« En passant dans les 7-Hommes des Moulins, B. a attrapé un petit lièvre » (Journal de Ferdinand Gatineau, Chaillevette, 13 mars 1855) ; « Une vigne joignant Seguin et les 7-Hommes de l’Aussure » (ibid., 6 janvier 1856) ; « J’ai eu cinq hommes pour bêcher l’arrachis des 10-Hommes de l’Aussure » (ibid., 5 févrirer 1856) ; « J’ai été chercher ma farouche à l’Aussure aux 10-Hommes » (ibid., 20 juin 1857).

(Arrachis : terre nouvellement défrichée ; farouche : trèfle incarnat ; fourrage.)

Equivalence :

On a vu ci-dessus en 1810 à Breuillet : 11 ares 56 centiares = 34 carreaux = 2 hommes.

On a vu aussi que Mistral donne : 1 homme = 500 ceps = 5 ares.

Godefroy donne cette autre équivalence : « Dans le Lyonnais, un homme de vigne désigne environ 1000 ceps. »

Et selon Furetière : 8 hommées = 1 arpent de Paris.

Il n’y a évidemment pas de raison pour que l’homme soit plus précis que le journal, puisqu’ils disent la même réalité.


2. Randeau

Un randeau est une rangée de pieds de vigne. On gardera toutefois à l’esprit que la vigne n’était pas cultivée comme de nos jours (d’où la locution sillon de vigne) et n’avait pas cet aspect de rayures que l’on creuse avec sa fourchette dans la purée.

2 mai 1625 : Marye Heurtin, vefve de Elizée Robert, de La Tremblade, achète « deux petits loppins de vigne, contenant le premier cinq randeaux, situé en le Grand Fief de Fou[i]lloux ».

24 févr. 1718, Suzanne Serrusson, de St-Pierre de Royan, apporte par contrat de mariage à Pierre Bignon, tisserand de Médis, « un lopin de vigne en plante aud. fief illecq [ : de Brochet] contenant six randaux ».

(Dialectalement, une « plante » est une jeune vigne.)

Curieusement, randeau ne figure dans aucun des dictionnaires consultés ; on ne rencontre que rende et rondeau, avec le même sens, si bien que, n’était la notoriété de La Curne de Sainte-Palaye et de Godefroy, qui d’ailleurs donnent le même exemple (un texte de Taillebourg de 1312), on croirait que « rondeau » est une leçon fautive de « randeau ».

Godefroy : « rende : portion contenue dans un sillon de vigne ; sillon » ; « rondeau : mesure agraire. »

Musset, lui aussi, donne rende, rondeau ; voir également la carte 182 de l’A.L.O.

Equivalence :

Le 5 mai 1813, Daniel Labbé, de Médis, achète « une pièce de vigne de la contenance d’environ vingt ares formant vingt-cinq rangs ».

Encore en 1886, ce qui est bien tard, un notaire de Marennes utilise randeau et en donne une équivalence en mètres et, plus inattendu, en perches :

Acquisition d’une vigne « de la contenance de 5 perches 13 mètres (environ 6 randeaux & demi) ; autre contenant 10 perches 25 m (12 randeaux) ; autre 6 perches 15 (7 randeaux) ; autre 4 perches 78 (5 randeaux & demi) ; une pièce de terre de 11 perches 63 mètres (34 carreaux et demi). »


3. Quartier

Mesure utilisée en Aunis pour la vigne puis, par extension, pour des terres et des prés, comme casseron qui suit.

(Le lecteur prendra soin de bien prononcer Aunî, sans s final, comme il se doit.)

Furetière : « Quartier se dit particulierement à l’égard des mesures. Un quartier de terre, de pré, de vigne : c’est le quart d’un arpent. »

La Curne ne cite pas ce mot : il est encore usuel de son temps. Godefroy ne distingue pas quartier de casseron.

Equivalence :

« D’après Vaslin, Coutumier de La Rochelle, le quartier varie suivant les régions. Les quartiers du grand bailliage d’Aunis sont de 6 000 ceps de vignes ; le quartier du petit bailliage d’Aunis est de 4 000 à 4 500 ceps. Au XIXe s., le quartier dans la région de Dompierre est de 6 000 ceps ; dans celle de Ste-Soulle, 5 500 (grand bailliage) ; dans la région de La Jarrie, Aigrefeuille, Thairé (petit bailliage), le quartier est généralement de 4 200 ceps. » (Musset.)

Ailleurs (sub verbo casseron), le même auteur note : « le quartier contient deux journaux ».

Voir à ce sujet http://www.histoirepassion.eu/spip....
http://poitou.ifrance.com/poitou/me...


4. Casseron

Autre mot très limité qui semble n’avoir survécu qu’en Aunis, où Musset en donne un exemple encore au XIXe s. Il est apparemment synonyme de quartier.

Godefroy : « une vigne blanche contenant III quasseronz » (1394, manuscrit de la B.M. de La Rochelle) ; « un quasseron de vigne ; une mothe et une piece de terre contenans troys quasserons » (1465, ibid.).

Ce mot est fréquent en toponymie (il y a même une rue des Casserons à Fouras, souvent mal interprétée puisque, pour les pêcheurs du lieu, le casseron désigne la petite seiche).

Godefroy donne aussi « casson, caçon : quart d’arpent », dans la Vienne, utilisé encore au XVIIe s.

Remarquons ici que le mot arpent est très peu utilisé, sauf quant au domaine royal. Voir http://www.histoirepassion.eu/spip....

Equivalence :

Selon Musset, un casseron vaut « le quart d’un quartier ». Mais notre érudit a dû commettre ici un lapsus : c’est certainement « quart d’un arpent » qu’il convient de lire, puisque casseron et quartier désignent la même chose, ce que confirme Godefroy. Sinon, le proverbe cité par Villon : « le quartier en vaut l’arpent » (comprenez : le jeu en vaut la chandelle), n’a plus aucun sens.


5. Coexistence des divers systèmes de mesure

Ce qui semble curieux à notre époque normalisée et normative, c’est que plusieurs systèmes d’estimation sont utilisés simultanément, dans le même acte, pour mesurer des vignes au même endroit :

Ainsi homme et randeau se suivent en 1532 dans l’inventaire d’Arvert : « six hommes de vigne ; huict randeaulx de vigne » ;

Homme et journal, en 1592, dans un autre inventaire : « Plus un homme de vigne au costeau de Combes ; plus un journal et demi de vigne en la vallée des Boisches » (Godefroy ; Ste-Croix, arch. de la Vienne) ;

Randeaux et carreaux : en 1749, les enfants Labbé, de Médis, partagent « une piesse de vigne située dans le fief de Brie contenant douze rendaux ; une piesse de vigne en gastine contenant environ cent carraux ».

(Une « gatine » est, comme un désert, une vigne non cultivée ; Furetière : « Gastine : terre vaine, vague & inculte. »)

Ou enfin ares et rangs : le 13 déc. 1809, Daniel Bignon, de Brie (Médis), achète « 11° la quatriéme partie d’une piéce de vigne en gatine de la contenance d’environ vingt ares, située dans le vignoble de Poussau ; 12° la quatriéme partie de quatre rangs de vigne aussi en gatine dans le même vignoble. »


Sources :

- Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690 ;
- La Curne de Sainte-Palaye, Dictionnaire historique de l’ancien Langage françois ; l’édition, posthume, est de 1876 mais La Curne en a publié le projet en 1756 ;
- E. Littré, Dictionnaire de la langue française, 1863-73 ;
- F. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, s.d. [1878] ;
- F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne Langue française, 1881 ;
- Georges Musset & alii, Glossaire des patois et des parlers de l’Aunis et de la Saintonge, 1929-1948 ;
- A.L.O. : G. Massignon et B. Horiot, Atlas linguistique de l’Ouest, 1971 ;
- Jacques Duguet, Noms de lieux des Charentes, 1995.

Archives :

- Archives familiales F. Bossy (dossiers Bignon, Labbé, Robert, Rouffineau) ;
- Archives Elisabeth Ducou, Chaillevette (non cotées, inédites) ;
- le volumen du Maine de Vaux a déjà été évoqué à propos des mesures saunières - Voir cette page

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