Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

Accueil > Grands thèmes d’histoire locale > Esclavage > 1787 - Les eaux-de-vie de Cognac dans la traite des esclaves entre (...)

1787 - Les eaux-de-vie de Cognac dans la traite des esclaves entre l’Afrique et St Domingue

mercredi 12 mars 2008, par Pierre, 2249 visites.

Les eaux-de-vie de Cognac, un des éléments du négoce des esclaves d’Afrique destinés aux plantations de Saint Domingue, dans un livre qui est un plaidoyer en faveur de l’esclavage.

"La loi du 30 floréal an 10, en rétablissant la traite des noirs a fait naître l’espoir de voir nos Colonies prendre un nouvel essor"

Source : Voyage a la côte de Guinée ou, Description des côtes d’Afrique, depuis le Cap Tagrin jusqu’au Cap de Lopez-Gonzalves. : Contenant, des instructions relatives à la traite des noirs - Pierre Labarthe - Paris - An XI, 1803

Au mois de novembre 1787 M Denys Bonnaventure, étant à Rochefort, en qualité de major de la neuvième escadre d’évolution, reçut l’ordre de prendre le commandement de la frégate la Flore, de 26 canons de 8, destinée pour une campagne à la côte occidentale d’Afrique

Après avoir embarqué les marchandises de traite qui étaient nécessaires nous mîmes à la voile de la rade des Basques le 12 avril 1788 avec la goélette la Cousine

La Compagnie emploie encore divers moyens pour se procurer des esclaves : ces moyens consistent à faire des avances de marchandises aux nègres des villages qui sont dans sa dépendance, moyennant des otages : si ces otages ne sont pas dégagés dans un terme fixé par l’équivalent en poudre d’or, des marchandises avancées, ces otages deviennent esclaves de droit, ou plutôt de fait ; cette manière de procéder fournit tout à la fois beaucoup d’or et une grande quantité d’esclaves ; d’un autre côté, la Compagnie s’approprie les nègres vagabonds qui commettent des désordres dans les villages qui sont sous sa protection.

Ayant besoin de quelques provisions, M. Bonnaventure s’adressa au commandant du fort de Chama, qui lui envoya dix cabris et quatre canards, pour lesquels il lui demanda sept ancres d’eau-de-vie ; c’était sur le pied de seize bouteilles le cabri, et quatre bouteilles le
canard : nous trouvâmes ce prix un peu cher : le roi du pays fit proposer de donner les cabris à huit bouteilles d’eau-de-vie pièce, ainsi le commandant gagnait cent pour cent sur nous.

La traite se fait avantageusement à Amokou, on y trouve beaucoup de captifs, de l’or et de très beau morfil ; il offre des rafraîchissemens et des vivres, tels que poules, cochons, cabris, des fruits, des poissons, beaucoup de maïs ; le terrain d’ailleurs est d une fertilité prodigieuse.

Le prix des nègres dans ce comptoir est de 7 onces d’or [1] et 14 onces en marchandises pour les hommes de cinq pieds six pouces et de onze onces en marchandises pour les jeunes et belles femmes. Les nègres d’une taille ordinaire se vendent onze onces, les hommes ; et huit à neuf onces les femmes.

Ce prix, qui peut paraître un peu élevé, l’est moins, lorsqu’on sait que les nègres de la Côte d’Or sont beaucoup plus robustes, plus sains, plus laborieux que ceux que les armateurs sont dans l habitude d’aller traiter à Portenove, à Badagry et à Aunis : ils sont d’ailleurs plus recherchés à Saint Domingue et dans nos autres colonies.

Je citerai trois exemples de traites avantageuses

En 1787, depuis le mois de mai jusqu’au mois de juillet, le capitaine Bonamy, de Nantes, a traité à Amokou 400 esclaves, au prix courant d’Anamabou, c’est-à-dire, dix onces les hommes, et neuf onces les femmes.

Dans la même année de juillet en octobre 1787, le navire le Pacifique de Saint-Malo a fait une traite de 550 esclaves, de 400 onces de poudre d’or et de 10,000 liv. de morfil. Pour accélérer son expédition, il avoit mis une once sur chaque tête de nègre au dessus du prix courant d’Anamabou.

Cette année, 1788, depuis le mois d’avril au mois de mai, c’est à dire en cinq semaines, le navire, le véritable Ami, de Saint-Malo, a fait 150 esclaves de choix, qu’il a payés une once au dessus du prix d Anamabou.

Eau de vie

Nos eaux de vie sont très recherchées par toute la côte, mais les capitaines des vaisseaux du commerce y mettent tant d’eau que les nègres, prévenus de cette fraude, sont en garde contre cette parsimonie mercantile, ils en baissent le prix, ainsi nous n’y gagnons point.

Pour trouver un débit avantageux de cette denrée, il est bon de partager la barrique d’eau-de-vie en ancres de 25 bouteilles ; deux ancres ou 50 bouteilles valent, à Amokou, une once d’or ou 80 liv. L’ancre est une espèce de mesure employée à la côte, et dont la capacité varie. On fait des ancres de 10 à 12 bouteilles ; mais il en faut six de celles ci pour une once : il est donc préférable de se servir d’ancres de 25 bouteilles, on y gagne 16 bouteilles. On peut avoir quelques demi-ancres pour les petits marchés.

On sait qu’on ne vient à bout de rien à la côte d’Afrique sans donner de l’eau-de-vie, mais les capitaines marchands, qui entendent leurs intérêts, savent résister aux importunités des nègres.

Il y a des marchands qui ont imaginé de rapprocher du centre les fonds de leurs ancres, de manière qu’elles ont des longailles qui dépassent les fonds à chaque bout, de plus de quatre pouces ; en suivant cette méthode on gagne quelques bouteilles d’eau-de-vie : je ne conseillerais pas de l’adopter, parce que, tôt ou tard, ces ruses seront déjouées et nos eaux de vie baisseront de prix d autant.


Marchandises de traite pour Amokou embarquées à bord de la frégate la Flore

- 10 Barriques d’eau-de-vie formant 88 ancres [2]
- 75 Pièces de marchandises
- 21 Douzaines de mouchoirs de cholet
- 620 Livres de poudre
- 36 Fusils de traite
- 1 Barrique pierres à fusil
- 4 Caisses de pipes
- 2 Cannes de tambour-major
- 19 Chaînes en argent

L’eau-de-vie étant la denrée la plus usitée sur toute la côte d Afrique, celle dont le cours a un débit plus avantageux, je vais rapporter quelques notions sur la qualité de cette denrée et sur le degré de force exigée dans le commerce, je les tiens d’un de mes amis propriétaire à Barbezieux, près Cognac, département de la Charente, on sait que Cognac est renommé pour les bonnes eaux-de-vie.

L’eau-de-vie loyale et marchande dans les départemens de la Charente et de la Charente-Inférieure (en Angoumois et en Saintonge) doit avoir quatre degrés de force, preuve de Cognac.

La force et la concentration des esprits déterminent la nature de l’eau-de-vie ; pour en reconnaître la qualité, la dégustation ne suffit pas, on emploie une espèce d’aréomètre qu’on appelle vulgairement éprouvètes. Les propriétaires et marchands d’eau-de-vie ont chacun leurs éprouvètes, mais elles ne s’accordent pas toujours, on cite les aréomètres du citoyen Mossy ingénieur.

Les 4 degrés qui constituent l’eau-de-vie marchande, équivalent aux 22 degrés de Paris ; mais les négocians achètent également l’eau-de-vie à toutes sortes de degrés On convient d abord du prix courant de celle qui est marchande et ensuite on calcule quel doit être le degré en sus.

En supposant donc que la barrique d’eau-de-vie, contenant 27 veltes ou 216 pintes, se soit vendue 390 fr (c’était là le cours pendant les premiers jours de germinal an 10) l’eau-de-vie ayant un demi-degré au delà des 4 degrés, prix marchand, se serait vendue 9 liv 15 s en sus des 390 liv ; 19 liv 10 s si elle avait eu un degré de plus, et 29 liv 5 s si la force eût été à un degré et demi toujours au dessus dessus des 4 degrés qui constituent l’eau-de-vie marchaude : on voit que le prix de cette force est ajouté au prix principal à raison de 5 pour 100

A la même époque de germinal an 10, le prix des eaux de vie à Paris était :
- Eau-de-vie de Coignac, première qualité, 470 à 480 liv. les 27 veltes ou 216 pintes, et 17 liv 15 sols 6 den. la velte.
- La même, seconde qualité, 450 liv. également les 27 veltes, ou 16 liv. 13 s. 6 d. la velte.

Les marchands font plus ou moins valoir le degré suivant que l’eau-de-vie est rare ou commune, qu’elle est plus conforme à la commission dont ils sont chargés, et qu’ils sont plus ou moins pressés d’acheter.

Lorsque les marchands n’ont pas de l’eau de via assez faible pour réduire celle qui est trop forte relativement au degré désiré, ils se servent de l’eau pure pour l’affaiblir : les eaux de vie de 11 à 12 degrés peuvent en supporter un tiers de leur volume, pour les réduire à la preuve de Cognac ; mais la nécessité où l’on est d’affaiblir les eaux-de-vie fait qu’elles ne sont pas aussi estimées que celles qui sont purement marchandes ou réputées esprit-de-vin.

D’ailleurs la méthode de corriger les eaux-de-vie avec de l’eau est défectueuse en ce que l’eau n’est pas si parfaitement miscible avec de l’eau-de-vie, qu’elle n’en altère la limpidité : en effet, versez une petite quantité de cette liqueur dans une belle eau, vous verrez les filamens déliés, huileux et inflamables de l’eau-de-vie se séparer, mais lorsque ces deux liquides seront mêlés, sans pouvoir distinguer les parties de l’un de celles de l’autre, ils perdent leur transparence par l’évaporation et cela s’appelle perdre : il est donc indispensable d’acheter ses eaux-de-vie de quelques degrés plus fortes, il est essentiel de ne les vendre ou de ne les acheter que dans un tems qui tienne un milieu entre le froid et le chaud. On a remarqué que les froids de l’hiver et les chaleurs de l’été pouvaient occasionner sur les mêmes eaux-de-vie une différence sensible. Les propriétaires ou les marchands qui se proposent de garder l’eau-de-vie, doivent se munir de futailles faites avec du bois de chêne de la meilleure qualité, elle s’évapore au travers les pores du bois, selon qu’il est plus ou moins spongieux ; le mairin du limousin bien choisi est le meilleur de tous. L’entretien du remplissage d’une barrique faite de ce bois, ne montera souvent pendant l’année entière, qu’à une pinte d’eau-de-vie, tandis qu’un bois de mauvaise qualité en dépenserait 12 pintes ; un houillage aussi considérable rendrait cette liqueur trop dispendieuse à garder : on ne la met jamais par cette raison dans des futailles de bois de châtaignier.


[1L’once d’or vaut 80 fr et celle en marchandises 40 fr

[2L’ancre d’eau-de-vie est une espèce de mesure en usage à la côte de Guinée ; elle contient 12 pots ou 25 bouteilles : nous nous servons en France du terme de velte.

La barrique d’eau-de-vie contient en général 27 veltes ou 216 pintes ; d’après la note ci-dessus des marchandises de traite, les 10 barriques d’eau-de-vie, formant 88 ancres, c’est 8 ancres 14 pintes et quelque chose par barrique.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Rechercher dans le site

Un conseil : Pour obtenir le meilleur résultat, mettez le mot ou les mots entre guillemets [exemple : "mot"]. Cette méthode vaut également pour tous les moteurs de recherche sur internet.