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1700 - Le voyage du Duc d’Anjou vers la couronne d’Espagne

mardi 20 novembre 2007, par Jean-Claude, Pierre, 3186 visites.

Le 16 novembre 1700, Louis XIV annonce à la cour qu’il accepte le testament de Charles II d’Espagne. Cette journée est restée célèbre. Le roi de France présente ainsi son petit-fils, âgé de dix-sept ans, qui ne parle pas un mot d’espagnol : « Messieurs, voici le roi d’Espagne ! ». Puis il déclare à son petit-fils : :« Soyez bon Espagnol, c’est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français pour entretenir l’union entre nos deux nations ; c’est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix de l’Europe. » Castel dos Rios, l’ambassadeur espagnol, s’exclame : « Il n’y a plus de Pyrénées ! »

Le voyage de Versailles à Madrid est l’occasion de festivités sur tout le parcours. Un membre de l’escorte royale a écrit un journal de voyage sous forme de lettres.

Nous avons retenu de la chronique de Duché de Vanci (1668-1704) les lettres écrites de Melle, Saint-Jean d’Angély, Saintes, Pons et Mirambeau, qui décrivent les villes-étapes et les péripéties du voyage. La Cour voyage et s’amuse ...

L’équipage et la suite du futur roi Philippe V d’Espagne se composaient de 33 carrosses, 27 fourgons, 37 surtouts, 50 chariots et 174 chevaux

Source : Lettres inédites de Duché de Vanci, contenant la relation historique du voyage de Philippe d’Anjou, appelé au trône d’Espagne, ainsi que des Ducs de Bourgogne et de Berry, ses frères, en 1700 - Par Colin et Raynaud - Paris - 1830

Voir aussi dans les Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis - T. XLV - 1914 - en ligne : Journal de Michel Réveillaud

 LETTRE XIII - Saint-Léger-de-Mesle, 21 décembre 1700

Nous partîmes hier de Lusignan, a six heures. Nous marchâmes long-temps sans voir ; mais enfin le jour nous rencontra en chemin. Il fesait rude de marcher, à cause de la gelée. Nous passâmes par Chenay. Nous commençons à ne plus entendre le langage des paysans. Ces derniers jours, nous ne rencontrions que des mules attelées avec des sangles par la tête ; à présent, ce sont des bœufs conduits de deux en deux, par un homme qui a son manteau sur les épaules et une gaule à la main.

 LETTRE XIV. - Saint-Jean-d’Angély, 23 décembre 1700.

Nous sommes partis le 21 de St-Léger. Nous avons passé à Brion, a la Ville-Dieu, à Aunay, par les églises d’Argenteuil, St-Julien, et nous sommes arrivés ici après avoir traversé la Boutonne, rivière divisée en cet endroit en deux bras, sur deux ponts de trois arches chacun. Le Roi et les Princes ont logé à l’abbaye St-Benoît ; l’archevêque de Tours en est abbé, et cela lui vaut 7,000 livres de rente.

St Jean-d’Angély est une petite ville de la Saintonge, située sur la Boutonne, petite rivière qui tombe dans la Charente, au pied d’une colline. Les maisons y sont mal bâties, et les rues étroites, mal pavées. La plupart de ses habitans sont encore de la R. P. R. [1] dans le cœur, et n’en font pas mystère.

Au dîner, le maître d’hôtel servant auprès du roi d’Espagne, fit voir une chanson qu’on lui avait envoyée de Paris, sur le départ du roi d’Espagne, dont l’air est celui du noël : Où est-il le petit nouveau né ? La voici :

Où s’en vont tous les bourgeois

Epars dans la campagne ?

Nous allons voir encore une fois

Le nouveau roi d’Espagne :

Ne pouvant aller suivre ses lois,

Notre cœur l’accompagne.

Quel air plein de majesté !

Quel charme l’environne !

Que de grandeur, de fierté,

Dans toute sa personne !

Qu’il va faire, avec tant de beauté,

D’honneur à sa couronne !

À sa grâce, à sa douceur,

C’est le dieu de Cythère ;

A sa force, à sa valeur,

C’est le dieu de la guerre :

Il s’en va régner sur tous les cœurs,

Et commander et plaire.

Dedans un riche pays

Il trouve plus d’un trône ;

Il en deviendra l’appui :

Le ciel ainsi l’ordonne.

Pourrait-on quitter notre Paris,

A moins de vingt couronnes ?

De la race de Louis

Vous choisissez un maître ;

Espagnols, en rois exquis

Vous savez vous connaître :

D’un héros il est le petit-fils,

Et mérite de l’être.

A peine ce nouveau lis

A commencé d’éclore,

Qu’il va vous rendre soumis

L’Africain et le Maure :

Vous verrez vos plus grands ennemis

Fuir devant cette aurore.

Que vous êtes glorieux,

Quel sort vous accompagne,

De trouver parmi nos dieux

Le roi de votre Espagne !

Faites-lui donc descendre des cieux

Une aimable compagne.

Le Roi que vous nous devez,

Dans sa vive jeunesse,

Des héros les plus posés

Egale la sagesse :

Le trésor que vous nous enlevez

Vaut mieux que vos richesses.

Vous jouirez désormais

En paix de votre terre ;

Vous n’entendrez plus de près

Gronder notre tonnerre :

Votre Roi vous confère la paix,

Et dissipe la guerre.

Pour bien rehausser l’éclat

De votre diadème,

Pour bien régler votre état,

Et qu’un peuple vous aime,

Prince, imitez votre grand-papa,

Soyez en tout lui-même.

Le Roi et le duc de Bourgogne passèrent l’après-dînée chez le duc de Berry, parce que la fenêtre de l’appartement de ce dernier donnait sur une basse-cour, où ils s’occupèrent à tirer sur des poules et sur des moineaux. C’est ici que l’on a appris que les Vénitiens avaient refusé le passage aux troupes de l’Empereur. Après le souper, le Roi et les Princes s’amusèrent à voir Batiste jouer des gobelets, ce qui les divertit beaucoup pendant toute la soirée.

 LETTRE XV - Saintes, 26 décembre 1700

Une tradition raconte que l’escorte du futur roi d’Espagne fit une étape à l’Auberge de l’Ecu d’Or à Ecoyeux
Dessin de Jean-Claude Chambrelent - 2007

Nous partîmes jeudi dernier de St-Jean-d’Angély. Nous passâmes par St-Hilaire et dans des bois. La pluie ne nous abandonna pas du tout. Nous trouvâmes dans le bois des charriots fort embarrassés, et plusieurs caisses d’oranges dans les boues. Le Roi est logé à Saintes, à l’Evêché ; les Princes chez le doyen des chanoines, dans une maison à côté.

Saintes est sur la Charente, à sept lieues de Rochefort, un des plus beaux ports de France sur l’Océan. Le pont de Saintes a été bâti par César. Cette ville est la capitale de la Saintonge, dont M. le duc d’Uzès est gouverneur. L’église cathédrale, dédiée à saint Pierre, se sent, comme beaucoup d’autres, des guerres des Huguenots ; elle n’est pas voûtée, et n’a que son ancienne tour qui soit digne d’être considérée. Il s’observe en cette église une cérémonie, la nuit de Noël, qui est singulière : l’on met deux pieds de paille par l’église, en mémoire de la naissance de J.-C.

S. M, C. trouva 400 bourgeois à cheval, à une lieue de la ville, qui l’accompagnèrent avec la maréchaussée jusqu’à son logement. Elle fut reçue à la porte par le Maire et les Echevins, qui, après l’avoir haranguée, portèrent devant son carrosse un dais de velours cramoisi avec une frange d’or, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée à l’Evêché, où elle reçut les présens de ville, qui consistaient en perdrix rouges, huîtres vertes et truffes. M. le duc de Beauvilliers lui présenta ensuite le sieur Joseph Médina, chevalier de Saint-Jacques, qui est un colonel espagnol, homme de service et de distinction, et qui fut prisonnier du maréchal de Noailles dans la dernière guerre. Il apportait une lettre de la reine d’Espagne douairière pour le Roi. Il eut l’honneur de baiser la main de S. M. C. „ qui lui promit de se souvenir de lui.

Il ne faut pas oublier qu’en entrant dans la ville, il y eut une dispute entre la maréchaussée et la bourgeoisie à cheval, pour entrer les premiers à la tête du carrosse du Roi. Ils en vinrent aux mains, et, dans le tumulte, la chaise de M. de Vaudeuil, lieutenant des gardes du corps, pensa être rompue. Cet officier fut obligé d’ordonner aux gardes de charger ces messieurs, pour faire cesser le désordre. Le soir, le maréchal de Noailles ordonna que la maréchaussée aurait le pas, attendu qu’elle fesait un corps, et que la bourgeoisie n’était formée que par des gens ramassés.

Le 24, il y eut une autre dispute a la porte de la cathédrale, le chapitre prétendant, comme indépendant de l’évêque, devoir recevoir le Roi et les Princes a leur entrée, et leur présenter l’eau bénite ; mais M. Desgranges, maître des cérémonies , ayant représenté ce qui s’était passé depuis peu à Chartres, où les chanoines ont été destitués de certaines prétentions qu’ils voulaient avoir contre leur évêque, et dont ils se disaient en possession depuis 700 ans, cela ralentit l’ardeur de ceux-ci, et les obligea de rendre à leur évêque ce que la bienséance exigeait d’eux. Ce fut l’évêque de Saintes qui reçut S. M. C. à la porte et lui fit un discours très pathétique, finissant par le premier verset du cantique de Siméon : Nunc dimittis servum tuum, Domine ; disant qu’il mourrait en paix, puisqu’il avait eu l’honneur de posséder chez lui un des plus grands rois de l’Europe.

Le 25, S. M. entendit la grand’messe célébrée par l’évêque de Saintes ; l’après-dînée, elle assista aux vêpres, dans la même église, et au sermon d’un Récollet. Les Princes furent à vêpres à l’abbaye, et entendirent le sermon d’un Jésuite. Le soir, le Roi et les Princes s’occupèrent à écrire différentes lettres a des dames de la Cour, sous des noms inconnus.

J’allai voir cette abbaye, dite des Bénédictins ; elle est à gauche en arrivant à la ville ; elle est considérable par son gros revenu, qui est de 50,000 livres de rente. La sœur de M. le duc de Lauzun en est abbesse. L’église est solidement bâtie ; les ouvertures en sont petites, ce qui la rend peu claire. Tous les dedans du couvent sont voûtés, et il n’y a pas de planchers nulle part, ni aux dortoirs, ni aux cellules, de sorte qu’elle ne craint ni le feu, ni le tonnerre. On m’a dit qu’il y avait ici une maison de Bénédictins, sous le nom de St Eutrope, où l’on voit deux églises l’une sur l’autre ; et qu’il y a une grande dévotion au Saint, surtout de la part des femmes qui désirent avoir des enfans.

 LETTRE XVI - Pont, 27 décembre 1700

Je partis hier de Saintes à huit heures du matin, et j’arrivai à onze. Aussi ne compte-t-on que quatre lieues. A cent pas de Saintes, nous trouvâmes un endroit du chemin, d’environ trente pas, inondé du débordement de la rivière, en sorte que nos chevaux en avaient jusques aux épaules ; et ce fut pour éviter de passer à cet endroit en carrosse, que le Roi et les Princes s’embarquèrent sur des chaloupes que des officiers de marine avaient fait venir de Rochefort, dans lesquelles ils firent environ demi-lieue sur la rivière, et remontèrent ensuite en carrosse.

Pont est une des belles terres qu’il y ait ; elle vaut 80,000 livres de rente ; 50 villages en relèvent : cela s’appelle la Sirerie de Pont, et ceux qui en sont seigneurs sont appelés Sires de Pont ; c’est à présent le comte de Marsan qui en est seigneur ; il a eu cette terre de feu Mme d’Albret, sa première femme, qui la lui a donnée en faveur de leur mariage.

Le Roi et les Princes ont logé dans le château qui est au milieu du bourg , du côté gauche j devant la porte, il y a une belle place plantée d’ormes , et à côté un gros donjon, ou bâtiment carré à l’antique, au haut duquel j’ai monté : il y a 126 degrés d’environ 8 pouces de hauteur chacun ; au-dessus se trouve une plate-forme, d’où l’on découvre l’Océan et un circuit de pays infini. En entrant dans la cour, le château est sur la droite, très logeable, quoique de peu d’apparence extérieure, et fort proprement meublé. L’on y voit une salle où sont tous les portraits de MM. d’Albret, anciens possesseurs de ce château. En entrant dans le jardin qui est en face de la porte de la cour, on trouve, le long de la droite, une terrasse revêtue de bons murs fondés sur le roc, d’où la vue s’étend sur un vallon dans lequel coule un ruisseau qui est présentement débordé, et qui, par mille tours et détours, en forme de parterre d’eau répandue parmi beaucoup d’arbres, rend la vallée tout-à-fait agréable a voir. Il fesait hier un charmant soleil, qui nous en a laissé jouir plus de quatre heures. Cela nous a un peu consolés de notre prison de Saintes, où la pluie continuelle nous a été une geôlière importune.

 LETTRE XVII - Mirambeau, 28 décembre 1700

Nous partîmes hier à 9 heures de Pont. Nous passâmes par Belluire, Saint-Genis, à côté du château de Plassac, à la Bergerie, et nous arrivâmes ici à une heure. Ce lieu est pauvre et misérable ; il n’a cessé d’y pleuvoir. Le roi d’Espagne et les Princes sont logés au cabaret, au milieu du village. Il y a un étang d’eau et de boue devant leur porte, au milieu duquel il faut passer pour se rendre chez eui. Ils se sont amusés à tirer des moineaux.

 LETTRE XVIII - Blaye, 30 décembre 1700

En partant mardi de Mirambeau, nous passâmes au Petit-Niort, où le Roi et les Princes entendirent la messe. Entre ces deux endroits, le carrosse du comte d’Ayen prit la peine de verser et de se casser les glaces.
Blaye est un des plus agréables endroits que nous ayons encore vus, par sa situation sur la Gironde, qui prend ce nom depuis la jonction de la Dordogne avec la Garonne, au Bec-d’Ambez, jusques à la mer. A l’arrivée du Roi et des Princes, on tira tout le canon de la citadelle, et ils vinrent descendre chez le Receveur des aides ; dès qu’ils eurent mis pied a terre, ils allèrent voir le port, ou ils prirent beaucoup de plaisir, comme à une chose qui leur était nouvelle. Ils virent embarquer leurs équipages, et restèrent fort long-temps pour voir arriver la marée.

Etc.


[1La religion prétendue réformée.

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