Accueil > Chronologie de l’histoire locale > L’époque contemporaine > 1844-1851 – Les colonies agricoles du Comte de Luc : de la (...) > 1844-1851 - Les colonies agricoles du Comte Jean de Luc : Récit > 1846 - La Charente-Inférieure va-t-elle envoyer en Algérie des enfants (...)
1846 - La Charente-Inférieure va-t-elle envoyer en Algérie des enfants abandonnés ?
lundi 11 avril 2016, par , 356 visites.
Plan général de cette étude | Références et bibliographie |
Le courrier adressé par le Comte de Montigny au Préfet, le 19 mars 1846, est le premier épisode, pour ce département, d’une histoire étonnante qui va faire des enfants abandonnés de la Charente-Inférieure, malgré eux, des acteurs de la colonisation de l’Algérie.
Celle-ci a commencé en 1830, il y a moins de 16 ans. La guerre contre l’émir Abd-el-Kader est en cours, et l’insécurité règne dans une grande partie du pays.
Monsieur de Montigny aimerait bien pouvoir emmener sur sa concession, près d’Oran, une quinzaine d’enfants abandonnés.
Les archives sur ce sujet |
- Qui est le Comte de Montigny
- 19/03/1846 - Lettre de M. de Montigny
- 14/04/1846 - Réponse du Préfet à M. (...)
- 22/07/1846 - Réponse de la commission
- 24/07/1846 - Lettre de M. de Montigny
- 27/07/1746 - Lettre du Préfet à la (...)
- 05/08/1846 - Réponse de la Commission
- 07/08/1846 - Lettre du Préfet à M. (...)
- 08/08/1846 - Lettre du Préfet au (...)
- 12/09/1846 - Réponse du Ministre de (...)
- 15/09/1846 - Lettre du Préfet à M. (...)
Dates-clé de 1846 - 16/04 – Attentat contre Louis-Philippe par Lecomte, guillotiné le 8/06 ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
Chronologie résumée de la colonisation de l’Algérie |
---|
Blocus maritime de la régence d’Alger
14 juin 1830 - Débarquement du corps expéditionnaire français à Sidi-Ferruch,
5 juillet 1830 - Prise d’Alger, le, par les troupes françaises,
Occupation des ports du littoral
1836-1848 - Guerre contre l’émir Abd el-Kader
1837 - Chute de Constantine
1848 - Défaite de l’émir et le découpage de l’Algérie en trois départements.
1851-1860 - Politique de la terre brûlée.
1870-1871 - Grande révolte de Kabylie
Expropriation des terres des tribus et code de l’indigénat ;
1882-1902 - Révolte de Bouamama au Sud-Ouest
1900-1903 - Opérations de colonisation des populations et des territoires, et campagne du Sahara.|
Qui est le Comte de Montigny
Alfred-Eléonore-Marie de Montigny est né le 18 juillet 1811 à Perreux (Yonne). Depuis une dizaine d’années (vers 1836), il réside à Thaims (17), où il possède un petit château (du XVIIIe s.). Il a 35 ans et exerce (ou va exercer) dans des activités des Ponts et Chaussées.
- Le château de Thaims (17), résidence de M. de Montigny en 1846
Comme de nombreux français attirés par les possibilités de développement qu’offre l’Algérie, il a fait en juin 1845 une demande de concession pour un domaine de 96 ha dans la région d’Oran, sur la route qui va de cette ville à Misserghin.
Le 28 janvier 1846, sept mois après sa demande, il obtient enfin cette concession. Il se rend à Oran en emmenant avec lui un jeune enfant de Corme-Ecluse (17) sur lequel nous n’avons à ce jour aucune information.
19/03/1846 - Lettre de M. de Montigny au préfet de la Charente-Inférieure
D’Oran, il écrit au Préfet pour lui demander l’autorisation de faire venir dans sa concession une quinzaine d’enfants abandonnés. Car, explique-t-il, « la main-d’œuvre est un obstacle ; le prix en est trop élevé pour la culture, les constructions absorbant les bras des quelques Français venus comme manœuvres, des nombreux Espagnols et d’une foule de Marocains. »
Il développe de nombreux arguments :
le climat est sain à Oran,
la région est en plein développement et elle est sûre,
les enfants n’auront pas ici la mauvaise réputation qu’ils ont en France. Ils pourront devenir plus tard « colons-propriétaires »,
le général de La Moricière s’intéresserait à ce projet qui peut rendre service à la France.
Le processus de décision administrative se déroule ensuite ainsi :
14/04/1846 - Réponse du Préfet à M. de Montigny
Le Préfet rappelle la législation en vigueur (voir ces textes : 1789 - 1850 - Enfants abandonnés – Législation. Il y a, écrit-il « une sorte d’analogie » entre les modes de placement prévus par la loi et celui que propose M. de Montigny. Mais, en raison des risques (climat et insécurité) que pourraient courir ces enfants, il ne veut pas accorder lui-même l’autorisation demandée sans s’être au préalable entouré d’avis.
Il demande à son interlocuteur de solliciter directement les commissions administratives des hospices civils de La Rochelle et de Saintes et de leur exposer ses arguments.
Il conclut avec les précisions suivantes :
quelque soit la réponse de ces commissions, il demandera l’avis du Ministre de l’Intérieur avant de donner une réponse définitive
M. de Montigny ne pourra compter sur aucune aide financière de la part du département.
22/07/1846 - Réponse de la commission administrative des hospices civils de La Rochelle au Préfet.
"Le nombre d’enfans dont nous pourrons disposer pour cet établissement sera très restreint"
24/07/1846 - Lettre de M. de Montigny au Préfet
« Ma lettre a été favorablement accueillie par la commission de la Rochelle, qui met à ma disposition les enfants dont elle peut disposer en ce moment. Mais je n’ai point reçu de réponse de Saintes. »
...
« Aussitôt que j’aurai obtenu le nombre d’enfants que je désire, je chargerai quelqu’un qui me représente à Thaims de venir me les amener ici tout exprès ; ce sera le moyen qu’ils soient moins exposés aux accidents de route. »
Une phrase de la conclusion de sa lettre entrouvre une lucarne sur le contexte politique de cette période : « Puissent les administrations de France nous envoyer de nombreux et laborieux colons. Tout le monde s’en trouvera bien. Rien ne décourage les arabes comme un établissement agricole. Les bataillons, les escadrons, tout cela passe et ils espèrent ne plus les revoir, mais une maison qui s’élève c’est pour eux une démonstration plus terrible que le canon, n’en déplaise à nos illustres généraux qui ne veulent pas comprendre qu’il y a hors d’eux de grands moyens de colonisation. »
Car en Algérie deux pouvoirs sont en concurrence : celui des militaires et celui du gouvernement de la France. Et cette situation va durer très longtemps.
27/07/1746 - Lettre du Préfet à la Commission des hospices civils de La Rochelle
Le Préfet, visiblement, cherche à gagner du temps : sa lettre pourrait se résumer ainsi : êtes vous bien décidés à envoyer en Algérie des enfants dépendant de vos hospices ? Il attend confirmation pour questionner le Ministre de l’Intérieur.
05/08/1846 - Réponse de la Commission au Préfet
« Notre attention n’est pas détendre à un très grand nombre d’enfants le placement proposé : nous voudrions seulement envoyer dans ladite colonie agricole, ceux qui, par la versatilité de leur caractère, ou par une tendance à la paresse, mécontentent les ouvriers chez lesquels ils sont placés, et ne pouvant, par cette raison, y rester, deviennent une charge indésirée pour notre hospice. En les dirigeant sur Oran, nous pourrions espérer que le changement de climat, le mode d’emploi du temps, le système d’émulation que M. de Montigny doit mettre en usage, et enfin l’assurance de posséder un jour une petite habitation et du terrain à cultiver pour leur compte, apporteraient dans leur caractère et leur manière d’agir un salutaire changement. »
« Par ces motifs, nous avons l’honneur de vous prier, Monsieur le préfet, de vouloir bien demander à Monsieur le ministre de nous autoriser à envoyer quelques élèves de notre hospice ... »
En clair : la proposition de M. de Montigny est une aubaine pour nous. Si elle se réalise, nous pourrons nous débarrasser à bon compte d’éléments indésirables. Le changement de climat leur fera beaucoup de bien.
07/08/1846 - Lettre du Préfet à M. de Montigny
Le Préfet lui fait un résumé de la situation.
« Quant à l’hospice de Saintes, la Commission administrative de cet établissement ne m’a fait aucune communication. »
08/08/1846 - Lettre du Préfet au Ministre de l’Intérieur
Il récapitule l’historique de ce dossier et termine par la demande d’autorisation.
« Mais comme les commissions administratives des hospices de Saintes et de la Rochelle paraissent disposées à envoyer quelques-uns de leurs élèves dans la colonie agricole de Monsieur le Comte de Montigny, j’ai l’honneur de vous prier, Monsieur le Ministre, de vouloir bien me faire connaître si l’administration doit consentir à ce placement. Quant à moi je ne le pense pas. »
La dernière phrase a, semble-t-il, été écrite de la propre main du Préfet.
12/09/1846 - Réponse du Ministre de l’Intérieur au Préfet
« Je pense, Monsieur le Préfet, que du jour où l’Algérie, complètement pacifiée, aura reçu des populations européennes assez nombreuses pour se défendre contre la race Arabe, il pourra y avoir avantage à envoyer une partie de nos enfants trouvés, devenus grands, chercher là une condition meilleure que celle qu’ils rencontrent généralement en France. »
« Mais le temps ne me paraît pas venu à cet égard, et il convient de n’entrer qu’avec réserve dans une voie qui n’est pas exempte de difficultés et de périls. J’ajouterai à cette observation générale que la concession pour laquelle des enfants vous sont demandés est située précisément dans celles de nos provinces africaines la plus exposée aux hasards de la guerre, et que M. de Montigny, qui ne paraît pas disposé, au moins rien ne me l’indique, à aller se fixer d’une manière permanente sur sa concession, ne sera pas à même de veiller par lui-même sur les enfants qui lui seraient confiés. Je vois donc dans l’expatriation de ces enfants au moins autant de mauvaises chances que de bonnes, et je crois dès lors que, dans le doute, il y a lieu à ne pas accueillir, au moins quant à présent, la demande de Monsieur le Comte de Montigny. »
15/09/1846 - Lettre du Préfet à M. de Montigny
« ... Monsieur le ministre voit dans l’expatriation de ces enfants au moins autant de mauvaises chances que de bonnes et dès lors, dans le doute, il pense qu’il n’y a pas lieu d’accueillir, au moins quant à présent, la demande que vous avez formée. »
Cette affaire aura duré 6 mois, et se solde par un refus de l’administration, mais la porte reste entrouverte à l’envoi d’enfants abandonnés en Algérie.
Elle ne va pas tarder à s’ouvrir en grand...