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Histoire de l’enfance abandonnée de l’Ancien Régime au début du 20ème siècle

Enfants exposés ou orphelins à Paris et en province (Aunis, Saintonge et Angoumois)

samedi 20 novembre 2010, par Razine, 6956 visites.

Plan général de cette étude Références et bibliographie

La peinture livresque que nous avons de l’enfance abandonnée véhiculée par la littérature ou les peintres se révèle très en dessous d’une réalité effroyable. A Paris comme dans nos provinces il faudra des siècles pour endiguer l’hémorragie de la perte des petits enfants exposés abandonnés ou orphelins avant une prise de conscience de l’Etat. De bouche inutile, l’enfant deviendra une source productive utile à la nation. C’est une aproche globale de ce phénomène à travers l’illustration de cas propres à notre région que nous allons vous conter.

Sous l’ancien régime et jusqu’à la révolution le secours aux enfants trouvés résulte de la charité publique et privée. En principe, il revient aux seigneurs hauts justiciers de financer le placement des enfants abandonnés mais ils s’en déchargent le plus souvent auprès des religieux ou religieuses. L’église s’efforce de secourir les enfants trouvés ou orphelins mais jusque sous le règne de Louis XIII, il semble qu’il n’existe pas vraiment d’institution spécifique pour recueillir ce type de population. En 1638, St Vincent de Paul et Louise de Marillac créent l’œuvre des enfants trouvés à Paris. Sous leur impulsion d’autres institutions de ce type verront le jour à travers la France. Mais dans la plupart des villes, là où il existe un hôpital général ou hospice, les enfants lui sont confiés. Ils y grandissent au milieu des malades et des indigents.

Les enfants trouvés en Angoumois avant 1789

Enfants abandonnés en Saintonge, Aunis et Angoumois : archives d’avant 1789


- 1738 - Supplique de la veuve Drouet, nourrice, à l’Intendant de la Généralité de la Rochelle

- 1740 - Enfants abandonnés : P. Orry, Contrôleur général des Finances à l’intendant de la Généralité de La Rochelle

- 1741 - Trudaine à l’intendant de la Rochelle : le marquage des enfants abandonnés de Rochefort

- 1742 - Enfants abandonnés : l’évêque de Saintes ne veut pas payer pour le Roi

- 1777 - Enfants abandonnés : Necker lance une enquête nationale

- 1778 - Enfants abandonnés : Mr de Bonnegens (St-Jean d’Angély) répond à l’enquête de Necker

- 1786 - Campagne d’inoculation contre la variole des enfants trouvés et des orphelins de la Généralité de La Rochelle

- 1788 - Enfants abandonnés : une nourrice-connection à Saintes

Enfants abandonnés en Charente et Charente-Maritime : archives d’après 1789


- 1818 - Rapport au roi sur la situation des hospices, des enfans trouvés, des aliénés, de la mendicité et des prisons.

- 1824 - 1833 : Statistiques - Les enfants abandonnés en Charente et Charente-Maritime

- 1846 - Le Conseil Général de la Charente-Inférieure et les enfants abandonnés

 LES PRATIQUES D’ABANDON

L’abandon d’enfant longtemps considéré comme un crime expose les mères à des sanctions pénales. En 1556, Henri II avait ordonné la promulgation d’un édit faisant obligation à toutes les filles de déclarer leur grossesse dès qu’elles en avaient connaissance pour limiter l’infanticide. Pourtant, il est avec l’abandon, monnaie courante. On abandonne plus facilement en ville qu’à la campagne, où l’on peut se fondre dans l’anonymat. Un grand nombre d’enfants sont déposés sur la voie publique, devant les porches des églises ou les maisons bourgeoises, la nuit. C’est la culture du secret ! L’exposition des enfants abandonnés est un véritable fléau social jusqu’à la révolution. Dans le cahier de doléances de la ville d’Angoulême en 1789 l’on déplore la situation des enfants exposés en ces termes : « Ces malheureuses victimes de la débauche ou de la misère n’ont d’autre appui que le gouvernement. Partout où il n’y a point de bureau établi, l’exposition faite sous les halles, dans les rues et sur les places publiques, livre les enfants à la voracité des animaux, et ceux qui en échappent n’étant à la charge des seigneurs sur les terres de qui ils ont été trouvés que jusqu’à un âge encore trop tendre sont abandonnés avant d’être en état de gagner leur vie. Ils semblent n’avoir été conservés que pour les faire périr par la soif et la faim, ou pour multiplier le nombre des vagabonds et des brigands ».

Les pouvoirs publics sont dépassés par l’ampleur du phénomène. A Paris, le nombre des abandons atteint des sommets, presque 28 % du total des naissances. Le pourcentage est inférieur en province [1]

Les enfants abandonnés ne sont pas seulement le fruit d’amours illégitimes. Des couples légalement mariés poussés par la nécessité liée à l’absence de travail en raison des mauvaises conditions climatiques (hivers rigoureux, sécheresse) ou aux épidémies, estiment que leurs enfants seront mieux soignés à l’hospice où ils seront pris en charge et nourris. Il faut bien comprendre que jusqu’au début du 20ème siècle, l’enfant n’est pas le centre de la cellule familiale. Jusque à la fin du 18ème siècle, Il est plutôt ressenti comme une charge tant qu’il ne devient pas productif en procurant une aide à sa famille. Même dans les milieux aisés la mise en nourrice est la norme. On peut citer l’exemple célèbre de Talleyrand qui fut baptisé le jour de sa naissance en 1754 et remis la cérémonie terminée à sa nourrice qui l’emporta chez elle. Sa mère ne le revit pas une seule fois en 4 ans et ne demanda jamais de ses nouvelles. Elle ignora donc l’accident qui l’estropia et fit de lui un pied-bot. [2]

L’incapacité à contrôler les naissances, la misère du temps, condamnent les parents à l’abandon qui devient alors un acte d’amour ceci pour assurer la survie de leurs enfants du moins le croient-ils ! En témoignent les billets épinglés sur leurs vêtements. Ce sont les « remarques » : rubans, médailles, bouts de tissus… destinés à reconnaître les petits pour les reprendre ensuite si leur situation s’améliore. Mais tout le monde n’a pas cette sorte de scrupule. J.J. Rousseau qui se pose en pédagogue en matière d’éducation, abandonne sans remord ses cinq bâtards à l’hospice. Ils y seront mieux élevés que par sa maîtresse dit-il. Inconscience, désintérêt ou égoïsme, dans ce siècle de licence qui pourrait s’en étonner. Peu à peu, l’État devant cette situation désastreuse prend conscience qu’il faut traiter le problème d’une manière plus radicale. Pour limiter les infanticides et les expositions, il s’investit socialement et politiquement dans le sauvetage de tous ces pauvres enfants qualifiés pour la plupart de « fruits du péché ». Une manière également de soulager la mauvaise conscience des classes dominantes.

 LES TOURS D’ABANDON

Au 18ème siècle a Rochefort il est déjà fait mention de « coffres du roy » et à Saint Jean d’Angély au début de la révolution de « boëte » où l’on dépose les enfants. [3]

Le tour, sorte de boite rotative est destiné à recevoir des nourrissons mais aussi des enfants jusqu’à un âge avancé : 5 ans et même 10 ans selon les lieux). On tire la cloche à l’extérieur de l’hospice pour aviser du dépôt de l’enfant, souvent à la nuit tombée pour ne pas être reconnu (e). Un dernier baiser, le petit disparaît de l’autre côté du mur. Il est réceptionné par une sœur tourière. L’enfant reste à la crèche entre 8 et 10 jours le temps de l’examiner, de lui affecter un numéro, d’inscrire la remarque sur un registre.

Dès sa création le système du tour est critiqué. N’encourage t’il pas le vice en faisant disparaître le corps du délit. Et puis il coûte cher au contribuable puisque la société se substitue aux parents. L’expérience des tours est assez courte. De fait, une cinquantaine d’années dans la plupart des villes. Mais c’est seulement la loi de 1904 qui officialisera leur suppression. En confiant leur progéniture aux tours d’abandon, les parents croyaient sauver leurs enfants ; ils les condamnaient cependant à une mort certaine.

La loi du 19 janvier 1811 posera le principe d’un hospice dépositaire par arrondissement.

En 1789, il n’existait pas à Angoulême d’hôpital recevant les enfants abandonnés mais un bureau réceptionnait les enfants trouvés. Dans le cahier de doléances de la ville on peut lire ceci :

" Le bureau établi dans la ville d’Angoulême, où il n’y a ni hôpital ni manufactures destinés pour eux, a paré aux inconvénients d’une exposition dangereuse. On y vient jour et nuit déposer les enfants : ils sont nourris et entretenus aux frais de la province jusqu’à l’âge de 15 ans révolus, confiés aux gens de la campagne auxquels on donne des salaires en progression descendante et occupés à bonne heure à la garde du bétail et par suite aux travaux des champs. Ces enfants deviennent des hommes utiles à la société, et lorsque parmi le nombre il s’en trouve qui veulent apprendre des métiers, on traite leur apprentissage. Il a été même vérifié qu’ils s’en conservent beaucoup plus à la campagne que dans les hôpitaux où l’air qu’ils respirent est toujours le même."

 LES NOURRICES MEURTRIERES

Au 18è s

Tous les nourrissons, enfants en bas âge ne pouvant rester à l’hospice faute de place ou de subsides, les petits sont confiés à des nourrices. Conduits par des meneurs qui les portent à dos, dans des paniers, les nourrissons sont exposés aux intempéries. Plus tard on utilisera des carrioles bâchées munies de nacelles, sorte de berceaux. La route est longue, en moyenne une quinzaine de km entre le lieu d’abandon et la nourrice. C’est pour éviter que les parents ne retrouvent leurs enfants et que les mères ne réclament l’indemnité en se faisant passer pour une nourrice. Beaucoup d’enfants décèdent avant même d’arriver à destination.

Mais le pire est à craindre des nourrices elles-mêmes ! Pauvres femmes de la campagne, incultes, ignorantes des règles d’hygiène élémentaire, ces mercenaires élèvent plusieurs enfants à la fois. L’argent fait cruellement défaut, il est si difficile d’élever sa propre famille en ces temps de misère. Les nourrices sont mal payées, alors elles rognent sur tout : les médications, la nourriture… C’est un monde dur où le sentimentalisme n’a pas sa place. Qu’un enfant trépasse, c’est regrettable mais on en prendra un autre !

Tout ceci est dans la lignée du mot célèbre de Montaigne qui déjà en son temps écrivait en évoquant la perte de ses enfants : « J’ai perdu deux ou trois enfants en nourrice non sans regrets mais sans fâcherie ».

Au 18ème en France, le taux de mortalité infantile s’élève en moyenne à 20 % de l’ensemble de la population des enfants de la tranche d’âge inférieure à 1 an. [4]

Devant cette hécatombe, il devient urgent de réglementer et moraliser la profession. La loi Roussel de 1874 institue un comité supérieur de protection de l’enfance pour surveiller le marché des nourrices. Les services d’assistance publics passent sous la tutelle des préfets. Après la suppression des tours, l’État s’oriente vers l’abandon à bureau ouvert. Il va favoriser la baisse des abandons tout en masquant le problème car il ne protège pas les mères de l’anonymat. Règle qui sera reprise au 20ème siècle avec l’accouchement sous X.

 DE LA PHILANTROPHIE A LA CAUSE PUBLIQUE

Des bras pour la nation

A partir du 18ème siècle, le nouvel impératif est la survie des enfants pour empêcher l’hémorragie humaine qui caractérisait l’ancien régime. Moralistes, administrateurs, médecins, hommes d’église ou de la politique unirent leurs voix pour faire changer les mentalités en valorisant le rôle de la mère élevant son enfant, travail nécessaire à la société. On cherche les moyens d’enrayer la surmortalité des premiers mois de l’enfant voire les premières heures en donnant des conseils aux sages-femmes souvent responsables par leur ignorance d’un grand nombre d’accidents durant l’accouchement (création d’écoles de sages-femmes, manuels à leur usage, etc)

(voir sur Histoire Passion l’article 1684 - 1789 - Sages-femmes et curés en Saintonge, Aunis et Angoumois).

En essayant de sauver un maximum d’orphelins ou d’enfants trouvés issus le plus souvent quand même de classes sociales défavorisées, l’État faisait certes œuvre de charité. Mais le rôle de l’Etat nourricier on le verra ne se bornait pas uniquement à des vues philanthropiques.

En 1783, Monsieur de Chamousset dans son « mémoire politique sur les enfants » pose le problème d’une manière réaliste non empreinte de cynisme en ce qui concerne les enfants abandonnés :

«  Il est affligeant de voir que les dépenses considérables que les hôpitaux sont obligés de faire pour les enfants exposés produisent si peu d’avantages à l’état.. La plupart périssent avant d’être arrivés à un âge où l’on pourrait en tirer quelque utilité ».

Cette idée est reprise dans le mémoire en forme d’observation pour servir à toutes fins aux doléances et plaintes de la ville d’Angoulême que les députés du Tiers état de ladite ville adressent au ministre des finances en 1789 :

« De quelque manière qu’on assure l’existence de ces infortunés, soit par la voie des hôpitaux, soit en se conformant à ce qui se pratique en Angoumois, il serait convenable de destiner un fonds à les établir……Ce plan ne peut empêcher un autre pour le moins aussi avantageux à l’État. Ce serait d’établir dans les villes maritimes des écoles de matelots, où les garçons seraient envoyés à l’âge de neuf ou dix ans. On augmenterait par ce moyen cette classe d’hommes dont la France a besoin…. »

Le fait est là, l’enfant spécialement à la fin du 18ème siècle prend une valeur marchande. On s’aperçoit qu’il est potentiellement une richesse économique. Toute cette population considérée jusque là avec mépris notamment les enfants abandonnés devient intéressante en tant que force de production possible. D’où l’idée de les envoyer peupler les colonies grands réservoirs de richesses qui n’attendaient que des bras pour prospérer. Les exemples qui suivent illustrent bien cet état d’esprit ancré depuis longtemps dans les mentalités. Déjà au 17ème siècle Colbert avait essayé de peupler le Canada en envoyant des filles saines, sous-entendu pouvant favoriser la reproduction de l’espèce et donc d’assurer une présence française dans ce pays.

De plus, au 18ème siècle les économistes avaient tiré la sonnette d’alarme. Des statistiques faisaient état d’une dépopulation d’où l’intérêt de la conservation du plus grand nombre des forces vives de la nation. Il est à noter également qu’elles pouvaient servir à autre chose qu’à peupler les colonies grâce à cette main d’œuvre tombée du ciel. De nombreuses guerres de Louis XIV jusqu’au second empire entraîneront des besoins militaires. Nombre de jeunes gens se retrouveront enrôlés dans l’armée.

Au 19ème siècle, la conservation des enfants trouvés ou orphelins obéira à de multiples intérêts : charité sans perdre de vue l’objectif de la rentabilité en récupérant leur force de travail. Autre argument qu’il ne faut pas sous-estimer : assurer une certaine paix sociale à la France en éloignant du territoire français vers les colonies une population qui sera ressentie pendant longtemps comme une menace et une source possible de conflits.

C’est dans ce contexte que le Comte Jean de Luc de 1844 à 1850 a pu fonder un réseau de colonies agricoles aux Vallades à Rétaud, à la Ronce près de La Tremblade et enfin à Medjez-Amar en Algérie afin de recueillir des enfants dès l’âge le plus tendre jusqu’à l’âge de 20 ans pour les former aux métiers de l’agriculture et de l’horticulture.


[1E. Ladurie p 6 « les enfants du secret »

[2L’amour en plus - Elisabeth Badinter

[3Pascal Even - Les hôpitaux en Aunis et Saintonge.

[4« Les enfants abandonnés et enfants assistés à Rouen dans la seconde moitié du 18 s ». Sté de démographie historique Paris 1973 p 19-47.

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