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1776 - 1801 Le projet d’aménagement du fleuve Charente prend l’eau...

jeudi 1er février 2018, par Pierre, 675 visites.

Le projet de Pierre Trésaguet visant à rendre la Charente navigable de Civray à Angoulême, et à améliorer la navigation d’Angoulême à Cognac a eu un début d’exécution, mais il n’a jamais été mené à son terme, malgré un budget de 1.100.000 livres.
Les raisons de son abandon, après 1789, sont multiples.
Nous proposons ici plusieurs explications fournies par des écrits contemporains de cette phase d’abandon.
D’autres sources restent à explorer. Elles seront intégrées à cette page après leur examen.

L'état d'avancement des travaux en 1789 (dans le cadre rouge)Les travaux n’avaient pas dépassé Montignac lorsque éclata la révolution de 1789. C’est à dire que seuls 7 ouvrages sur les 58 prévus en amont du port de l’Houmeau avaient été réalisés (Voir le rapport de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Pierre Trésaguet) :
- N° 52 - Ecluse de la Marchotte ou de Montignac
- N° 53 - Ecluse de Cez ou Parjot
- N° 54 - Ecluse de Marsac
- N° 55 - Ecluse de Coursac
- N° 56 - Moulin de Vindelle
- N° 57 - Ecluse de Balzac
- N° 58 - Ecluse de Chalone

- Un projet trop ambitieux ou l’utopie des ingénieurs
Le rapport d’Etienne Mounier (1777) montre que les projets des ingénieurs sont sans limite. Alors que ce chantier est à peine commencé, ils envisagent déjà une extension fabuleuse : relier la Charente au Clain ou à la Vienne du côté de Civray, pour permettre la navigation jusqu’à Paris par la Loire et le canal de Briare !

- De solides opposants.
Le projet dérange les riverains. L’activité des meuniers est perturbée par le passage des gabarres. Les travaux nécessitent l’abattage des arbres pour créer le chemin de halage et les écluses. Les habitants de Vindelle se plaignent dans le cahier de doléances du comportement des ouvriers : « La navigation de la Charente, qui est récemment établie à l’aide de quatre écluses sur la paroisse, cause des dommages aux habitants, qui voient leurs champs fouillés pour la recherche et l’extraction des pierres, leurs arbres abattus, leurs pêcheries anéanties par les ouvriers employés à ces travaux inutiles ; plusieurs habitants ont été écrasés ou noyés . »

Le projet dérange les intérêts de la ville d’Angoulême : le port de l’Houmeau, qui est le terminus de la navigation, bénéficie de cette situation. « C’est par cette rivière que l’on fait monter le sel au port de l’Houmeau ; il s’en fait un débit considérable pour le Limousin et le Périgord, d’où il se transporte en Auvergne et ailleurs, ce qui fait subsister quantité de marchands et de voituriers. », écrit François Vigier de la Pile en 1756.. La perte de la situation lucrative de terminus était très certainement considérée avec inquiétude.

Dans son Mémoire de 1699, Michel Bégon, intendant de la Généralité de La Rochelle, écrit : « La Charente ne commence à être navigable qu’à Angoulême, mais on espère, qu’avec peu de dépense, on la mettra en état de porter bateau jusques à Verteuil ;
N° 25 Ecluses et port de Verteuil

Survol_25

on pourroit même la rendre navigable jusqu’à Civray, y ayant de l’eau suffisamment, mais M. le duc de La Rochefoucault [1] s’y oppose, parce que ses beaux jardins de Vaugay [2] seroient exposés à être pillés par les bateliers, n’étant fermés que par cette rivière. » Qui dit vrai ? D’autres commentateurs ont écrit que la famille de La Rochefoudauld soutenait ce projet.

- Des erreurs techniques lourdes de conséquences pour les riverains.
Il apparaît que le projet de Pierre Trésaguet, continué par Etienne Mounier, manque d’une étude d’impact. Le cahier de doléances de L’Houmeau-Pontouvre indique que les écluses ont eu pour conséquence de relever le niveau du fleuve dans la partie aval du tronçon. Il en résulte des inondations dans les paroisses riveraines.
Le cahier de doléances de la ville d’Angoulême évoque la largeur insuffisante des écluses « leurs dimensions n’ayant que six pouces de plus que la largeur des gabarres », qui rend difficile le travail des pilotes.

- Une sur-estimation de la navigabilité sur cette partie du fleuve : variations saisonnières du niveau d’eau, pente et courant trop forts (un dénivelé de 50 m pour un parcours de 120 km, mais il y a plusieurs rapides), ruptures de charge.

La Révolution sonne l’abandon définitif de ce beau projet...

 Etienne Munier (1732-1820) - L’Angoumois à la fin de l’Ancien Régime - 1777

Sur l’histoire naturelle de la Charente & sur sa navigation. (extraits)

...cette riviere fait mouvoir, outre la Forge de Ruffecq, une quantité considérable de moulins à blé, dont les chûtes varient depuis 1 pied jusqu’à 5 pieds 6 pouces. Ils sont tellement multipliés, que l’on doit juger que la pente de cette riviere, & conséquemment sa rapidité, seroit très-forte en la considérant dans son état naturel.

Il est facile de démontrer cette proposition en indiquant, par de grandes divisions, le nombre des chûtes ou retenues d’eau établies entre Civrai & Cognac, leur hauteur totale & la longueur de chaque partie.

Nombre
de chûtes.
Longueur
de chaque
partie
Hauteur des
chûtes [3]
15 Chûtes ou retenues d’eau depuis le Pont de Civrai jusques & compris la Forge de Ruffecq, formant ensemble une lon­gueur de 10200 toises & une hauteur totale de 11 pieds 9 pouces , ci Toises
10200
Pieds, pouces
lignes
51-9
9 Depuis la Forge jusqu’au Pont de Verteuil 8900 23-3-6
13 Depuis le Pont de Verteuil jusqu’à celui de Mansle. 11300 35-2-5
16 Depuis le Pont de Mansle jusqu’à celui de Montignac 19000 30-6-5
9 Depuis le Pont de Montignac jusqu’à celui de Saint-Cibard 13400 11-1-11
8 Depuis le Pont de Saint-Cibard jusqu’à celui de Châteauneuf. 13000 10-3-3
4 Depuis le Pont de Châteauneuf jusqu’au Port de Jarnac 8800 7-5-6
74 ch.
Depuis le Port de Jarnac jusqu’au Pont de Cognac 7800
Longueur totale de la rivière depuis Civrai jusqu’à Cognac. 92400 t
Hauteur totale des chûtes ou retenues d’eau, en suivant le canal de la navigation 169-8-0

Si l’on ajoute aux 169 pieds 8 pouces de hauteur ci-dessus 14 pieds 11 pouces 5 lignes pour celle des moulins de Vars, Saint-Cibard, Châteauneuf, Jarnac & Cognac, qui occasionent des courans extraordinaires dans les canaux de dérivation que les bateaux sont obligés de suivre, on aura alors 184 pieds 7 pouces 5 lignes de hauteur totale , qui représentera la somme des chûtes formées par les digues établies sur la Charente entre Civrai & Cognac. Si l’on fait encore attention que les eaux coulent avec une rapidité même assez considérable malgré ces retenues surtout dans la basse Charente, on n’aura pas de peine à croire que la pente totale du vallon, & conséquemment du fleuve, est au moins de 4 lignes pour 10 toises. Or, une rivière dont la pente est irrégulière & aussi rapide ne peut être navigable que par le secours de l’art, c’est-à-dire , en soutenant les eaux d’espace en espace par des digues qui la traversent, & en ménageant, pour le passage des bateaux, des ouvertures, qu’on a soin de refermer immédiatement après qu’ils ont passés ; d’où il suit que les Artistes qui ont travaillé à l’établissement des moulins qu’on voit aujourd’hui sur la Charente ont contribué en même temps, mais peut-être sans le savoir, aux moyens de la rendre navigable. Ces digues occasionnent encore des débordemens plus fréquens, dont les eaux douces & limoneuses donnent de la valeur aux prairies, Ces améliorations sont-elles le fruit du hasard ou de l’industrie ? Je suis porté à croire que le discernement n’y a eu aucune part. On voit ailleurs dans la même Province des digues de moulins qui soulevent & répandent, à la surface des prairies voisines, des eaux froides & crues qui les gâtent & en forment des especes de ma­récages. Il suit aussi de tout ce que je viens de dire que les moulins étant moins multipliés entre Cognac & le fauxbourg de l’Houmeau, le courant doit y être plus fort & les bords de la riviere plus élevés ; qu’en conséquence elle ne doit pas y déborder aussitôt & aussi fréquemment que dans la haute Charente, c’est-à-dire, entre le fauxbourg de l’Houmeau & Civrai, où ces etablissemens sont plus raprochés. Toute cette théorie est conforme à l’expérience. Il resulte encore du détail que j’ai donné qu’en naviguant sur la Charente on parcourt ordinairement deux fois plus d’espace qu’en suivant les chemins qui sont éta­blis sur la terre ferme ; que la diminution des digues depuis Civrai jusqu’à Cognac est à peu près proportionnele aux accroissemens du volume d’eau qui exige un cours plus libre, & qui devient enfin si considérable, qu’il ne seroit plus possible de lui en opposer sans des dépenses extraordinaires & peut-être insurmontables.

Les digues de la Charente sont généralement dans le plus mauvais état ; elles ont été construites à différentes reprises en maçonnerie de moëlon, faite à pierres seches, ou tout au plus avec un mortier de terre : elles ne sont établies que sur le banc de glaise & retenues de droite & de gauche que par de mauvais clayonages ou par les racines des saules, obiers, vernes, frênes & peupliers que les Meuniers ont plantés le long de ces digues pour les soutenir. Les moulins ne sont pas mieux fondés ; l’économie a présidé à leur constructron ; il eût fallu aller chercher le rocher que l’on ne trouve ordinairement qu’à 12 ou 15 pieds en contrebas du rivage ;
...
Le canal qui a été creusé en 1776 à la rive gauche de la riviere dans la prairie, vis-à-vis le parc de Jarnac, pour redresser les sinuosités de son lit dans l’endroit appelé le bec de corbin, a découvert ces anciens comblemens. J’ai retrouvé à huit à neuf pieds de profondeur l’ancienne terre végétale, les traces de ses productions & une digue établie en maçonerie, que l’on a été obligé de démolir pour donner une profondeur suffisante au nouveau canal à cet endroit. Il y avoit meme plusieurs troncs d’arbres couchés horizontalement & dont la substance ligneuse n’avoit presque plus de consistance : on y a trouvé aussi des fragmens de cornes de cerfs pétrifiées, que l’on peut voir dans le cabinet d’histoire naturelle du château de Jarnac. Les chênes avoient encore de la consistance dans une partie de leur épaisseur ; mais les ormes n’en avoient aucune, quoique, selon les apparences, ils eussent été renversés à peu près en meme temps les uns que les autres : ce qui démontre clairement que le chêne se conferve beaucoup plus long-temps dans l’eau & dans l’intérieur des terres que l’ormeau, dont la substance ligneuse avoit acquis une belle couleur de rose , & laissoit apercevoir, d’une manière tres-distincte, tous les cercles concentriques qui indiquoient l’age de l’arbre.

Les hommes n’ont pas eu besoin du secours de l’art pour naviguer sur ce fleuve depuis la mer jusqu’a une lieue au-dessus de Saintes, mais alors on commence à prendre des halleurs pour monter les Gabares à la Cordele, à moins que les vents d’ouest ne soient favorables. Cognac étoit autrefois le terme de cette navigation ; elle s’est étendue ensuite jusqu’à Jarnac, Château-Neuf & Angoulême où est le dernier & principal entrepôt du commerce. Il paroît par les titres de la maison de Jarnac que la navigation y étoit déjà établie en 1300, mais en quel état étoit-elle alors : François 1er approuva & ordonna l’exécution de plusieurs travaux tendant à l’améliorer ; néanmoins la route que le commerce s’est frayée sur cette Riviere est encore bien imparfaite, sur-tout entre Angoulême & Jarnac. Il arrive souvent que la navigation est interrompue pendant quatre à cinq mois de l’année, ou que l’on est obligé d’alléger les Gabares pour franchir certains pas qui ne sont pas assez profonds pour supporter la charge ordinaire. La navigation est plus active, lorsque les eaux sont bonnes, mais elle n’est guère moins difficultueuse pour cela. Le tirage grossit considérablement le prix du fret, il fait encore beaucoup de tort à la culture, en obligeant souvent les bœufs à quitter la charue pour faire traverser aux Gabares la chûte de chaque Moulin.
...
L’établissement de la navigation sur la haute Charente diminuera le produit des pêcheries, renversera une partie des arbres qui couvrent cette Riviere, privera les Riverains d’une petite portion de leurs prairies. Mais un Gouvernement bienfaisant vient à leur secours, en donnant des ordres précis de dédommager à prix d’argent chaque Particulier , selon la perte qu’il fera , & de ne compter pour rien dans ces estimations les facilités dont chacun jouira pour débiter ses denrées. Le commerce qui en résultera consistera principalement dans celui des grains, des bois & des fers, que les Cantons du Poitou & du Limousin qui avoisinent la haute Charente tranfporteront dans l’Angoumois, en Saintonge & à Rochefort, d’où ils rapporteront en échange vins & les sels qui passent ensuite du Limousin jusques dans les montagnes d’Auvergne.

Il est certain que si l’on ne consultoit que le bénéfice du moment comparé avec la dépense à faire pour de pareils établissements, il ne seroit presque jamais possible d’en former. L’intérêt particulier qui s’aveugle assez pour ne pas voir que ces grandes constructions répandent beaucoup d’argent dans les Provinces, en leur préparant en même temps un avenir plus heureux, est la cause que plusieurs Riverains de la Charente, & surtout ceux qui sont les plus à portée d’Angoulême, donnent difficilement leur suffrage à l’exécution de ce projet. Les Marchands de sel disent que le commerce diminuera dans le Fauxbourg de l’Houmeau comme il a diminué à Cognac & à Jarnac, lorsque ces Villes ont cessé d’être le nec plus ultra de la navigation ; que les entrepôts qui pourront s’établir à Vars, Montignac, la Terne, Mansle , Verteuil & Civrai, rétréciront l’étendue de leur correspondance ; mais ils n’envisagent point qu’en vivifiant des Cantons éloignés, tels que ceux depuis la Forge de Ruffecq jusqu’au-dessus de Civrai qui languissent faute de débouchés, ils pourront augmenter les autres branches du commerce de ce Fauxbourg, en tirant des bois & des grains du Poitou, & en y transportant des Vins, des Eaux-de-vie, des Fers & du Papier. Si ces Particuliers enfin, qui fixent toute leur attention à la perte d’un arbre ou d’un morceau de pré qu’on leur paye, ne veulent point jeter les yeux sur des richesses naissantes, on ne sera pas étonné qu’ils refusent leurs suffrages à des vues plus éloignées.

Si la Charente est une fois navigable jusqu’à Civrai, il sera facile d’en prolonger la navigation jusqu’à Paris, en la réunissant un jour au Clain ou à la Vienne, Rivières qui se jettent dans la Loire que l’art a déjà réunie avec la Seine par le Canal de Briare.

Il est certain que les sinuosités de la Charente, les chûtes multipliées des Moulins, les Hausses, le peu de profondeur de ses eaux en plusieurs endroits, & leur petite quantité, sur-tout dans la haute Charente, présentent de grands obstacles à surmonter pour naviguer commodément, & à peu de frais jusqu’à Civrai. Je vais faire part à mon Lecteur des travaux qui ont été commencés en 1776 à ce sujet, de ceux que l’on auroit pu faire, des circonstances & des vues d’économie qui ont fixé le projet de la navigation de la Charente.

 Mars 1789 - Cahier de doléances

Cahier de la Ville d’Angoulême

43. Travaux pour la navigation de la Charente. — La rivière de Charente, navigable d’Angoulême à Cognac, a une pente si rapide qu’elle a besoin d’être retenue par des digues pour faciliter sa navigation. Les moulins construits en différents endroits formaient des espèces d’écluses propres à retenir les eaux si les propriétaires eussent pris le soin de les entretenir. M. Turgot, attentif à porter ses regards sur les intérêts publics, prit connaissance de divers plans qui avaient été levés. Ce magistrat en fit dresser un, dont le tableau présentait l’état de la Charente depuis Civray jusqu’à Cognac. Les résultats fournis par les ingénieurs, pour établir la navigation depuis Civray jusqu’à Angoulême et la perfectionner de cette dernière ville à Cognac, le déterminèrent à s’en occuper. Le montant de la dépense et des indemnités fut porté à onze cent mille livres. Un arrêt du Conseil de 1776 assura l’exécution des projets. L’ouvrage était digne de l’attention du magistrat qui l’avait fait ordonner ; mais ce qu’on avait mis sous ses yeux n’était qu’une esquisse des réparations et des constructions à faire pour ne pas étonner le Conseil. Des travaux par économie précédèrent une adjudication dont partie parut à la charge de l’entrepreneur et partie sous la même main au compte du Roi.

Des écluses à une porte établies sans suite çà et là et leurs dimensions n’ayant que six pouces de plus que la largeur des gabarres multiplièrent les difficultés. Il fallut, un plus grand nombre de boeufs pour surmonter la force et l’impétuosité de l’eau. Les bateaux éprouvèrent dés secousses violentes ; plusieurs furent endommagés, et, leur frottement aux écluses dérangeant les assises et brisant lés portes, dés amendes prononcées fournirent aux frais du rétablissement. Pour remédier à ces inconvénients, oui obtint un arrêt du Conseil qui fixa les dimensions et le port des gabarres ; ce moyen parut propre à suppléer au volume d’eau et à l’imperfection des travaux. Mais cette disposition dura peu ; les plaintes des marchands la firent abroger. C’est alors qu’on se détermina à faire des sas qui ont rendu la navigation plus aisée quoique encore imparfaite d’Angoulême à Cognac, en ce qu’on a suspendu la suite des travaux pour en commencer indifféremment sur la haute Charente.

Des vestiges d’anciens ouvrages en remontant la rivière depuis Angoulême font apercevoir des tentatives pour la rendre navigable dans cette partie. Il est à croire que les difficultés firent abandonner le projet. Ce qui semble confirmer cette opinion, c’est le nombre des sas nouvellement établis dans l’espace de deux lieues, l’essai inutile des matelots de monter les gabarres jusque-là, lorsque les eaux ne sont pas en pleine rive, et l’attention de l’entrepreneur de ne se servir que d’une derni-gabarre pour le transport de ses matériaux. Il en serait ainsi sous Angoulême, si le confluent de la rivière de Touvre, qui fournit autant que la Charente et dont le volume est presque toujours le même, n’était au-dessus du port du faubourg de l’Houmeau. Il fallait perfectionner la navigation d’Angoulême à Cognac avant de tenter un établissement incertain jusqu’à Civray, d’endommager des moulins, de détruire des pêcheries, d’arracher les arbres qui bordaient les prairies, d’enlever des terrains, d’en détériorer plusieurs, d’y ouvrir des carrières d’autorité privée, de construire autant de sas, de faire submerger les héritages riverains lorsque la rivière commence à grossir, par le refus d’ouvrir les portes lors de l’élévation des eaux à une hauteur déterminée, et le montant des indemnités résultantes de quelques uns de ces dommages ni le fonds des dépenses principales ne seraient pas perdues pour la province. La suspension des travaux sur la haute Charente jusqu’à nouvel ordre, pour accélérer la partie navigable, est la seule chose qu’on puisse proposer quant à présent [4]

Autres cahiers de doléances de mars 1789

Des critiques dans les paroisses où les travaux d’aménagement ont déjà été réalisés :
- L’Houmeau-Pontouvre, Les débordements de la Charente, causés par des écluses établies depuis peu, occasionnent des dommages sur le territoire de cette paroisse.
- Champmilon. — Trois meuniers de la paroisse représentent qu’ils ont leur domicile et leur moulin situés dans une île de la Charente, que les ingénieurs ont détruit le pont dit de la Liège, qui servait de communication ; ils demandent une indemnité en raison de cette destruction qui les oblige d’entretenir des bateaux pour le passage.
- Vindelle. — La navigation de la Charente, qui est récemment établie à l’aide de quatre écluses sur la paroisse, cause des dommages aux habitants, qui voient leurs champs fouillés pour la recherche et l’extraction des pierres, leurs arbres abattus, leurs pêcheries anéanties par les ouvriers employés à ces travaux inutiles ; plusieurs habitants ont été écrasés ou noyés.
- Marsac. — La navigation de la Charente porte préjudice aux propriétaires riverains, en ce que les conducteurs de bateaux prennent leur tirage dans une largeur au moins de vingt-quatre pieds de chaque côté de la rivière, ce qui est contraire à l’ordonnance qui ne donne le tirage que d’un seul côté.

et des impatiences dans celles où ils ne sont pas faits :
- Verteuil demande que I’on accélère les travaux de navigation de la Charente.

Sources :
- Cahiers de doléances de la sénéchaussée d’Angoulême et du siège royal de Cognac pour les États généraux de 1789 - P. Boissonnade - Paris -1907 - BNF Gallica
- L’Angoumois en l’année 1789 – Charles de Chancel - Angoulême - 1847

 Statistique du Département de la Charente, par le citoyen Delaistre, préfet – Paris – An X (1801)

Rivières.

La rivière la plus intéressante du département de la Charente, est celle qui lui donne son nom. Elle prend sa source à Charonnat, dans la Haute-Vienne, traverse l’extrémité nord-est du département, pour gagner Civray, dans le département de la Vienne, rentre ensuite dans l’arrondissement de Ruffec, et coule à travers ceux d’Angoulême et de Cognac : elle roule ses eaux dans un riche vallon, sur un lit de bonne terre ; son cours est rempli de moulins et d’usines ; sa navigation, qui remonte jusqu’à deux myriamètres au-dessus d’Angoulême, sert avantageusement au débouché et à la circulation des denrées du pays, et des approvisionnemens de la marine pour Rochefort ; elle sert aussi au transport des canons fondus à la forge de Ruelle, dont nous parlerons à l’article des usines. Les bateaux qui font cette navigation, portent jusqu’à quatre-vingts tonneaux de mer, ou deux mille myriagrammes. La navigation est favorisée et soutenue par un très-grand nombre d’écluses destinées a tenir les eaux dans un équilibre propre à la faciliter ; sans elles , la rapidité du fleuve, dont la pente, réduite sur toute la longueur de son cours, donne quatre lignes pour dix toises empêcherait la navigation, et surtout en remontant : les débordemensr de cette rivière sont des causes de fertilité ; les prairies qui en sont couvertes, donnent une très-bonne et très-abondante récolte. On ignore précisément le temps où la Charente a été rendue navigable. Les titres de la maison de Jarnac le font remonter au delà de 1300 ; François Ier s’occupa des travaux nécessaires pour améliorer cette navigation , qui enrichissait son pays natal, et depuis les établissemens des écluses se sont faits successivement, surtout depuis que Louis XIV eut établi, en 1664, un port de grande marine à Rochefort.
La prolongation de la navigation jusqu’à Civray, projetée depuis longtemps, serait bien avantageuse aux pays qu’elle traverse, et sous ce point de vue, elle mérite toute la sollicitude du gouvernement ; mais combien cet intérêt s’agrandirait aux yeux de l’administration, si cette navigation pouvait s’étendre au Clain ou à la Vienne pour gagner la Loire, et de là, par le canal de Briare, la Seine et Paris !

Combien cette communication de l’Océan avec la capitale et avec la Manche, présenterait d’avantages pour la circulation des denrées et la facilité des transports ! Si ce projet, conçu il y a un siècle, par des hommes de génie, doit se réaliser un jour, c’est, sans doute , dans un moment où toutes les idées se fixent sur ce qui est vraiment grand et utile, où l’espoir de la paix appelle la prospérité, et provoque tous les moyens d’amélioration et de perfectionnement. Une commission d’ingénieurs a, dit-on , été envoyée par le ministre François de Neufchâteau, pour vérifier la possibilité de la navigation du Clain jusques à la Loire par Châtelleraut ; on ignore le résultat des opérations de cette commission. Une compagnie de capitalistes a offert deux millions huit cent mille francs au gouvernement pour entreprendre d’établir la navigation entière , depuis Angoulême jusqu’à Civray ; ces offres n’ont pu être encore agréées, par la difficulté d’établir les moyens de remboursement, tant du capital que des intérêts.

On ne peut en indiquer d’autres qu’un droit à percevoir sur les gabares ou sur les marchandises transportées par la Charente, et c’est le seul qu’on puisse raisonnablement adopter. Le principe en est déjà consacré par l’établissement de la taxe d’entretien. Il ne s’agit que d’en faire, aux canaux et rivières navigables, une application tellement combinée, qu’elle suffise à la confection et à l’entretien des travaux, sans nuire au débouché des denrées et marchandises. Le premier pas une fois fait, il n’y a aucun obstacle à l’accomplissement du projet de réunion de la Charente à la Loire, par le Clain ou la Vienne.

Ces deux rivières , dont l’une (le Clain) prend sa source dans le département, entre Alloïce et Confolens, et l’autre le traverse dans son extrémité septentrionale, en passant par Chabanais et Confolens, ont des eaux abondantes. Le lit de la Vienne est hérissé de rochers, qui en rendent, dit-on, la navigation impossible : mais avec des ingénieurs et des capitaux, on parvient à vaincre la nature même, et le volume d’eau que roule la Vienne, présente trop de moyens et d’avantages pour qu’on ne tente pas les efforts qui pourront l’utiliser. On regarde comme facile la jonction de la Charente à la Vienne près de Lapéreuze, où elles sont séparées tout au plus par une distance de cinq kilomètres. L’importance de la communication de Paris avec L’Océan, doit exciter bien des intérêts, et une grande émulation. Heureux l’homme de génie, l’administrateur éclairé qui pourra attacher son nom à cette grande et glorieuse entreprise ! Heureux le pays qui jouira du fruit de ses travaux et de ses veilles !

Portfolio


[1François VII de La Rochefoucauld, né le 14 juin 1634 ; mort le 11 janvier 1714.

[2« Les issues de Verteuil connues sous le nom de parc de Vaugay, ont des beautés naturelles qui surpassent peut-être tout ce qu’on peut voir en France. Le parc, d’une étendue des plus spacieuses, s’est trouvé contenir un terroir très-propre à élever des arbres, et les plants de charmilles et d’autres espèces y ont si bien réussi qu’il n’y en a point ailleurs d’une semblable hauteur, de si belle tige et de si bien fournis. On y entretient aussi une orangerie superbe. » Mémoire sur l’Angoumois par J. Gervais, lieutenant-criminel au présidial d’Angoulême, 1725 ; édité par M. G. Babinet de Rencogne, Paris, 1864, in-8°, p. 79.

[3Pour convertir pied, pouce, ligne et toise en unités du système métrique : 1 pied = 144 lignes ; 1 pouce = 12 lignes ; 1 ligne = 2,256 mm - Toise = 1,949 m

[4Sur la question de la navigation de la Charente depuis 1660, voir les dossiers des Archives municipales d’Angoulême (DD 2) et des Archives départementales de la Charente (C 76 à 78) ; Bernage, p. 171 ; Bégon, Mémoire, 1698, éd. G. Musset, p. 21 ; Gervais, p. 183 ; Vigier, p. 111 ; Turgot, Œuvres, II, 464} Munier, t. 1er ; Quénot, Statistique de la Charente, 1818, p. 1 à 3 ; D’Hugues, 203-206 ; Chaloupin, La navigation de la Charente, 1864, in-4°

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